La démission d’Anne Grignon : subtilités de l’article LO134 du code électoral

Élection législative partielle à prévoir pour octobre 2022
Élection législative partielle à prévoir pour octobre 2022

Le webzine Actu nous informe que la député Anne Grignon va démissionner de son poste de député. Suppléante de Jean-Noël Barrot, elle venait à peine de prendre ses fonctions, ce dernier étant membre du Gouvernement. 

Engagement ancien et nouveau

Raison de cette démission ? Le recours 2022-5786 AN, déposé par Philippe Guibert devant le Conseil Constitutionnel, contestant l’élection de Jean-Noël Barrot. On ne connaît pas le motif de la contestation, mais Actu nous en donne la raison : l’article LO134 du code électoral. 

« Un député, un sénateur ou le remplaçant d’un membre d’une assemblée parlementaire ne peut être remplaçant d’un candidat à l’Assemblée nationale. » Or, Anne Grignon était en deuxième position sur la liste LREM pour les élections sénatoriales de 2017, dans les Yvelines. Si Martin Lévrier était amené à quitter son mandat de sénateur, elle prendrait immédiatement sa suite. 

Toujours dans Actu, Anne Grignon indique que ce « point de droit totalement absurde, non identifié par les services instructeurs lors de l’examen des candidatures et touchant directement à la liberté de candidature ». 

Incompatibilités de fond 

En réalité, il n’appartient pas aux différents services d’examiner les candidatures. En examinant la jurisprudence relative à l’article LO134 du code électoral, on constate que plusieurs décisions concernant des députés et leurs suppléants ont été rendues par les sages de la rue Montpensier. Il est vraisemblable que le ministère de l’Intérieur examine certaines irrecevabilités flagrantes (curatelle, tutelle, décès du candidat, etc.), mais il ne va pas au fond. Ainsi, sous la XVe législature, on se rappelle qu’une député avait perdu son mandat, suite à l’inéligibilité de son suppléant. Isabelle Muller-Quoy a perdu son siège, car son suppléant était président du conseil de prud’hommes de Pontoise du 18 janvier 2016 au 31 janvier 2017. Or, l’article LO132 indique que « les présidents des conseils de prud’hommes sont inéligibles en France dans toute circonscription comprise en tout ou partie dans le ressort dans lequel ils exercent ou ont exercé leurs fonctions depuis moins d’un an à la date du scrutin ».

Il y a donc une certaine mauvaise foi de la part d’Anne Grignon de dire que les services instructeurs n’ont pas relevé son éventuelle inéligibilité. Il lui revenait, ainsi qu’à Jean-Noël Barrot, de s’assurer que sa position de numéro 2 sur la liste LREM des Yvelines pour les sénatoriales, n’était pas de nature à faire annuler l’élection. 

Les conséquences auraient été différentes si Anne Grignon avait été en troisième, quatrième ou même sixième position sur la liste LREM des Yvelines pour les sénatoriales de 2017. En effet, dans la décision n° 2012-4578 AN du 7 décembre 2012, le Conseil Constitutionnel indique la chose suivante : « Considérant que l’inéligibilité instituée par l’article LO 134 du code électoral a pour objet d’assurer la disponibilité permanente de la personne appelée à remplacer le parlementaire dont le siège devient vacant ; que si cette inéligibilité fait obstacle à ce qu’un candidat à l’Assemblée nationale puisse choisir comme remplaçant la personne qui, en cas de vacance du siège d’un sénateur, serait immédiatement appelée à remplacer celui-ci, elle ne saurait être étendue aux autres personnes ayant seulement vocation à acquérir la qualité de remplaçant ». Il poursuit : « Considérant que M. Maggi figurait en neuvième position sur une liste de candidats aux élections sénatoriales qui se sont déroulées le 21 septembre 2008 dans le département des Bouches-du-Rhône ; que M. Maggi n’aurait été conduit à remplacer les sénateurs de sa liste qu’après les trois autres remplaçants qui le précédaient sur la liste ; qu’il n’avait pas, au jour de l’élection, la qualité de “remplaçant” d’un sénateur au sens de l’article LO 134 du code électoral ; que, dès lors, il pouvait se présenter comme remplaçant de M. Ferrand, candidat dans la 8e circonscription des Bouches-du-Rhône lors des élections législatives des 10 et 17 juin 2012 ». 

Loi obsolète

Si Jean-Noël Barrot avait choisi Virginie Rolland, également candidate sur la liste LREM pour les sénatoriales des Yvelines de 2017, en sixième position, il est fort probable que le Conseil Constitutionnel aurait appliqué la même logique. L’objectif de l’article LO134 est d’éviter qu’un député qui n’est plus disponible pour siéger ne laisse un siège vacant. 

Mais, au-delà du seul cas d’Anne Grignon et de Jean-Noël Barrot, cela pose une nouvelle fois la question du statut ou plutôt de l’absence de statut des suppléants de députés. Véritables doublures des députés, ils ne peuvent suppléer que dans des cas strictement limités par la loi, loi qui n’a pas été adaptée aux contraintes actuelles. Ainsi, un député malade ne peut pas être temporairement remplacé par son suppléant, alors que ce dernier a été légitimement élu. Il en va de même pour le député en congés de parentalité. Enfin, en 1964, les députés n’avaient pas la même charge de travail et le calendrier des sessions était différent. La seule « échappatoire » pour les députés est d’embaucher leur suppléant comme collaborateur parlementaire, afin que ce dernier puisse les représenter en circonscription, mais il s’agit d’une solution relativement bancale, qui ne tient pas compte des réalités professionnelles. 

Alors que certains députés plaident pour un retour au cumul des mandats, aucune refonte du statut de parlementaire ne semble être à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. En attendant, les électeurs de la deuxième circonscription des Yvelines devront retourner aux urnes aux alentours du mois d’octobre.  


Pour aller plus loin

Le suppléant de parlementaire : article et infographie.

Le suppléant de député - Minute Parlement.