Biélorussie : un changement discret, mais lourd de sens
La diplomatie parlementaire est un aspect peu connu du travail des parlementaires. Il est pourtant essentiel, le parlementaire n’étant pas tenu aux mêmes obligations que les diplomates ou l’exécutif. Au cœur de cette attribution se trouve évidemment la commission des affaires étrangères, mais également les groupes d’amitié.
Notons qu’il y a toute une série d’organismes dédiés à la diplomatie parlementaire, en dehors de la commission des affaires étrangères et des groupes d’amitié.
Les groupes d’amitié : un outil de la diplomatie parlementaire
Ces derniers sont classés en deux catégories : les groupes d’amitié « classiques » et les groupes d’études à vocation internationale (GEVI). Pour être reconnu comme groupe d’amitié avec la France, l’État concerné doit répondre à trois critères :
• Un Parlement doit exister ;
• Des relations diplomatiques avec la France doivent également exister ;
• Le pays doit être « considéré » par l’ONU. Ce dernier critère ne fait pas obstacle à ce qu’il y ait un groupe d’amitié, comme le démontre le groupe France-Québec.
Sous la XVe législature et jusqu’au 29 mars 2023, il y avait sept GEVI. Depuis le 29 mars 2023, il y en a huit, la Biélorussie a été « rétrogradée ».
Pourquoi parler de rétrogradation ? Contrairement au GEVI sur le Vatican, qui a toujours été un GEVI, la Biélorussie avait son propre groupe d’amitié, car répondant aux différents critères précédemment énoncés. Dans le cas qui nous intéresse, ce changement est une forme de relégation. Pourquoi un tel changement ?
La Biélorussie mise au ban ?
Nous avons posé la question à Benjamin Haddad, vice-président du tout nouveau GEVI. La « rétrogradation » de la Biélorussie en GEVI fait suite à la non-reconnaissance du Gouvernement actuel. Retour en arrière : devenue indépendante en 1991, la Biélorussie n’a quasiment connu qu’un seul président : Alexandre Loukachenko — si on exclut l’intermède ou l’intérim (on laisse le lecteur choisir) de Stanislaw Chouchkievitch. En 2020, après des élections truquées, Loukachenko est réélu. L’Union européenne ne reconnaît pas les résultats des élections et la principale opposante de Loukachenko — Svetlana Tikhanovskaïa — est obligée de se réfugier en Lituanie.
En dehors de ce point spécifique, qui n’est malheureusement pas l’apanage de la Biélorussie, un autre point essentiel a fait pencher la balance : la souveraineté. Toujours selon Benjamin Haddad, la Biélorussie peut être considérée comme vassal ou satellite de la Fédération de Russie, au point que la question de l’indépendance de cet État peut se poser.
Natalia Pouzyreff, également interrogée, en tant que membre du groupe France-Ukraine et surtout présidente du groupe France-Russie, ne dit pas autre chose : c’est la question de la souveraineté et de l’indépendance qui a motivé cette transformation. Le cas de la Biélorussie se rapproche du cas de la Syrie et de la Libye, aussi GEVI et non groupes d’amitié.
Dès lors, le groupe France-Russie pourrait-il être lui aussi rétrogradé en GEVI ? Pour Benjamin Haddad, la question pourrait se poser dans une autre configuration, mais pas à l’heure actuelle. Pour Natalia Pouzyreff, ce ne serait pas pertinent. Pour elle, il est nécessaire de garder un lien avec la société civile russe, de montrer que la France n’est pas en guerre contre la Russie. Elle ajoute que les relations diplomatiques ne sont pas rompues avec la Russie.
Une opacité absolue sur l’activité des groupes d’études et d’amitié
D’où est venue cette rétrogradation en GEVI ? Il semblerait que cela vienne de Frédéric Petit, député des Français de l’étranger, très impliqué sur les dossiers en lien avec les dissidents des régimes autoritaires à l’est de l’Europe. D’après son assistant, il aurait proposé aux membres du groupe d’amitié un changement et cela aurait été voté. De la même manière, il avait fait part de sa volonté d’envoyer un signal sur ce sujet, lors du vote de la résolution affirmant le soutien de l’Assemblée nationale à l’Ukraine et condamnant la guerre menée par la Fédération de Russie.
Ce qui pose un problème, qui dépasse le cas du groupe Biélorussie : aucun compte rendu n’est disponible. L’interlocuteur au bureau de Frédéric Petit renvoie vers les différents réseaux sociaux du député. Ce dernier tweete le 29 mars 2023 « C’est enfin officiel ! L’Assemblée nationale a accepté de transformer le groupe d’amitié France-Bélarus en groupe d’étude à vocation internationale. Nos interlocuteurs ne seront pas les marionnettes du régime, mais les forces démocratiques bélarusses en exil ! » Mais, en dehors du fichier en open-data des groupes d’études et d’amitié, qui ne retrace que la composition, il n’y a aucun relevé d’activité des groupes d’amitié et des groupes d’études, aucun compte-rendu, aucune visibilité des travaux.
Cela est d’autant plus dommageable que l’exécutif souligne, à intervalles réguliers, l’importance de la souveraineté numérique et que les récentes tribulations concernant Twitter ont montré l’intérêt d’avoir un canal d’informations officiel, certifié et neutre, qui ne risque pas de disparaître du jour au lendemain.
Wagner, dans le viseur des parlementaires
Quelle sera la suite ? Pour la Biélorussie, il sera intéressant de voir si le Sénat va adopter la même démarche et « rétrograder » le groupe d’amitié en groupe d’information internationale. Depuis le début de la guerre en Ukraine, les initiatives parlementaires, aussi bien en France qu’au niveau de l’Union européenne se sont multipliées. Certaines ont vu le jour avant la seconde guerre en Ukraine, comme la résolution « Violations des droits de l’homme commises par des entreprises militaires et de sécurité privées, notamment le groupe Wagner ». Benjamin Haddad a déposé une proposition de résolution visant à appeler la France et l’Union européenne à inscrire le groupe militaire privé Wagner sur la liste des organisations terroristes. Le texte n’est pas encore disponible en ligne, mais il a été inscrit à l’ordre du jour en séance publique pour le mardi 9 mai 2023.
Son objectif est triple : continuer à œuvrer en matière de diplomatie parlementaire, envoyer un message au Gouvernement sur ce sujet et obtenir une clarification des positions des membres des assemblées. En effet, ce n’est pas la première fois que le sujet Wagner est abordé, particulièrement au Parlement. Par ailleurs, l’entité s’en prend aux intérêts français à l’internationale.
Les partis écologistes belges Écolo et Groen ont eu la même idée. Ainsi que le relève Euractiv, les partis ont déposé une proposition de résolution à la Chambre des représentants. Déposée le 14 mars 2023 et enregistrée sous le numéro 3223/01, la résolution fait référence à la qualification américaine. En effet, le 20 janvier 2023, les États-Unis ont qualifié le groupe Wagner d’organisation criminelle internationale.
Enfin, au niveau européen, dans un communiqué de presse du 23 novembre 2022, le Parlement européen invite « le Conseil à inclure l’organisation paramilitaire russe baptisée “groupe Wagner”, le 141e régiment spécial motorisé, également connu sous le nom de “Kadyrovites”, et d’autres groupes armés, milices et mandataires financés par la Russie, sur la liste de l’UE en matière de terrorisme ».