Où trouver 10 milliards d’économies ? Dans les 470 niches fiscales

Les 470 niches fiscales françaises s'avèrent difficilement lisibles. Est-ce volontaire ? - Copyright AFP / Jean-Marc Barrere et Hans Lucas
Les 470 niches fiscales françaises s'avèrent difficilement lisibles. Est-ce volontaire ? - Copyright AFP / Jean-Marc Barrere et Hans Lucas

Sujet inflammable dans l’opinion publique, les niches fiscales font partie du quotidien des Français et, dans un contexte dans lequel Bruno Le Maire claironne qu’il faut faire des économies, les inspecter permet de mettre en lumière certaines réalités. Pour le ministre de l’Économie, il est nécessaire de trouver 10 milliards d’économies, à charge pour tous les ministères de se serrer la ceinture. 

Les niches fiscales : où les trouver et comment les lister ?

En droit fiscal, on ne parle pas de niches fiscales, mais de dépenses fiscales. Ces dernières sont consignées dans le tome 2 des projets de loi de finances chaque année. Intitulé « évaluation des voies et moyens — annexe au projet de loi de finances pour 2024 — Tome II – les dépenses fiscales », le livrable liste toutes les niches fiscales. Pour consulter les anciennes versions, il suffit de changer l'année, le titre en lui-même reste inchangé.

Le « principe » de la niche fiscale consiste à alléger la facture du contribuable, soit pour qu’il le réinjecte dans l’économie réelle — en clair qu’il le dépense dans les commerces et les services — soit pour que les entreprises qui en bénéficient puissent se développer. 

Pour l’année 2024, il existe 470 niches fiscales. 140 concernent les entreprises, 103 sont destinées aux ménages. C’est principalement le calcul de l’impôt sur le revenu qui est concerné avec 169 niches fiscales dédiées

Le coût total des niches fiscales estimé s’élèverait à 78,7 milliards d’euros en 2024.

Mais, une information disponible ne signifie pas qu’elle soit lisible ni éclairante. Ainsi, dans la présentation générale, les quinze niches fiscales les plus coûteuses ont été listées par les services de Bercy. Intention louable s’il en est, mais parcellaire. En effet, notons qu’un tableau général n’est pas disponible en open-data pour l’édition 2024. Il a donc fallu procéder à un travail de constitution de l’information. Par ailleurs, le tableau de la page 25 du document oublie des colonnes essentielles, notamment le type de bénéficiaires et le nombre de bénéficiaires.

Les niches fiscales les plus coûteuses : une présentation biaisée par Bercy

Pourtant, l’information est parfois mentionnée dans le rapport. Ainsi, pour la niche fiscale la plus coûteuse, à savoir le crédit d’impôt en faveur de la recherche (CIR), dont le montant prévisionnel s’élève à 7,651 milliards d’euros, il y aurait 15 693 entreprises bénéficiaires. Dans la version 2023 de ce même document, la prévision était 7,061 milliards d’euros pour 21 695 entreprises. La version 2024 de la prévision 2023 a été ramenée à 7,185 milliards d’euros. Il y a donc une augmentation de 6,49 % de l’enveloppe dédiée pour 2024 alors que le nombre de bénéficiaires enregistre une baisse de 27,67 %

Qui sont ces 15 693 entreprises bénéficiaires ? On ne le sait pas. Dans un rapport d’information du 19 juillet 2023, les rapporteurs Éric Coquerel et Jean-René Cazeneuve ont indiqué que 36 % de l’enveloppe était captée par les grandes entreprises en 2021. Ils n’avaient pas de chiffres plus récents. Quant à la répartition régionale, il faut se tourner vers le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. L’Île-de-France capte un tiers du CIR. Néanmoins, en dehors de ces statistiques, il n’y a pas de publicité sur les entreprises qui bénéficient in fine, de la niche fiscale la plus chère de France. 

La deuxième niche fiscale concerne les ménages et pèse 6,170 milliards d’euros. Mais, contrairement au CIR, le nombre de bénéficiaires est très important. Il s’agit du crédit d’impôt au titre de l’emploi d’un salarié à domicile. Pour l’année 2024, la prévision de bénéficiaires est de 4 487 333 ménages. Qu’est-ce qu’un crédit d’impôt ? Il s’agit d’une somme venant s’imputer sur le montant brut d’un impôt à payer. Par exemple, vous devez 100 € d’impôt et vous bénéficiez d’un crédit d’impôt de 10 €. Vous n’avez que 90 € d’impôt à payer. 

