Amendement Lafarge

examen pjl terrorisme - source Wikipedia

Lors de l’examen du projet de loi antiterrorisme, n°104 en commission et n°164 en séance publique, les députés du groupe France Insoumise ont présenté un amendement, dit amendement Lafarge, n°CL189 en commission des lois et n°252 en séance publique.

Sans surprise, cet amendement a été retoqué lors de son examen, car présentant à la fois des problèmes de forme et de fond, que nous allons examiner.

Un problème de forme

Notons tout d’abord que la rédaction de l’exposé des motifs était particulièrement mauvaise. Il convient de garder à l’esprit qu’une bonne rédaction de l’exposé des motifs est essentielle, car ce dernier permet aux juges du conseil constitutionnel de comprendre l’état d’esprit du législateur en cas de difficultés ainsi qu’aux différents juristes en cas de contentieux. Il ne s’agit donc nullement d’une question accessoire, mais bien d’un élément de compréhension de la loi, au même titre que les débats qui peuvent avoir lieu en commission ou dans l’hémicycle.

On relèvera que l’amendement déposé pour l’examen en commission des lois et celui pour la séance publique sont parfaitement identiques – fautes d’orthographe incluses.

Autre problème de forme : la commission. Bien qu’il s’agisse d’un texte concernant le droit pénal, dans la mesure où l’amendement vise spécifiquement une entreprise ou une société commerciale, cela concerne également la commission des affaires économiques, qui est compétente sur ce type de problématiques. Or, elle n’a pas été consultée et il n’est nulle part question, dans le projet, de mesures concernant ce type d’entité juridique.

Revenons à l’objet même du texte et à l’exposé des motifs du projet de loi, lors de son examen au Sénat, le 22 juin 2017 : à attribuer certaines prérogatives de l’état d’urgence à l’État, en période « normale », en visant uniquement les individus, personnes physiques. C’est pourquoi on peut légitimement considérer qu’il s’agit d’un cavalier législatif.

Enfin, dernier problème de forme, qui n’est pas le plus anecdotique : l’amendement proposé est déjà partiellement satisfait par le droit existant, ainsi que l’a rappelé le rapporteur lors des débats en séance publique, par l’article 421-2-2 du code pénal. Le lecteur attentif aura noté que c’est une satisfaction partielle, car cela concerne un problème de fond de l’amendement.

Un problème de fond

Qu’il soit clair dans l’esprit du lecteur que le texte présenté est une régression, car les mesures adoptées concernent des personnes pour lesquelles il y a des soupçons de participation à une entreprise terroriste. Nous ne sommes pas dans le cas d’individus mis en examen ou condamnés, faisant que nous nous retrouvons devant une aberration juridique, consistant à exercer des mesures répressives dans une procédure purement administrative.

Alors qu’ils avaient relevé – à raison cette monstruosité – les députés du groupe France Insoumise ont participé à l’entretien de cette anomalie par leur amendement. En effet, l’amendement propose qu’une entreprise, pour lesquelles il existe des raisons de penser qu’elle participe à une entreprise terroriste, puisse voir ses biens confisqués, par décision motivée du ministre de l’Intérieur. Là encore, il s’agit d’une décision de justice administrative et non d’une décision judiciaire, puisque le magistrat n’intervient pas, l’amendement ne proposant pas la moindre voie de recours.

Au risque d’énoncer des banalités, il s’agit quand même d’un amendement contraire au bloc de constitutionnalité, notamment en ce qui concerne la propriété privée. Au-delà de cette facétie, on notera avec délice que le groupe s’oppose à cette ère du soupçon généralisé, comme ils l’ont justement noté, mais n’hésitent pas à y participer si cela peut servir leurs intérêts médiatiques.

Le point que souhaitait pénaliser les députés était la participation du groupe Lafarge au financement de l’État Islamique, comme cela a été souligné dans la presse. Mais, là encore, le droit existant est satisfaisant et comme l’a indiqué le ministre de l’Intérieur, une information contre X a été ouverte à l’encontre de personnes qui auraient participé au financement du terrorisme. Anticipons dès maintenant la question : une commission d’enquête parlementaire n’est pas possible à ce stade, cette dernière ne pouvant pas porter sur une affaire en cours.

La question du financement du terrorisme n’est aucunement une question accessoire, plusieurs enquêtes ont souligné que l’État Islamique se comportait bien comme un état, en faisant commerce, en levant l’impôt et en frappant monnaie. Néanmoins, si tant est qu’il faille améliorer la législation, il aurait été plus pertinent de le faire dans un texte dédié, qui associerait la commission des affaires économiques, la commission des lois et la commission de la défense et des forces armées et comme les textes sont très bien faits, les groupes peuvent déposer des propositions de loi.

Évidemment, cette dernière option implique de travailler sur le fond de la question, ce qui laisse peu de place pour les effets de manche sur les plateaux télévisés.   

Commentaires

Pas mal. Cependant, un point m'étonne au début. Vu que je suis parfois un peu léger sur la complexité de nos lois, je me trompe peut être. Quand tu parles "Nous ne sommes pas dans le cas d’individus mis en examen ou condamnés" pour justifier une non correspondance (mauvaise expression de ma part), tu oublies selon moi que l'entreprise est une personne morale au même titre que n'importe quel citoyen. Donc, selon moi encore une fois, cela ne devrait pas être bloquant... Non ?

Si on était dans l'hypothèse où l'amendement proposé n'était pas déjà satisfait par le droit, ça serait tout de même problématique car le texte vise des individus, personnes physiques et non des personnes morales. Donc c'est bloquant.

Merci pour la précision. Du coup, ça pour le coup, ca aurait pu être un amendement intéressant à un texte déjà existant.

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