La France est-elle ingouvernable en cas de majorité relative ? Non
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Chienlit, désordre, instabilité : la France sera-t-elle ingouvernable en cas de majorité relative ?

Maintenant que la campagne pour les élections législatives est officiellement lancée et que toutes les candidatures ont été enregistrées, les éléments de langage sont de sortie. Ainsi, Gérald Darmanin a indiqué sur le plateau de Touche Pas à Mon Poste qu’aucun grand texte n’était sorti du Parlement depuis deux ans. Emmanuel Macron a parlé de chienlit et Jordan Bardella a indiqué qu’il fallait une majorité absolue pour son parti pour gouverner. 

Les trois fonctions du député : un immuable peu importe la couleur

Le spectre de la France ingouvernable est agité et pourtant, les chiffres et les faits sont têtus. Sous la XVIe législature — 2022 à 2024 — l’Assemblée nationale était en majorité relative. S’il n’y a eu aucune négociation avec les parlementaires — y compris ceux issus de la majorité présidentielle — sur les textes budgétaires et la réforme des retraites, qui ont été réglés à coups d’article 49 alinéa 3, dire que c’était la chienlit est au choix, une insulte ou le signe d’une méconnaissance profonde du Parlement.

Dit autrement : oui, l’Assemblée nationale a fonctionné en majorité relative. Bruyamment certes. Mais, elle a fonctionné. Pour le comprendre, il faut revenir sur les trois missions du député.  

Quelles sont les trois fonctions d’un député ? Il doit élaborer et voter la loi, contrôler l’action du Gouvernement et évaluer les politiques publiques. 

Peut-on savoir combien de projets de loi, de propositions de loi, de résolutions ont été adoptés ? Oui, car l’Assemblée nationale a fourni des statistiques

La productivité législative de l’Assemblée nationale en majorité relative : des indicateurs similaires sous les deux législatures

Les projets de loi sont les textes législatifs produits par le Gouvernement. Les propositions de loi sont des textes venant des parlementaires, aussi bien des députés que des sénateurs. 

Pour la XVIe législature, 120 projets de loi ont été déposés.

Quatre-vingt-un ont été adoptés, soit 67,50 % des textes gouvernementaux. 1 438 propositions de loi, dont 1 260 provenant des députés, ont été enregistrées.

Soixante ont été adoptées dont 36 viennent de députés. Un total de 141 textes a été enregistré comme étant définitivement adopté.

Enfin, pour la XVIe législature, il y a eu 99 115 amendements déposés, 5 031 ont été adoptés. Pour avoir le détail par groupe, il faut consulter le portail open-data de l’Assemblée nationale.

Sous la XVe législature, il y a eu 320 projets de loi. 240 ont été adoptés, soit 75 % des textes gouvernementaux. 2 419 propositions de loi ont été enregistrées, dont 2 226 venaient des députés. 114 ont été adoptées dont 81 provenant de l’Assemblée nationale. Un total de 354 textes définitivement adoptés a été enregistré.

Pour les amendements, 200 173 ont été déposés et 16 084 ont été adoptés. 

On constate que la production n’a pas vraiment connu de freins. L’activité parlementaire, plus précisément la production de la loi n’a aucun frein. Les proportions sont quasiment identiques. Le seul indicateur qui a réellement progressé est le nombre de propositions de loi déposées, mais cela s’explique par le fait que l’Assemblée nationale était en majorité relative. Par ailleurs, une proposition de loi déposée ne signifie pas qu’elle soit examinée. 

L’évaluation et le contrôle sous la XVIe législature : une activité accrue sous la XVIe législature

En deux ans, il y a eu 226 rapports d’information. Sous la XVe législature, il y en avait eu 516, soit 103 par an. Là encore, les proportions sont similaires.

La XVIe législature s’est distinguée par son grand nombre de commissions d’enquête. Il y en a eu 19. Les commissions d’enquête parlementaires sont à la fois un outil d’évaluation des politiques publiques et une action de contrôle du Gouvernement. Sous la XVe législature, il y en a eu 25. 

Absence de grands textes ou problème de mémoire ?

Qu’en est-il de l’absence de grands textes pour reprendre la formule utilisée par Gérald Darmanin chez Hanouna ? Peut-on dire que l’inscription de l’IVG dans la Constitution, volonté née d’une rencontre parlementaire entre plusieurs groupes, n’est pas un grand texte ? Si la loi influenceur, portée par Stéphane Vojetta et Arthur Delaporte n’est pas un grand texte sociétal comme pouvait l’être la loi sur le mariage pour tous, on ne peut pas nier son impact. 

La réalité est que les textes qui ont « bien » abouti sont le fruit d’un travail entre parlementaires, opposition comme majorité, qui ont trouvé un terrain d’entente, ce qui n’avait pas été possible sous la XVe législature. On se souvient de l’effroi suscité par le rejet de la proposition de loi Pradié sur la déconjugalisation de l’allocation adulte handicapé, sous la XVe législature

L’application de la loi, la chienlit gouvernementale

Alors, « Sans dissolution, cela aurait été la chienlit » comme le dit Emmanuel Macron ? Il ne semble pas. Tout comme il ne paraît pas juste de dire que si la configuration de la XVIIe législature ressemble à celle de la XVIe, à savoir une majorité relative, la France serait ingouvernable. 

À l’inverse, il y a effectivement un domaine dans lequel la productivité a chuté entre la XVe et la XVIe législature : l’application de la loi.

Selon le baromètre fourni par l’Assemblée nationale, le taux moyen d’application des lois est de 56 %. Sous la XVe, il était de 94 %. De là à penser que la seule chose qui soit ingérable est le Gouvernement, il n’y a qu’un pas.