Balkanisation de l’Assemblée nationale : mode d’emploi

Un évènement inédit a eu lieu à l’Assemblée nationale : quelqu’un a bourré les urnes.
Un évènement inédit a eu lieu à l’Assemblée nationale : quelqu’un a bourré les urnes.

Après la journée très survoltée d’hier, on aurait pu penser que ce vendredi 19 juillet 2024 serait beaucoup plus calme. En premier lieu, les journalistes et les médias étaient beaucoup moins nombreux. On respirait enfin de nouveau en salle des quatre colonnes, en salle des pas perdus, dans le salon Empire — l’espace de travail réservé aux journalistes — et dans le jardin. Paradoxalement, qui dit moins de médias dit moins de tensions. Néanmoins, ce n’est pas toujours une science exacte. 

Les députés n’étant pas parvenus à un accord, dans la répartition des postes, il fallait procéder à l’élection des six vice-présidents, des trois questeurs et des douze secrétaires. Ces personnes vont composer le bureau de l’Assemblée nationale. 

Lorsqu’il y a autant de candidats que de postes, il n’y a pas lieu de procéder à un scrutin. Aujourd’hui, on avait plus de candidats que de postes. À 15 h, la présidente de l’Assemblée nationale a procédé à l’appel des candidatures et a appelé au vote, qui devait se clôturer à 15 h 45. 

On se promène, on discute. Un nouveau député explique que la séance d’hier ne lui a pas laissé un bon souvenir, en raison de l’attitude de certains collègues. Pour lui, on ne devient pas député pour se mettre en scène en permanence, mais, pour travailler au service des Français, améliorer leur quotidien. 

Le temps passe, on commence à sortir les goûters dans le salon Empire et à trouver le temps long. À 17 h 7, on attend toujours les résultats du premier tour. 

On nous fait signe qu’on peut regagner nos tribunes. Et là, le coup de massue : le scrutin est invalidé, en raison de dix enveloppes surnuméraires. Pour dire les choses de façon triviale, quelqu’un a bourré les urnes, obligeant la présidente à faire un nouveau premier tour. 

On file en salle des quatre colonnes et on demande aux députés : qui a bourré les urnes ? En fait, il y a une erreur. Les députés du Rassemblement National, au lieu d’écrire Xavier Breton sur les bulletins, ont écrit Thierry Breton. Se rendant compte de l’erreur, ils ont ajouté des enveloppes. C’est du moins l’hypothèse avancée. 

Une autre s’est dessinée : que quelques députés souhaitant saborder la présidente de l’Assemblée nationale, aient bourré les urnes. Comment cela est-il possible ? En fait, les scrutateurs ne comptent pas les enveloppes. C’est après le dépouillement qu’ils se sont rendu compte que les comptes n’étaient pas bons. 

On peut s’en étonner, mais le problème ne s’est jamais posé. C’est la première fois. Louis Boyard a demandé à la présidente une réunion du bureau d’âge — l’instance temporaire en attendant d’avoir le bureau de l’Assemblée nationale – demande refusée. 

À l’issue du premier tour, quatre vice-présidents ont été élus : Nadège Abomangoli, Clémence Guetté, Naïma Moutchou et Xavier Breton, ayant obtenu la majorité absolue des suffrages. Il restait deux postes à pourvoir, pour quatre candidatures : Roland Lescure, Annie Genevard, Hélène Laporte et Sébastien Chenu. 

Ian Boucard lève son règlement de l’Assemblée nationale pour faire un rappel au règlement et si quasiment tout le monde s’est renvoyé la balle sur qui a fait élire les députés de La France Insoumise, seul Jérôme Guedj s’est ému de l’irrégularité du premier tour. Pour lui, il y a eu une volonté de frauder et l’incident est grave. Il est applaudi par un grand nombre de collègues. 

Les députés retournent voter dans les salles attenantes. La succession de rappels au règlement après l’annonce des résultats du premier tour laisse entrevoir une législature difficile. La réalité est que tout le monde est fatigué, que les nerfs sont usés. Hier, un député racontait que la campagne lui avait fait perdre plusieurs kilos, en raison de la fatigue et du stress. Les paris sont déjà ouverts pour savoir qui sera le premier député à déraper. 

Après un second tour, Annie Genevard et Roland Lescure sont élus vice-présidents. Déjà les éléments de langage fusent : pour le RN, c’est une négation de l’expression des Français. Mais, si les députés de la XVIe législature reconnaissaient tous des qualités à Sébastien Chenu dans sa présidence, Hélène Laporte ne sera pas regrettée, tant sa présidence de séance était hasardeuse

Pourtant, plus que l’éviction du Rassemblement National des postes de vice-présidents, c’est le bourrage des urnes qui risque de laisser des marques plus durables dans les esprits. Était-ce une réelle bourde — encore que pour confondre Thierry Breton et Xavier Breton, il faut vraiment le vouloir tant les deux hommes ne se ressemblent pas — ou est-ce qu’il y a eu une réelle volonté de compromettre cette élection ?

Pour l’un des vieux routards de la maison, l’image de la représentation nationale en sort écornée. 

Le scrutin suivant se prépare : les questeurs. Quatre candidats sont en lice : Christine Pirès Beaune, Brigitte Klinkert, qui était déjà questrice sous la XVIe législature, Michèle Tabarot et Bruno Bilde. Après le premier tour, Christine Pirès Beaune et Brigitte Klinkert sont très largement élues. Michèle Tabarot et Bruno Bilde maintiennent leur candidature. Nouveau vote et Michèle Tabarot est élue questeure. C’est une première dans l’histoire de l’Assemblée nationale : la questure est 100 % féminine. 

À minuit, les députés ont été appelés pour élire leurs douze secrétaires. Il y avait seize candidatures. Le Rassemblement National n’a envoyé aucun candidat. Le groupe n’aura donc aucun poste au bureau de l’Assemblée nationale et en choisissant de retirer les deux candidatures au poste de secrétaire, a choisi une posture victimaire.