47 millions pour accueillir des visiteurs : un chantier inopportun

La fameuse porte des Quatre Colonnes menant au jardin, qu’on rêve de démolir à coups de masse, au regard de son inefficacité thermique.
La fameuse porte des Quatre Colonnes menant au jardin, qu’on rêve de démolir à coups de masse, au regard de son inefficacité thermique.

Nos confrères de Radio France / France Info rapportaient une nouvelle extravagante en ces temps de sévérité budgétaire : un chantier de 47 millions serait prévu pour rénover l’accueil des visiteurs de l’Assemblée nationale. Notons qu’il s’agit probablement d’un budget sur plusieurs années, qui prévoit de changer l’entrée par laquelle les visiteurs entrent, d’aménager un espace avec une cafétéria, un auditorium, etc. Objectif : faire de l’Assemblée nationale un lieu ouvert et gratuit, pour des visites civiques et citoyennes.

Intention louable s’il en est, mais qui doit être mise en perspective avec les moyens et les missions actuels. Car, avant d’être un détour pour touristes, l’Assemblée nationale est un lieu de travail pour approximativement 6 000 personnes : députés, agents — fonctionnaires ou contractuels — collaborateurs parlementaires, personnels de sécurité et journalistes. Le constat est sans appel : les bâtiments ne sont pas fonctionnels. 

L’Assemblée nationale, cette passoire thermique

« C’est une passoire thermique. En été, on crève de chaud, en hiver, on est mort de froid » explique Andy Kerbrat. À tel point que des polaires, floquées du logo de l’Assemblée nationale sont données aux agents durant les mois froids, afin qu’ils ne congèlent pas en salle des Quatre Colonnes et aux pas perdus. 
Car, la fameuse salle où les journalistes tentent de dialoguer avec les députés — entre deux cortèges de visiteurs — est certes très belle, mais, très mal isolée. Les grandes portes sont équipées de verres simples, à la peinture vermoulue, avec des espacements qui vaudrait à n’importe quel propriétaire, un détour devant un tribunal, s’il louait cette passoire à un locataire. 

D’ailleurs, la salle des Quatre Colonnes, on l’a mesuré aujourd’hui. Armé d’un mètre de chantier, sous l’œil ébahi des agents, on a pris les mesures. Elle fait 9,20 mètres sur 15,80, attendu que tout l’espace n’est pas disponible : des cordons confinent les journalistes dans un espace plus réduit. Quand la salle contient une vingtaine de journalistes — tous types de médias confondus — la salle est praticable.

Durant les questions au Gouvernement, il n’est pas rare que le double d’effectifs soit présent et à cela, il faut ajouter les visiteurs, qui aiment venir à ce moment-là, transformant les Quatre Colonnes en hall de gare, un jour de départ en vacances. 

Un Palais Bourbon hostile pour les personnes en situation de handicap

Les journalistes ont une salle dédiée pour travailler : la salle Empire. Mais, elle n’est pas non plus totalement fonctionnelle : il y a peu de tables et de chaises et le nombre de casiers est limité. Quant à y accéder, il vaut mieux être valide. L’ascenseur ne s’y arrête pas. Les escaliers sont un sujet glissant au sens propre. Plus d’un confrère ou d’une consœur y a dérapé. 

Même chose pour les tribunes presse : si l’ascenseur mène à l’étage, il reste des marches à gravir et les portes sont difficilement maniables. Un agent peut installer ailleurs les journalistes en situation de handicap. Quant aux guignols — les espaces réservés aux photographes — ils ne sont pas du tout accessibles. 
Problématique identique pour les toilettes : il y en a deux, l’une près de la salle Empire, l’autre près de la buvette des journalistes. Unisexes et vétustes, elles sont inaccessibles en fauteuil ou en béquille, tout comme la buvette des journalistes.

