En faisant le moins possible, les députés ont tout simplement tué la commission d'enquête
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Comment le RN a tué les ingérences étrangères

C’est une affaire entendue que les députés n’ont pas joué la carte du sérieux sur la commission d’enquête sur les ingérences étrangères. Politiquement, on peut se dire qu’ils ont eu raison de prendre le sujet par-dessus la jambe. Pourtant, ils auraient dû potasser le règlement de l’Assemblée nationale.

L’Assemblée nationale — tout comme le Sénat — est une chambre parlementaire indépendante. Cela signifie qu’elle peut décider de ses propres règles. Par exemple, si elle décide que tous les députés doivent porter leur écharpe tricolore pendant les séances de Questions au Gouvernement, elle le peut. Il suffira de mettre à jour le règlement. Il existe une procédure spécifique, mais le plus important à retenir est que chaque député doit connaître son règlement de l’Assemblée nationale sur le bout des doigts. 

Évidemment, ce n’est pas le cas et les postures sont plus importantes que le respect des règles, comme l’a montré la recevabilité de la commission d’enquête sur les ingérences étrangères par la commission des lois. Mais, il y a pire. 

L’article 138 du règlement de l’Assemblée nationale indique « Est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145‑1 ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre ». En langage plus clair, cela signifie tout simplement que la thématique des ingérences étrangères ne peut plus faire l’objet d’une commission d’enquête avant juin 2024. 

Peut-on essayer de biaiser en proposant une commission d’enquête qui aurait une thématique proche ? Malheureusement non, en raison même de l’objet : « établir s’il existe des réseaux d’influence étrangers qui corrompent des élus, responsables publics, dirigeants d’entreprises stratégiques ou relais médiatiques dans le but de diffuser de la propagande ou d’obtenir des décisions contraires à l’intérêt national ».

La thématique même de l’influence par des États est écartée du débat public pendant un an. Or, si la Russie est évidemment à l’honneur dans le rapport, ce n’est pas le seul État concerné. D’autres pays pourraient faire l’objet d’interrogations, notamment un qui a été totalement écarté de la commission d’enquête : l’Inde. 

Les abonnés du Canard Enchaîné en ont peut-être entendu parler. En 2020, EU DisInfo Lab a publié une investigation très complète sur des opérations d’influence et de désinformation, auprès du Parlement européen et des Nations Unies. Nous renvoyons le lecteur vers l’enquête

Quiconque a lu la diatribe enfantine du président de la commission d’enquête, figurant en début de rapport, pourrait s’imaginer que cette omission de l’Inde est due à un manque de temps. En effet, par tradition, quand une commission termine ses travaux, il y a une introduction du rapporteur et une introduction du président de la commission. S’étalant sur une soixantaine de pages, Jean-Philippe Tanguy laisse sous-entendre que la commission n’a pas pu mener ses travaux aussi loin qu’il l’aurait souhaité. Il indique qu’il aurait souhaité interroger plus de personnes. 

On aurait pu y croire, si l’on n’avait pas regardé le calendrier des auditions : en tout, il y a seulement eu 35 réunions de la commission, dont une bonne partie consacrée à des auditions de chercheurs ou de journalistes. C’est relativement peu, surtout quand on sait que les commissions d’enquête sont limitées à six mois d’existence. 

Par ailleurs et sans faire offense à qui que ce soit, les questions posées aux chercheurs et aux journalistes ont davantage montré que les députés n’ont pas lu les travaux des personnes auditionnées. Ainsi, la plupart des questions posées à Maxime Audinet trouvaient leurs réponses dans son livre consacré à Russia Today. En résumé, la commission d’enquête a servi à donner des cours de rattrapage sur ce sujet aux députés, mais d’enquête, il n’en est pas question. 

Il est très mal venu de la part de Jean-Philippe Tanguy de déplorer le manque de profondeur des auditions : en effet, en tant que président de la commission, il était celui qui avait la main sur l’agenda et les personnes auditionnées. Il ne peut même pas prétendre que la réforme des retraites a balayé la commission d’enquête : en croisant les agendas, on se rend compte que les deux éléments ne se sont quasiment jamais percutés. Même chose pour les suspensions de séance (comprendre les vacances) : il y a eu une interruption entre le 20 février et le 26 février 2023 et une autre, du 17 avril au 30 avril 2023. Jean-Philippe Tanguy a eu 85 jours* devant lui. Il y avait largement de quoi faire plus de 35 réunions

Le RN a tué la thématique des ingérences étrangères, en ne faisant absolument pas preuve de sérieux, avec la complicité bienveillante des députés, qui ont pratiqué la politique de la chaise vide. Tout cela, pour un rapport creux, aux recommandations superficielles, comme nous le verrons prochainement.

*Le calcul a pris en compte les vacances, la niche parlementaire RN, les jours fériés et les week-ends.