Le point de départ de la flambée de violence sous la XVe législature
Actualités

Chroniques de la violence ordinaire : le point de départ

De juin 2017 à juillet 2018, la majorité présidentielle a traversé le mandat sans encombre. Puis, surviennent l’affaire Benalla, les Gilets Jaunes, la réforme des retraites, le COVID. Mais le point de départ est peut-être antérieur à l’affaire Benalla.

Revirement sur le glyphosate

Le président de la République, par opposition à Donald Trump, a voulu se donner une image d’écologiste engagé, en faisant de la sauvegarde de l’environnement, un de ses points forts. 

La France a également choisi de ratifier le Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA). Il s’agit d’un accord commercial bilatéral de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, supprimant des droits de douane. Il a soulevé de nombreuses inquiétudes, aussi bien à droite qu’à gauche. En premier lieu, le texte établit que le règlement des contentieux se fasse devant un tribunal spécifique, indépendant des juridictions nationales. L’autre point de crispation concerne l’agriculture, car le Canada a des règles moins contraignantes que l’Union européenne. Notons aussi que dans le cas de certaines filières, les normes ne sont pas adaptées aux exigences communautaires. Enfin, le processus de négociation autour du texte a été jugé opaque.  

D’habitude, la ratification des traités internationaux ne fait pas partie des sujets sur lesquels l’opinion publique se focalise, mais elle est intervenue en juillet 2019. La France a connu plusieurs mois de contestations avec le mouvement des Gilets Jaunes et le vote de loi sur l’agriculture a sérieusement entamé le crédit que les Français pouvaient accorder aux velléités écologiques du Gouvernement. 

Le 27 novembre 2017, Emmanuel Macron tweete  : « J’ai demandé au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l’utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans trois ans. #MakeOurPlanetGreatAgain ». 

Le 24 janvier 2019, il se rétracte lors d’un débat citoyen : « Je sais qu’il y en a qui voudraient qu’on interdise tout du jour au lendemain. Je vous dis : un, pas faisable, et ça tuerait notre agriculture. Et même en trois ans on ne fera pas 100 %, on n’y arrivera, je pense, pas ». 

De l’esprit du Président à la lettre des députés

Que s’est-il passé entre-temps ? Lors de l’examen du projet de loi sur l’agriculture, le député Matthieu Orphelin, s’inscrivant dans la promesse présidentielle, propose un amendement interdisant le recours à ce pesticide. L’exposé des motifs est sans ambiguïté : « Cet amendement vise à inscrire dans la loi les engagements du président de la République concernant la sortie du glyphosate en trois ans lorsque des alternatives existent. En effet, comme l’a souligné Emmanuel Macron “je n’imposerai jamais une sortie s’il n’y a pas d’alternative crédible parce qu’on ne peut pas laisser un agriculteur sans solution”. Cet amendement inscrit donc aussi une période de transition en permettant des dérogations qui seront encadrées par un travail conjoint entre les ministres chargés de l’Agriculture, de l’environnement et de la santé ».  
Seulement 20 députés voteront pour l’adoption de l’amendement et tous les députés ou presque seront pris à partie sur ce sujet.

Premier sujet d’indignation : l’absence lors du vote. Intervenu le mardi 29 mai 2018, aux environs de 1 h du matin, les absents sont forcément fautifs dans l’esprit des Français. Or, la coutume veut que les députés spécialistes des questions examinées soient présents lors de l’examen de séance. On rappellera également que traditionnellement, il n’y a pas de séance le lundi, afin de permettre aux députés d’être en circonscription.

Second sujet d’indignation : les députés qui ont voté contre l’amendement ou qui se sont abstenus. Là encore, la liberté de vote des députés est souvent mal comprise ou mal acceptée.
Lors de la nouvelle lecture du texte, François-Michel Lambert dépose à son tour un amendement plus ou moins identique. « Suivant la promesse du président de la République tendant à proposer une sortie progressive de l’usage du glyphosate d’ici à 2021, l’amendement ainsi proposé se borne à tirer les conséquences les plus claires de cet engagement de campagne afin de promouvoir une alimentation et des productions agricoles plus saines et plus respectueuses de l’environnement au regard de la toxicité avérée sur différents organismes vivants. ». Il est rejeté : 42 voix contre et 35 pour.  

