10 jours de débat pour rien : le gâchis gouvernemental du projet de loi de financement de la Sécurité sociale
On savait que les délais d’examen étaient fortement contraints sur les textes budgétaires. Le péché originel en revient au président de la République qui a mis un temps infini à nommer un Premier ministre. Lui-même a eu besoin de quelques jours pour trouver ses ministres, ministres qui devaient aussi être « validés » par la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP). Ce n’est qu’à la fin du mois de septembre 2024 qu’un Gouvernement a été formé, trop tard pour convoquer une session extraordinaire.
Pourtant, ces quelques jours auraient été nécessaires pour commencer l’examen des textes budgétaires, projet de loi de finances pour 2025 (PLF) et projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025. À la clef, beaucoup d’économies pour équilibrer les comptes et une menace : si le Premier Ministre dégainait l’article 49 alinéa 3, les députés étaient prêts à censurer le Gouvernement. Il fallait donc laisser le temps aux députés de débattre.
Du temps, c’est justement ce qu’il leur a manqué. Car, ce n’est que le 16 octobre 2024 que le PLF est arrivé devant la commission des finances et le 21 octobre 2024 pour le PLFSS devant la commission des affaires sociales. Soit deux semaines trop tard.
Or, les textes budgétaires ont une particularité : ils ont un calendrier constitutionnel à respecter. Contrairement à un autre type de texte, on ne peut pas décaler d’une semaine. Chaque jour de retard se paie très cher.
Les députés auraient-ils pu déposer moins d’amendements sur les deux textes ? Oui et non. Oui, car sachant les délais contraints, surtout pour des amendements identiques où il est évident qu’ils se sont copiés les uns sur les autres, ils auraient pu travailler de concert. Non parce que cela faisait au moins deux ans qu’ils étaient privés de débats budgétaires. Ajoutons qu’au milieu, il y a eu un débat sur la dette, la niche parlementaire du Rassemblement National et un jour férié. Autant de temps en moins pour les textes budgétaires.
Si le PLF revient jeudi en séance publique pour la suite de son examen, le PLFSS a signé son arrêt de mort ce mardi 5 novembre 2024 à 23 h 59. La raison ? Trop d’amendements restants en discussion : plus de 400. Question : qui en a déposé le plus ? Sur les 2375 amendements déposés pour la séance publique, Thibault Bazin en a déposé 178. Yannick Neuder, rapporteur général du texte, en a déposé 178. La droite républicaine a déposé 596 amendements, suivi d’Ensemble pour la République, avec 321 amendements. Le socle commun est l’auteur de 38.61 % des amendements déposés.
Sentant qu’ils ne pourraient pas finir l’examen du texte dans son ensemble, les députés de gauche avaient demandé que l’article 23 soit appelé en priorité, dès lundi après-midi. Pourquoi ? Parce que c’était l’article qui prévoit le gel de l’indexation des pensions de retraite durant six mois. Or, comme le texte dans son ensemble avait été rejeté en commission des affaires sociales, les députés travaillaient sur la version initiale du texte. Le gel s’appliquait donc indistinctement aux grosses pensions de retraites comme aux plus modestes, exception faite des pensionnés qui perçoivent l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) ou l’allocation du minimum vieillesse (ASV). Il y avait un front uni pour supprimer cet article, sur tous les bancs de l’hémicycle.
Mais, il fallait passer un obstacle : les amendements après l’article 18. Il y en avait 210. Et c’est à cet endroit que se sont arrêtés les députés.
Que s’est-il passé depuis lundi ? Comme chacun sait, si les députés ont un temps d’expression limité pour défendre leurs amendements, une à deux minutes, le rapporteur et le Gouvernement ont un temps de parole illimité. Dont ils n’ont pas manqué de faire usage. Au point que mardi soir, sur des amendements sur la taxe lapin, le rapporteur et la ministre de la Santé ont procédé à de longs développements où chacun racontait sa pratique médicale.
Cela n’a pas manqué d’agacer les députés, qui voyaient les minutes filer. En somme, le Gouvernement et le rapporteur ont fait de l’obstruction parlementaire. Pourquoi ? Parce que le texte n’avait plus aucun rapport avec la copie initiale voulue par le Premier Ministre. Les députés du socle commun étaient absents lors des scrutins, la gauche de l’hémicycle a donc pu (presque) tranquillement faire voter ses amendements.
À 21 h 30, il était encore possible, avec un prolongé – fait de prolonger la séance publique au-delà de minuit – de terminer l’examen du texte, si tout le monde y mettait de la bonne volonté.
À minuit, la ministre des relations avec le Parlement a annoncé que le texte partait au Sénat, utilisant l’article 47-1 de la Constitution. Certains amendements seront conservés. Lesquels ? On ne le sait pas à ce stade. Mais, le Sénat étant à droite, on a une vague idée du sort qui sera réservé aux amendements de gauche.
C’est la première fois que les députés ne vont pas au bout de l’examen d’un PLFSS. Mais, c’est aussi la première fois que les Français sont obligés d’attendre trois mois pour avoir un Gouvernement.
Les députés reprendront l’examen du PLF pour 2025 mercredi. Alors que le programme prévoyait des séances pour le week-end, l’agenda a été mis à jour et ne prévoit que la journée de jeudi et de vendredi, ainsi qu'une partie du mercredi, pour examiner les 1471 amendements restants.
Ce n’est pas un 49 alinéa 3 mais, il a le même goût amer pour les députés. Quant aux Français, il faut espérer qu’ils soient concentrés sur l’élection présidentielle américaine, pour oublier que les députés pour lesquels ils ont voté en juillet 2024, ne sont finalement pas consultés pour les textes budgétaires.