L’Assemblée nationale n’est pas accueillante pour les personnes en situation de handicap. Ni pour les visiteurs, ni pour les journalistes, ni pour les collaborateurs, ni pour les agents, ni pour les députés. Les députés Peytavie et Beaurain sont systématiquement aidés par des agents. Mais, ils ne peuvent pas y être autonomes. Avec l’inondation au 101 de la semaine dernière, la situation a empiré. Le tunnel qui menait du Palais Bourbon au 101 est fermé, tunnel qui permettait au député Peytavie de se déplacer plus facilement. 

Un frein dans la carrière pour les personnes en situation de handicap

« Comme l’Assemblée nationale n’est pas accessible, ça freine des carrières. Des gens qui auraient les compétences pour y travailler, soit comme agents, soit comme collaborateurs, ne postulent pas, car ils savent qu’ils ne seront pas autonomes » nous glisse un connaisseur. On peut noter que si un agent ou un collaborateur se retrouve en situation de handicap, de manière temporaire ou permanente, il risque d’en faire les frais professionnellement. 

« On est là pour aider les députés Peytavie et Beaurain, mais on ne devrait pas avoir à le faire. Ils devraient pouvoir être autonomes. Sauf qu’on a attendu l’élection de Peytavie pour construire une rampe ». 

En effet, Isabelle Attard, député sous la XIVe législature, avait eu un malencontreux accident durant son mandat, nécessitant l’usage d’un fauteuil roulant. Elle n’en avait pas gardé un bon souvenir et avait pesté sur ce sujet. Depuis 2016, les choses ne se sont pas vraiment améliorées. 

Des sujets plus essentiels que l’accueil des visiteurs à l’Assemblée nationale

« C’est vrai qu’on peut améliorer l’accueil des visiteurs, mais ce n’est pas une priorité ni une urgence. À l’Assemblée nationale, depuis la “réforme Bachelier” qui a ouvert la voie à la contractualisation, au détriment des concours de la fonction publique parlementaire, on a de plus en plus d’agents qui sont précaires, en CDD, pour lesquels il n’y a pas de titularisation ni de concours. Or, sans agent, l’Assemblée nationale ne peut pas fonctionner. C’est plus important que l’accueil des visiteurs » poursuit-il. 

On a aussi posé la question aux députés. Philippe Latombe est catégorique « OK pour l’accueil des visiteurs, mais on a besoin de plus d’argent pour les collaborateurs parlementaires et pour leurs frais de fonctionnement. Au Parlement européen, ils ont beaucoup plus de moyens et de meilleures conditions de travail ». 

Quasi même son de cloche chez Ségolène Amiot « on a besoin de salles de réunion et de bureaux. Dans mon bâtiment, nous n’avons pas de salle individuelle. Comment faire des entretiens individuels avec les collaborateurs si on ne peut pas s’isoler ? »

Sébastien Chenu, nouveau président de la commission spéciale chargée de vérifier et d’apurer les comptes, nous a indiqué qu’il allait justement regarder le dossier. 

Quant à Xavier Breton, il tempère « il ne faut pas mélanger les budgets. Il y a un vrai sujet sur l’accueil. C’est gênant de laisser les visiteurs attendre sous la pluie sur le Quai d’Orsay et ce ne sont pas des visites touristiques, mais des visites civiques et citoyennes. Cela ne rapporte rien électoralement. Néanmoins, on pourrait réfléchir à réguler les flux pour éviter que les journalistes et les visiteurs se retrouvent tassés au même endroit au même moment ». 

Aucun gain électoral, vraiment ? « Bien sûr que si ça rapporte en circonscription d’organiser des visites de l’Assemblée nationale. Ça permet de se faire bien voir dans les associations, etc.», ricane un député.       

Reste que les ambitions d’accueil vont devoir être revues à la baisse. En effet, plusieurs salles au 101, rue de l’Université ont été très endommagées la semaine dernière, suite à la tempête Kirk. La salle Victor Hugo a besoin de travaux, qui la rende indisponible pour un an.