Le crédit d’impôt au titre de l’emploi d’un salarié à domicile ne concerne donc que les personnes qui paient l’impôt sur le revenu et désigne tous les petits jobs qui peuvent être accomplis au domicile d’une personne : baby-sitting, jardinage, soutien scolaire, etc. Pourquoi faire peser sur le budget de l’État ce type d’activité ? Tout simplement pour que les sommes soient fiscalisées et socialisées. En effet, ce type de prestations a longtemps — et le sont toujours pour une part d’entre elles — été fait « au noir », c’est-à-dire sans déclaration fiscale ou sociale, payées en espèces. C’est donc de la recette fiscale qui disparaissait des caisses de l’État et des cotisations en moins pour la Sécurité sociale. Pour autant, les dépenses sont plafonnées entre 12 000 € à 20 000 € par an selon les situations. Et contrairement au CIR, la dotation a été baissée. En 2023, la prévision était de 7,950 milliards d’euros pour 4 292 689 ménages. Pour 2024, elle tombe à 6,170 milliards d’euros pour 4 487 333. La prévision a été baissée de 14,29 %, alors que le nombre de bénéficiaires a augmenté de 4,53 %. 

La troisième niche fiscale la plus coûteuse est celle qui bénéficie à plus de 20 % de la population française : l’abattement de 10 % sur le montant des pensions (y compris les pensions alimentaires) et des retraites. Elle concerne 14 844 462 de ménages. Et contrairement aux deux autres niches évoquées précédemment, les prévisions et les ménages concernés ont été augmentés. 

La proportionnalité des niches fiscales : qui coûte le plus cher aux contribuables ?

Si on s’amuse à faire une proportionnalité entre la prévision de la niche fiscale et le nombre de bénéficiaires, on voit que le CIR « rapporte » 487 542,22 € par entreprise concernée, alors que le crédit d’impôt au titre de l’emploi d’un salarié à domicile « rapporte » 1 374,98 € par ménage. Quant à l’abattement de 10 % pour les pensions et les retraites, il « rapporte » 306,11 € par ménage

Relever les niches fiscales les plus coûteuses peut avoir un intérêt dans un débat public sur l’état financier de la France. Néanmoins, l’absence d’informations sur certaines, interpelle. Ainsi, sur le tableau des niches fiscales les plus coûteuses, un tiers d’entre elles ne sont pas déterminées. Elles sont prévisionnées, mais on ne sait pas si elles bénéficient aux ménages, aux entreprises, aux locaux ou aux parcelles. 

On ose espérer que les parlementaires à qui on a forcé la main pour voter le projet de loi de finances 2024 ont été plus éclairés que ne peuvent l’être les lecteurs du rapport sur les voies et moyens. 

Les pudeurs de Bercy sur 211 niches fiscales

Ce tiers de niches fiscales non déterminées ne sont pas des lignes isolées. Sur 470 niches fiscales, 211 ne sont pas déterminées. 19 ont une prévision inférieure à un million d’euros. 94 sont en zéro ou non déterminé et les 205 autres ont un montant prévisionné total d’approximativement 20 milliards d’euros. Pour certaines d’entre elles, il ne s’agit pas de niches fiscales qui arriveraient à expiration ou qui viendraient d’être créées, ce qui expliquerait pourquoi il n’y a pas d’information. Il est curieux que Bercy ne soit pas capable de déterminer qui est concerné et à hauteur de combien. 

Les niches fiscales clientélistes ?

Plus curieux encore : certaines niches fiscales sont provisionnées et ne concernent qu’une poignée d’entités. Ainsi, les tarifs réduits de la composante « déchets » pour les collectivités d’outre-mer relevant de l’article 73 de la Constitution sont prévisionnés à hauteur de 19 millions d’euros et concernent six entreprises. On note également le crédit d’impôt pour les entreprises de création de jeux vidéo : 60 millions d’euros sont prévisionnés pour 64 entreprises. 

Quel bilan social et sociétal des niches fiscales ?

Dans son dernier rapport, la Cour des comptes indique que le projet de loi de finances pour 2023 manquait d’ambition et énonce une série de préconisations. À cela, on pourrait ajouter une absence de lisibilité et une absence de bilan réel. Car, si chaque niche fiscale comporte bien une finalité, par exemple « aider les personnes retraitées » pour l’abattement de 10 % sur les pensions et les retraites, quelle en est l’effectivité réelle ? Quel est le bilan des entreprises soumises au CIR et où est-il disponible ? 

En août 2023, l’AFP rapportait les propos du président du groupe Renaissance. Le député Sylvain Maillard, sur Radio J avait indiqué que les députés de la majorité allaient examiner les niches fiscales défavorables à l’environnement. Selon lui, une bonne trentaine d’entre elles tomberaient dans cette catégorie, dont le CIR, qui doit être regardé à travers le prisme du verdissement de l’économie ». Il a poursuivi en disant que les niches fiscales devaient participer à « changer le comportement du producteur ou du consommateur ». 

Depuis, il n’y a pas eu de réels travaux de fond. 

Il est regrettable que la porte du débat sur cette thématique ne soit jamais ouverte à l’Assemblée nationale et elle ne risque pas de l’être quand chaque texte budgétaire se solde par un article 49 alinéa 3. Alors, la France, paradis ou enfer fiscal ? Une chose est certaine : pour certaines entités, on est plus proche de l’Éden que du calvaire. 


Correction du 30 avril 2024 à 22 h 22 : le crédit d'impôt ne concerne pas que les personnes ayant l'impôt sur le revenu, contrairement à ce qui a été écrit précédemment.