Carton rouge pour les ministres au Sénat
Convoqués lors d’une audition conjointe entre la commission des affaires culturelles et la commission des lois, au Sénat, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra ont dû affronter le feu nourri des questions des sénateurs.
Le moins que l’on puisse dire est qu’ils n’ont pas su convaincre les parlementaires du Palais du Luxembourg.
Perfide Albion
Le ministre de l’Intérieur n’en a pas démordu pendant trois heures : la source principale si ce n’est unique des problèmes rencontrés lors de la rencontre entre le Real Madrid et Liverpool le samedi 28 mai 2022, reste les faux billets des supporters anglais. Pour appuyer sa démonstration, il a fait référence à une rencontre similaire.
Le nombre massif de faux billets des supporters anglais a créé un afflux de personnes, rendant le travail d’organisation de l’espace public des forces de l’ordre — présentes en nombre suffisant – difficile. Les mouvements de foule et la pression n’ont pas permis aux stadiers d’opérer des contrôles de billets.
Par ailleurs — et l’argument a été repris par la ministre des Sports — la France n’a eu que trois mois pour organiser la rencontre.
S’il n’en est pas à sa première audition devant des sénateurs, il s’agissait du baptême du feu pour la ministre des Sports. Ses débuts ont été laborieux. Elle n’a convaincu les sénateurs, ni sur le fond ni sur la forme. Presque inexistante durant les trois heures d’audition, elle a conclu les échanges par « on a fait du mieux qu’on a pu en trois mois ». Elle a également rappelé que la filière des agents de sécurité privée était en tension et qu’un décret organisant la spécialité évènementielle de ce métier allait prochainement être publié. Sans ce que cela ne réponde aux interrogations de la sénatrice Brulin sur ce sujet.
Les autres compétitions en image de fond
Le sénateur Michel Savin a commencé la session de questions en donnant le ton général « personne ne valide votre récit ». Pour lui, comme pour d’autres sénateurs, les causes de ce qui a été qualifié de fiasco — surtout outre-Manche — sont multiples et ne peuvent être imputées aux seuls Britanniques. Il a rappelé que le président de la République lui-même avait insisté pour que ce match se réalise en France. Le délai de trois mois était donc connu et aurait pu être anticipé en amont.
La sénatrice Eustache-Brinio a rejoint son collègue sur la responsabilité du président de la République, tout comme le sénateur Lozach, qui a ratissé plus large en désignant l’ensemble de l’appareil exécutif comme responsable. La description faite par les ministres en guise d’introduction à l’audition a suscité une interrogation chez le sénateur Kern : la France est-elle prête pour accueillir les Jeux olympiques ?
La question de la sécurité était le cœur de cette audition, avec des philosophies différentes. Pour les sénateurs socialistes, il y a un problème de maintien de l’ordre et de pilotage conjoncturel. Si David Assouline admet que des hooligans ont pu être présents, il relève que l’utilisation des gaz lacrymogènes contre une population venue assister à un évènement populaire et familial ne paraît pas pertinente. Même son de cloche chez le sénateur Dossus, qui souligne des abus.
Si les sénateurs ont eu droit à une très longue démonstration sur les faux billets et comment reconnaître un vrai billet d’un faux, ils sont malheureusement repartis les mains vides concernant plusieurs sujets.
Des chiffres et des faits
Marie-Pierre de La Gontrie a demandé au ministre de l’Intérieur où étaient passées les 30 000 Britanniques, responsables des troubles selon lui, après le match. Elle n’a pas été la seule à poser la question. Plus pragmatique, Jean Hugonet a tout simplement demandé qui était le patron opérationnel de l’évènement.
Partageant sa revue de presse du jour, Valérie Boyer a repris des déclarations de syndicats de police, qui faisaient état de la présence de mineurs isolés dans les auteurs des différentes exactions commises autour du Stade de France. De même, elle a mentionné des violences sexuelles commises samedi. Le ministre a refusé de répondre à ses questions.
Plus inquiétant, la sénatrice Borchio-Fontimp a indiqué qu’elle était au Stade de France et n’avoir fait l’objet d’aucune fouille ni de contrôle de sécurité avant d’entrer dans le stade. Pourtant, les différentes lois relatives à la lutte contre le terrorisme autorisent des contrôles de sécurité préalables, y compris par des acteurs privés. Le ministre de l’Intérieur a indiqué qu’en raison des retards et de la foule, il n’avait pas été possible de procéder à des contrôles de sécurité.
Rebondissant sur la masse de faux billets en circulation, le sénateur Bacchi a benoîtement posé la question de la faisabilité d’une telle fraude massive.
Des questions sans réponse
Se félicitant à la fin de l’audition qu’aucun sénateur n’ait réclamée sa démission, le ministre de l’Intérieur a contourné les interrogations, mais en a profité pour rappeler qu’une nouvelle loi sur la sécurité intérieure permettrait de déployer des drones. Il a aussi indiqué que serait proposé au maire de Saint-Denis, l’ancien député socialiste Mathieu Hanotin, l’installation de nouvelles caméras de surveillance aux abords du Stade de France.
Il n’est pas certain que cette audition ait apporté toutes les réponses aux questions des parlementaires ni qu’elle permettra de rétablir un dialogue constructif avec les instances britanniques. Comme lors de ses précédentes déclarations, le ministre de l’Intérieur et la ministre des Sports ont principalement désigné les supporters de Liverpool comme responsables des troubles survenus samedi 28 mai 2022.
À ce stade, une commission d’enquête parlementaire sur ce sujet reste à l’état de rumeur, mais il n’est pas interdit de penser qu’une résolution puisse atterrir prochainement sur la table, surtout si des troubles analogues sont observés lors du match France-Danemark qui aura lieu le vendredi 3 juin 2022 au Stade de France.