Apathie générale et géobordel : la drôle de séance sur les ingérences étrangères

Jean-Philippe Tanguy a joué tout seul sur les ingérences étrangères  - Copyright AFP / Gauthier Bedrigans et Hans Lucas
Jean-Philippe Tanguy a joué tout seul sur les ingérences étrangères - Copyright AFP / Gauthier Bedrigans et Hans Lucas

Depuis la fin des travaux de la commission d’enquête sur les ingérences étrangères, on savait qu’un texte allait voir le jour. Ce qu’on ignorait était la nature du texte — projet de loi (Gouvernement) ou proposition de loi (députés) — et qui allait le déposer. Le voile de mystère a été levé par la proposition de loi, déposée par Sacha Houlié, président de la commission des lois.

Entre le dépôt et l’examen en séance publique du mardi 26 mars 2024, le texte a passablement évolué en élargissant le champ des entités qui devraient être dans le registre des agents étrangers. Le principe est simple : quiconque travaille de près ou de loin pour une puissance étrangère, doit figurer dans ce registre. L’article 2 prévoit un débat au Parlement. L’article 3 étend les capacités des services de renseignement pour analyser les flux électromagnétiques dans le cadre des ingérences. En termes plus simples : les services de renseignement pourront utiliser des algorithmes de surveillance dans le cadre de la lutte contre les ingérences.

L’article 4 s’intéresse aux peines en cas de non-respect des dispositions de l’article premier. Le texte a une date pour l’entrée en vigueur, le temps que la HATVP puisse se doter des emplois nécessaires, emplois conditionnés par le projet de loi de finances pour 2025. 

Sur le papier, tout était écrit pour que l’examen de ce texte vire au combat de catch. Certes, il y avait peu d’amendements déposés, seulement 162. Évidemment, nous sommes en semaine de l’Assemblée, avec un texte issu du Parlement. Ajoutons que nous approchons des vacances parlementaires et que la campagne pour les Européennes a commencé. Mais, le Rassemblement National et surtout Jean-Philippe Tanguy voulait faire de ce texte un match retour. 

Pourquoi ? Il faut revenir quelques mois en arrière. Il avait demandé la création d’une commission d’enquête parlementaire sur les ingérences étrangères. Il l’a obtenu et il pensait qu’il allait pouvoir blanchir son parti des accusations de collusions d’avec le Kremlin. Sauf que « le neuneu de service » comme il se définit lui-même n’a pas demandé à être rapporteur, mais président. Or, tout le monde sait que le poste clef dans une commission d’enquête est celui de rapporteur. 

Résultat, il a perdu en crédibilité, aussi bien auprès des autres députés qu’au sein de son groupe. À la fin de l’année 2023, il disait qu’il allait déposer une proposition de loi sur les ingérences étrangères. Il a encore une fois perdu la partie, puisque Sacha Houlié lui a grillé la politesse. 

Pour lui, c’était l’occasion de se réaffirmer. Problème : ses interventions tenaient plus du géobordel que de la géopolitique. Tour à tour, il a énuméré les entités qui pouvaient faire l’objet d’ingérences étrangères, dont l’UNICEF. Puis, il a accusé Greenpeace de ne jamais avoir œuvré contre les intérêts américains. Il a poursuivi en visant tous les partis politiques sauf le Rassemblement National et en fin de séance, il s’en est pris aux anciens Présidents de la République et aux anciens ministres. Délirant allégrement sur certains dossiers stratégiques, il a été rattrapé par la patrouille Schellenberger sur le dossier de l’énergie, qui lui le maîtrise bien. 

L’objectif qu’il semblait poursuivre était limpide : provoquer le clash. Après tout, il y a des chaînes TikTok à alimenter. Problème : le jeu manquait de subtilités et personne n’est rentré dedans. En conséquence, Jean-Philippe Tanguy a de nouveau joué seul. Si les autres députés de son groupe étaient présents — pas en totalité — on ne les a pas entendus ou peu durant le texte. À croire qu’ils ont préféré laisser le bateau Tanguy couler tout seul et faire la retape au meeting de Jordan Bardella ainsi qu’à des évènements organisés par le parti. 

Conséquence : la séance du soir était très calme, presque trop calme. Pour Sacha Houlié « je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi calme. Finalement, cela montre que lorsqu’on répond au fond, même en étant un peu mordant, les choses se passent bien. Tout le monde était calme et courtois ». Vraiment tout le monde ? « Il [Jean-Philippe Tanguy] a l’air totalement déçu. Il voulait se battre et on l’a esquivé ». 

Seule la bagarre a été esquivée, mais pas les questions de fond et en l’état actuel, le texte a l’air d’être bien parti pour être adopté demain aux alentours de 15 h. 

Car, si Jean-Philippe Tanguy n’avait pas inutilement pris la parole pour faire durer le supplice, le texte aurait pu être voté. Il a tenu le crachoir, faisant que les onze amendements restants seront examinés demain, après les Questions au Gouvernement. Même le président de séance, Sébastien Chenu avait l’air exaspéré par les longueurs durant la séance. 

N’est-ce pas brutal de parler de supplice pour une séance ? Le sujet est d’importance, néanmoins, un peu de vie dans les débats ne nuit pas pour tenir jusqu’à minuit et la monotonie de la séance n’a pas échappé à Jean-Charles Larsonneur. Si ce dernier était bien en séance durant l’après-midi, le soir, il a préféré rester au bureau, une oreille et un œil sur la séance, le reste plongé dans des formules mathématiques*. 

Le texte de Sacha Houlié sera-t-il voté ? On ne peut jamais prédire de manière certaine l’issue d’un texte. Néanmoins, il est probable qu’il sera adopté, même sans les voix du Rassemblement National et de La France Insoumise. 

Ces derniers vont probablement s’opposer au texte. Point le plus sensible : la surveillance algorithmique. Jusqu’à présent, la surveillance algorithmique était cantonnée à la lutte contre le terrorisme. Elle devait être étendue pour quatre ans aux ingérences étrangères. Finalement, la député socialiste Anna Pic a réussi à faire voter un amendement imposant un bilan à mi-parcours de l’expérience.  

Le texte va désormais rejoindre le Sénat. 


*Les députés disposent dans leur bureau d’une télévision. Cette dernière a un panel de chaînes qui ne sont accessibles qu’au sein de l’Assemblée nationale. Ils peuvent donc assister dans leur bureau aux séances publiques, aux séances en commission, etc. Et courir pour venir voter pour les scrutins publics. Les scrutins publics sont les votes électroniques. Ils sont annoncés par une sonnerie qui est déclenchée dans tous les bâtiments de l’Assemblée nationale. Un délai de cinq minutes doit être respecté avant le vote effectif en cas de scrutin public.