Censure du Gouvernement : Barnier vit-il ses dernières heures à Matignon ?
Mise à jour du lundi 2 décembre 2024 à 16 h 25 : le Premier ministre Michel Barnier a activé l’article 49 alinéa 3 sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. LFI a annoncé le dépôt d’une motion de censure, qui sera vraisemblablement votée par l’ensemble du Nouveau Front Populaire (NFP). Le Rassemblement national a également indiqué le dépôt d’une motion de censure et on peut raisonnablement supposer que le groupe de Marine Le Pen votera celle du NFP. La motion de censure doit être inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. La conférence des présidents — qui arbitre les inscriptions — doit se réunir demain à 10 h.
Mathématiquement, même sans les voix de l’UDR, le nombre de voix nécessaire est suffisant. On rappelle que seules les voix « pour » comptent.
Le Gouvernement de Michel Barnier vit-il ses dernières heures ? C’est une hypothèse qui semble se confirmer de plus en plus, tant le spectre de la censure semble se rapprocher.
Qu’est-ce qu’une censure du Gouvernement ?
Une censure du Gouvernement est une manière, pour les députés, de sanctionner le Gouvernement, de lui dire « nous ne voulons plus de vous et de votre politique ». Il y a des règles de forme à respecter : au moins 89 députés doivent déposer une motion de censure — c’est-à-dire un texte — et cette motion de censure doit être examinée dans les 48 heures. À charge pour la présidente de l’inscrire à l’ordre du jour.
Durant ces 48 heures, il n’y a pas d’examen de textes, dans la mesure où le Gouvernement est en sursis. Les députés peuvent néanmoins continuer à procéder à des auditions lors des commissions d’enquête ou des missions d’information.
Même chose pour les sénateurs : les travaux sont interrompus de leur côté, mais, seulement sur le volet législatif.
La censure, une question d’arithmétique
Depuis 2022, on avait l’habitude des motions de censure, grâce à la majorité relative. Toutes avaient échoué, mais, les législatives de 2024 ont rebattu les cartes. Pourquoi ?
Parce qu’il faut une majorité, ce qui fait que si nous avons 577 députés, pour réussir, une motion de censure doit récolter 289 voix. Dans l’hypothèse que nous connaîtrons probablement cette semaine, les chiffres sont revus à la baisse, car, trois sièges sont vacants.
Il faudra donc 288 voix pour la motion de censure. Peut-il y avoir 288 députés pour voter la censure ? Le RN compte 124 députés. Pour le bloc NFP, il y a LFI avec 71 députés, les socialistes avec 66 députés, les écologistes avec 38 députés et les GDR (communistes) avec 17 députés. Cela donne 316 députés.
Alignement politique opportun
Ce dimanche après-midi, le RN a fait savoir qu’il considérait que le gouvernement avait mis « fin à la discussion » sur les textes budgétaires, pour reprendre les éléments de langage distillés dans la presse. Autrement dit, le RN a pesé de tout son poids sur Michel Barnier pour faire accepter ses idées sur les textes budgétaires et n’a pas obtenu gain de cause. C’était latent dans le rapport de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025.
Or, dès le mois de juillet, le RN, qui certes a gagné des sièges, mais n’a pas obtenu la majorité espérée à l’Assemblée nationale, n’a cessé d’agiter la menace de la censure, peu importe qui entrerait à Matignon. Du côté de l’Élysée, au lieu de jouer la carte de l’alliance avec le NFP, on s’est tourné vers les partis qui avaient perdu les élections législatives.
Ce qui donne ce curieux attelage où le RN va venir au secours du NFP. Car, si du côté de la gauche, il est peu probable qu’on vote une motion de censure déposée par le RN, l’inverse n’est pas vrai. Le RN se félicite régulièrement de ne pas être sectaire et de voter des idées qui viennent de tous les bancs de l’Assemblée nationale. Quant à la gauche, durant la niche parlementaire de LFI, plusieurs députés de ce parti ont claironné aux ministres qu’ils ne seraient plus là la semaine prochaine. Il paraît évident qu’ils vont déposer une motion de censure et qu’elle sera votée par le bloc de gauche.
