Chaos et déshonneur : deux semaines agitées à l’Assemblée nationale
L’examen en commission des affaires sociales du projet de loi rectificatif du financement de la sécurité sociale pour 2023 avait été un échec. En effet, la commission n’était pas parvenue à examiner la totalité du texte. Tout était à faire ou à défaire en séance publique. Force est de constater que la seule chose qui a été défaite est la respectabilité des députés.
Le piège tendu par le Gouvernement pour faire exploser les débats
En optant pour un tel véhicule législatif, le Gouvernement a sciemment pourri la qualité des débats. Même le placide et toujours mesuré Charles de Courson s’est ému de cette façon, lui qu’on ne peut pas soupçonner d’être un agitateur professionnel. Ajoutons à cela que l’ensemble des syndicats avait des griefs envers ce texte. Enfin, en choisissant de ne discuter qu’avec Les Républicains, qui « tiennent » la commission mixte paritaire, le Gouvernement a fait la démonstration d’une sorte de mépris pour les autres formations politiques, présentes au Parlement.
En une phrase comme en cent : la situation était inflammable et on en vient à se demander si ce n’était pas justement le but. Tout faire pour hystériser les députés — certains n’ayant besoin d’aucune aide pour cela — rendre les débats impossibles, passer en force et finalement, démontrer que certains groupes parlementaires font plus de tort que de bien aux citoyens.
Si tel était le calcul, le moins que l’on puisse dire est que les députés ont sauté à pieds joints dans le piège tendu.
Débats houleux en écho aux manifestations apaisées
On ne peut être que surpris par le contraste entre les manifestations, qui se sont globalement bien déroulées et les débats à l’Assemblée nationale. À tel point que les syndicalistes eux-mêmes se sont amusés à le relever. Certains ont parlé de « zadification » de l’Assemblée nationale. Pourtant, on peut garantir sans crainte au lecteur que la majorité des ZAD et autres squats autonomes ou anarchistes sont largement mieux tenus. Notons que ce contraste a été souligné pendant le week-end du 12 février, soit au milieu des débats.
Les premiers jours ont été vaguement sereins – sereins pour un texte de ce type – et c’est le vendredi 10 février que tout a basculé. En cause : un tweet. L’objet du délit était une photo du député Thomas Portes, poitrine affichant l’écharpe tricolore, pied sur un ballon de football, ballon floqué du visage du ministre Olivier Dussopt. Émois et vociférations dans les travées. Au point que la présidente, devant l’insistance de Mathilde Panot, convoque le bureau. Thomas Portes est exclu de l’Assemblée nationale. Tel ne fut pas le cas pour Sébastien Delogu, qui a mimé un signe de décapitation vers les députés de la majorité.
Les débats ne progresseront pas plus. Après un week-end ponctué de manifestations, les députés ont regagné l’hémicycle, dans une atmosphère de plus en plus tendue.
Tumultes, exclusions et surexposition médiatique : le pire de l’Assemblée nationale
Certains commentateurs ont estimé que l’Assemblée nationale n’avait jamais été aussi violente, aussi brutale, aussi désordonnée. C’est faire injure aux historiens ainsi qu’aux connaisseurs de cette maison. Mais, deux éléments ont amplement contribué au fait que cette image — à laquelle certains d’entre nous sommes largement habitués — soit partagée avec la France entière.
Le sujet même du texte était explosif et nous ne reviendrons pas sur la méthode. Rassurez-vous : cela n’arrive jamais quand il est question de libertés fondamentales, concept dont tout le monde se fout allégrement. Dans un contexte dans lequel l’Assemblée nationale est en quasi-cohabitation, chaque voix compte. Dès lors, les députés sont sommés d’être présents. Qui dit plus de députés dit plus de bruit et de fureur.
À cela, on peut ajouter une surexposition médiatique : beaucoup de médias étaient présents physiquement à l’Assemblée nationale. Quant aux députés, ils sont les premiers à mettre en scène et en valeur sur leurs comptes de réseaux sociaux leur moindre coup d’éclat de pacotille. On connaît des classes de maternelle qui font preuve de plus de maturité. Mais, on avait des précédents.
Un débat parlementaire chaotique et désordonné
Quand on cherche des séances particulièrement déplorables, on pense en premier à la loi instaurant le mariage pour tous, qui a donné lieu à des propos particulièrement orduriers. On peut ajouter la dernière loi bioéthique, instaurant la PMA pour toutes. Un député, qui n'en est pas à son premier mandat, a qualifié ces excès d’insupportables « ils [La France Insoumise] sont dans les dérapages permanents. Lamentable ».
Mais, les députés n’étaient pas aussi nombreux, la composition de l’Assemblée nationale n’était pas la même et il ne s’agissait que de libertés fondamentales. Toutes les personnes qui sont habituées aux textes sécuritaires savent pertinemment qu’on peut les piétiner dans la plus grande des décontractions, sans que cela suscite le moindre émoi.
Dans un bel ensemble, la majorité des députés ont joué « au con », exception faite du groupe LIOT. Ce dernier a fait connaître son opposition au texte et menés par Charles de Courson – monsieur finances publiques –, les députés ont soulevé des inexactitudes techniques. Dans un style ciselé et élégant, le député a mis en avant certaines cohérences. On aurait aimé que les députés prennent exemple sur lui, qui n’élève jamais la voix, mais touche toujours juste.
Les Français, grands perdants de deux semaines stériles et de guérilla parlementaire
Alors, au terme de ces deux semaines, qui sont les perdants ? Les Français. L’examen du texte s’est arrêté à après l’article 2. Toutes les interrogations sur la durée de cotisation et sur la pénibilité n’ont pas pu être soulevées. Quant au texte, il a été transmis tel quel — avec réintroduction de l’article 2 supprimé en séance publique — au Sénat.
On dit que la mémoire politique est de six mois. Il est à espérer que le Président de la République n’opte pas pour une dissolution d’ici là. Si certains militants — tous bords confondus — ont exprimé leur ravissement devant l’attitude de « leurs » députés, une majorité des spectateurs ont fait part de leur profond dégoût, de leur amertume et de leur colère. Quant aux syndicats, ils se sont désolidarisés des députés.
Dans quelque temps, on se penchera de nouveau sur ces deux semaines, pour analyser la stratégie parlementaire et éventuellement, amender le manuel de guérilla parlementaire de Jean-Jacques Urvoas. Quant à la réforme des retraites, on sait qu’une autre arrivera. En effet, selon une règle non écrite, chaque Président de la République « doit » avoir sa réforme constitutionnelle et sa réforme des retraites.
L’acte II se déroulera dans un Sénat calme et feutré. On ne doute pas que les débats seront techniquement vifs, mais on sait déjà qu’ils seront moins orduriers qu’à l’Assemblée nationale. Et probablement moins alcoolisés.