La cohabitation gouvernementale : le nouveau jeu de Bruno Retailleau
Il aura fallu presque un mois avant que Sébastien Lecornu ne nomme son gouvernement. Aussitôt nommé, aussitôt vilipendé. Il faut admettre qu’en guise de rupture, on a déjà vu mieux. Il a été nécessaire utiliser un comparateur de texte pour jouer au jeu des sept différences entre le Gouvernement Bayrou 1ᵉʳ et le Gouvernement Lecornu 1ᵉʳ.

Parmi les sacrifiés, Éric Lombard, qui n’était pas le plus exaspérant des ministres, même de l’avis des parlementaires de gauche. Les autres ont quasiment tous gardé leur poste, à commencer par Bruno Retailleau.
Dès l’annonce du Gouvernement, l’opposition de gauche a brandi la menace de la censure, invoquant une forme de mépris. Quand on prône la rupture, elle doit se voir et cela commence par un changement de casting. Sur les nouveaux ministres, seuls deux n’ont jamais été ministres par le passé : Matthieu Lefèvre, qui sera chargé des relations avec le Parlement et Naïma Moutchou ministre de la transformation et de la Fonction publique, de l’intelligence artificielle et du numérique. Tous les autres ont déjà eu un portefeuille gouvernemental, avec plus ou moins de succès.
Mais, ce qui a surpris tout le monde, c’est le message tonitruant de Bruno Retailleau sur X (anciennement Twitter) « La composition du Gouvernement ne reflète pas la rupture promise. Devant la situation politique créée par cette annonce, je convoque demain matin le comité stratégique des Républicains ».
On connaissait le concept de cohabitation. C’est lorsque le président de la République n’obtient pas de majorité à l’Assemblée nationale — cas d’Emmanuel Macron — ou que le président de la République et le Premier ministre ne sont pas du même parti — cas de Jacques Chirac. On connaissait les cas dans lesquels, certains ministres ne peuvent pas se souffrir entre eux et doivent se retrouver tous les mercredis au Conseil des ministres. Mais, on n’avait encore jamais vu le concept de cohabitation gouvernementale, à savoir qu’un ministre de l’Intérieur fait la leçon à son supérieur hiérarchique, à savoir Sébastien Lecornu.
Officiellement, la raison de ce coup d’éclat est Bruno Le Maire, qui hérite du portefeuille des armées. Bien naïf celui qui croit à cette fable. La réalité se cache dans 2027. Souvenez-vous : la semaine dernière, lors du pot offert aux militants de la campagne de Michel Barnier, quelqu’un avait scandé un joyeux « Retailleau 2027 ! », repris par plusieurs militants, que ce dernier avait accueilli avec les joues roses et le sourire éclatant.
Bruno Retailleau veut marquer la rupture, en utilisant son ministère comme marchepied vers l’Élysée comme l’ancien président du parti : Nicolas Sarkozy. Comme lui, il est premier flic de France. Comme lui, il a pris la tête du parti. Mais, n’est pas Sarkozy qui veut, car l’animal est profondément politique et avait officiellement la même couleur que son patron.
À l’inverse, cela fait un mois que Bruno Retailleau fait tout pour asseoir son autorité, afin de montrer qu’il est le chef légitime et donc le candidat naturel. S’il a gagné les élections internes au sein du parti, certains rivaux ne sont pas prêts à lui laisser le flambeau de la présidentielle. En premier lieu, un certain Laurent Wauquiez, qui n’a pas sauté de joie devant le retour de Michel Barnier à l’Assemblée nationale.
Derrière ces querelles de boutiquiers, il subsiste une réalité : il est assez probable que ce gouvernement ne survive pas très longtemps. Tout repose — encore une fois — sur le Rassemblement National. Si le groupe de Marine Le Pen décide de voter la motion de censure qui sera déposée par l’opposition de gauche cette semaine, ce gouvernement aura eu une durée de vie plus courte que celle d’un papillon.
Dès lors, il n’y a pas de budget à courte échéance, avec tout ce que cela entraîne comme blocages, ralentissements et dégradations. Derrière une absence de budget, ce sont des CDD dans l’administration qui ne sont pas renouvelés, faute de visibilité. Ce sont des budgets de collectivités territoriales qui sont réduits et donc des marchés publics, passés à des entreprises françaises qui ne sont pas délocalisables, qui ne sont pas passés. Ce sont des propriétaires de biens immobiliers qui ne mettent pas leurs biens sur le marché, ne sachant pas ce qu’il adviendra de la fiscalité sur le patrimoine. Ce sont des investisseurs, qui hésitent à s’installer en France, en raison de l’instabilité politique.
Les Républicains n’ont que le mot « responsabilité » à la bouche. Ils devraient transmettre la définition de ce mot à leur chef, qui a manifestement perdu son dictionnaire, depuis qu’il est devenu ministre.