La fin des mesures des textes budgétaires ?
Si la motion de censure de la semaine du 2 décembre 2024 réussit, cela n’est pas pour autant la fin des textes budgétaires. En effet, il est possible de légiférer par ordonnances ou d’utiliser les mécanismes de l’article 45 de la Constitution de 1958.
Cela veut dire que les parlementaires ne seront pas associés à la prise de décision, ni les députés, ni les sénateurs.
Par contre, les autres textes seront gelés jusqu’à l’arrivée du nouveau Gouvernement, qui ne sera peut-être pas si nouveau.
Même joueur joue encore ?
Les députés peuvent renvoyer les ministres. Mais, le président de la République peut nommer le même Premier ministre, qui lui-même pourra nommer les mêmes ministres, aux mêmes fonctions.
En effet, rien n’interdit cette pirouette. Politiquement, ce serait risqué puisque rien n’empêche les députés de déposer une nouvelle motion de censure, qui serait votée et ainsi de suite.
L’autre astuce utilisée par Emmanuel Macron pourrait être de rejouer la même carte que durant l’été, à savoir de renommer Michel Barnier, sous couvert de Gouvernement technique — ce qu’il est déjà en réalité — et de faire patienter les Français plusieurs semaines.
2027 dans le viseur de tout le monde, 2025 aux oubliettes
La façon dont tous les députés se poussent du col pour agiter la menace de la censure est une façon d’avancer ses pions pour l’élection présidentielle de 2027. Sauf à ce qu’elle en soit judiciairement empêchée, Marine Le Pen se présentera. Jean-Luc Mélenchon sera également présent, excepté évènement imprévisible. François Hollande est redevenu député pour empêcher Olivier Faure de monter. Edouard Philippe y pense en regardant Le Havre. En clair, il y a autant de prétendants à l’Élysée qu’il y a de concept-stores dans Paris.
Le problème est qu’entre-temps, il existe certains dossiers urgents à régler. Il y a le budget avec son déficit, mais, il y a aussi les transpositions européennes, dont la directive NIS2 et les sujets de la vie quotidienne : le pouvoir d’achat, la sécurité, la santé, l’éducation, etc. Sans oublier une autre élection : les municipales. Importantes localement, elles le sont aussi au niveau national. Ce sont les élus locaux qui votent pour les sénateurs.
Or, personne ne veut prendre le risque d’aller à Matignon, de peur de se « cramer ». Et si un Gouvernement qui tombe lors d’une motion de censure est un spectacle extraordinaire pour les journalistes parlementaires, les différents mouvements sociaux qui fleurissent aux quatre coins de France ne risquent pas de se réduire s’il n’y a plus personne aux manettes.
L’hypothèse absurde de l’article 16
Pour une raison inconnue, certaines voix ont murmuré qu’en face d’une motion de censure qui aurait réussi, le président de la République pourrait recourir à l’article 16.
L’article 16 de la Constitution permet au président de la République de prendre des décisions, quand il y a une menace grave et immédiate des institutions de la République, de l’indépendance de la Nation de l’intégrité de son territoire, de l’exécution de ses engagements internationaux et de l’interruption du fonctionnement régulier des institutions.
Les conditions de fond sont très restrictives en réalité et même si la configuration politique actuelle est assez chaotique, elle ne justifie pas le recours à l’article 16. La seule fois où l’article 16 a été actionné est durant le putsch des généraux en Algérie.
53 % des Français favorables à la censure de Michel Barnier
Pour nos confrères de la Tribune, IPSOS a réalisé un sondage : 53 % des Français sont favorables à la censure du Gouvernement de Michel Barnier, en particulier les Français de gauche et ceux de l’extrême-droite.
Reste à savoir si un nouveau Gouvernement sera plus en adéquation avec un pays qui est très fracturé politiquement.