Sous la terre, le pétrole

Sur le terrain, les députés paient ce rejet « Allez-vous faire foutre les empoisonneurs au glyphosate ! » Ils reçoivent des courriers menaçants, des insultes, des menaces de mort, etc. Le Gouvernement et sa majorité ont tenté de ménager la chèvre et le chou sur ce dossier : poser des objectifs en matière d’agriculture durable tout en essayant de ne pas fâcher les syndicats agricoles, notamment la FNSEA. La Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles s’était montrée très réservée sur l’interdiction de ce pesticide lors de la déclaration d’Emmanuel Macron. Elle soutenait que cela créerait une distorsion de concurrence entre les États où le glyphosate est autorisé et ceux où il est interdit. Pour son secrétaire général, « l’arrêt du glyphosate entraînerait un surcoût de deux milliards d’euros pour l’économie française, alors qu’un tiers des agriculteurs vit aujourd’hui avec moins de 350 euros par mois. Quand on sait que d’autres pays n’auront pas à subir ce surcoût, cela revient à poser un boulet à l’agriculture française. »  

Les députés ont perdu sur les deux tableaux : la FNSEA n’est pas satisfaite et les citoyens sensibilisés à cette question ne le sont pas non plus. Le texte sur l’agriculture n’est pas vu comme un véhicule législatif respectueux de l’environnement. Dans ce contexte, la taxe carbone ne pouvait que mettre le feu aux poudres. 

La taxe carbone ne date pas du quinquennat d’Emmanuel Macron. Il s’agit d’une mesure évoquée lors du protocole de Kyoto en 1997, créant une contribution financière, afin d’inciter particuliers et entreprises à changer leurs habitudes de consommation énergétique. En résumé : plus de vélo et moins d’auto. Mais ce qui peut fonctionner pour les citadins bénéficiant notamment d’un réseau de transports en commun à peu près efficient, s’analyse comme de l’écologie punitive pour les personnes vivant en périphérie et dépendant très fortement de la voiture. 

Entre 2014 et 2017, les prix du pétrole ont baissé, faisant que cette augmentation de fiscalité sur les carburants était quasiment indolore. Mais à la moitié de l’année 2017, le prix du baril a commencé à augmenter et d’après l’INSEE, de 42,4 € en juin 2017, il est passé à 65,2 € en mai 2018 puis 70,6 € en octobre 2018. En 2018, les taxes sur le carburant représentaient 60 % du prix du diesel. D’après le Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA), en 2018, les véhicules diesel représentaient 38,87 % du parc automobile français et les véhicules essence, 54,67 %. Lors du premier projet de loi de finances de ce quinquennat, la taxe carbone avait été augmentée et devait l’être à nouveau pour 2019. Entre-temps, les Français l’ont ressenti sur leur pouvoir d’achat : 23 % de plus sur le diesel et 14 % sur l’essence. Le Gouvernement a tenté de faire passer la pilule en expliquant que les taxes perçues financeraient la transition énergétique. Or, sur les 37,7 milliards d’euros de recettes fiscales estimées par la perception de cette taxe carbone, seulement 20 % seront strictement destinés à financer l’aide au développement, les énergies renouvelables et les infrastructures de transport. 

Ce dispositif est perçu comme une forme d’écologie punitive : on pénalise des personnes qui sont dépendantes de la voiture pour travailler, pour des raisons écologiques alors que le Gouvernement a reculé sur le glyphosate et sur le CETA.  

La suite est connue : le mouvement des Gilets Jaunes est né et a duré un an. Si le plus fort du mouvement a eu lieu entre novembre 2018 et mars 2019, des manifestations se sont tenues quasiment tous les week-ends. Il s’est temporairement apaisé durant le mouvement social lié à la réforme des retraites, car les syndicats ont pris le relais si on peut dire les choses ainsi. 

Le plus frappant dans les témoignages recueillis auprès des députés est la découverte totale du phénomène. Les élus qui n’en ont pas à leur premier mandat reconnaissent que la haine envers la classe politique est montée d’un cran, mais ils admettent aussi que rien n’avait préparé les nouveaux députés à ce qui allait leur arriver. Certains le vivent plus mal que d’autres : une député de la majorité parle de violences à son encontre pour des stickers collés sur ses affiches de campagne et d’autres vont relativiser, attribuant ce type d’action à du folklore et non à de la violence.