Chroniques de la violence ordinaire : profils des députés

Chroniques de la violence ordinaire : députés agressés
Chroniques de la violence ordinaire : députés agressés

La violence est consubstantielle à la politique. Lorsque l’on souhaite acquérir quelques miettes de pouvoir et d’influence, tous les moyens sont bons pour y arriver. Il ne suffit pas d’être le plus compétent, le plus armé sur une thématique, ni même être le plus populaire. Il faut être en capacité d’obtenir ce que l’on veut, mais surtout, le garder. Il est entendu que les députés sont victimes de violence, aussi bien physique que verbale. Sont-ils tous concernés ?

Qui sont les parlementaires les plus attaqués ? Des trois types de parlementaires — députés, sénateurs et eurodéputés — ce sont clairement les députés qui sont les plus exposés à la violence. Cela s’explique par l’origine même de leur mandat : ils sont élus au suffrage universel par les citoyens pour les représenter dans la plus ancienne institution démocratique qui soit. Les sénateurs représentent les territoires et sont élus au suffrage indirect.

En analysant le temps de parole des parlementaires, on constate que les députés sont majoritairement présents dans les médias, juste après les maires. En se référant aux données du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), qui surveille le pluralisme politique, sur la période allant de juillet 2017 à juillet 2019, les députés représentent 47 % du temps de parole, contre 7 % pour les sénateurs et 8 % chez les députés européens. Plus visibles que leurs collègues, les députés sont plus exposés.

Par ailleurs, les travaux de l’Assemblée nationale sont plus observés et scrutés par les médias, au détriment du Sénat.   

Quant au Parlement européen, les travaux qui y sont menés ne sont pas valorisés ni expliqués, si ce n’est par des émissions spécialisées. Ajoutons à cela une forme de raccourci dans le traitement de la vie parlementaire : lorsqu’un texte est examiné et voté à l’Assemblée nationale, dans l’opinion publique, on considère que l’examen du texte est terminé alors qu’il ne s’agit que d’une étape. Les députés ajoutent parfois de la confusion, en tweetant « c’est fait » pour parler d’une mesure qui vient d’être votée à l’Assemblée nationale alors que l’ensemble d’un texte n’a pas encore examiné dans sa totalité.

Un relevé statistique, basé sur une collecte de témoignages ainsi que sur des coupures de presse, a été fait sur la période allant de juin 2017 — peu de temps avant la prise de fonction des députés — à mai 2020. Le calcul inclut les injures, les menaces, les dégradations de permanences parlementaires, les intrusions à domiciles ainsi que les dégradations de véhicules. Là encore, ce sont principalement les députés qui ont répondu aux entretiens, les sénateurs n’ayant pas fait état de violences particulières à leur encontre, de même que les députés européens.

On dénombre un total de 203 agressions, certains députés ont fait l’objet de plusieurs exactions. Dans 95 % des cas recensés, la violence n’était pas gratuite : elle avait une revendication politique. Il n’y a que 10 cas pour lesquels il n’y a pas eu de raison invoquée ou que l’agression était purement gratuite.

Répartition des revendications des agressions de députés sous la XVe législature

Répartition des revendications des agressions de députés sous la XVe législature

Sur le plan de la parité, aussi bien les hommes que les femmes font l’objet de violence. Sur les 203 cas recensés, 79 ont concerné des femmes et 124 des hommes. Sur le plan politique, 165 actes ont visé des députés de La République En Marche (LREM), 13 du Mouvement Démocrate (MoDem), 10 Les Républicains (LR), 4 de La France Insoumise (LFI), 5 non-inscrits (NI), 2 socialistes (SOC), 2 députés du groupe AGIR, 2 du groupe Libertés et Territoires (LT). C’est donc les députés de la majorité présidentielle qui sont principalement visés. 

Répartition par groupe parlementaire des députés victimes d’agression sous la XVe législature

Répartition par groupe parlementaire des députés victimes d’agression sous la XVe législature

Le moment où les faits ont été commis correspond également à des instants de crispations du quinquennat : sur les 203 faits, 119 se sont produits lors du mouvement des Gilets jaunes et 50 pendant les débats à l’Assemblée nationale sur la réforme des retraites. Certaines violences ont été commises en raison d’un contexte local : l’occupation de Tolbiac, Notre-Dame-des-Landes ou encore le dossier de la SAD de Marseille. 

Chronologie des exactions envers les députés de la XVe législature

Chronologie des exactions envers les députés de la XVe législature

En dehors de la dichotomie majorité/opposition, il n’y a pas de marqueur : tous les territoires sont concernés, peu importe le taux de chômage, la catégorie de zone (urbaine ou rurale), le taux d’abstention ou la présence des services publics. On retrouve aussi bien des députés parisiens, élus dans des arrondissements réputés paisibles que des députés de secteurs ruraux. Le département de la Manche compte sept exactions envers les députés, tout comme Paris. 

Les dix départements comptant le plus d’exactions envers les députés de la XVe législature

Les dix départements comptant le plus d’exactions envers les députés de la XVe législature

Enfin, les formes d’exactions sont très diversifiées. Il y a le traditionnel murage de permanence, le dépôt d’ordures ou de fumier devant le local parlementaire, les stickers collés sur la vitrine, les tags, mais également les jets de bouteille, les intrusions à domicile, les incendies volontaires, les coups de fusil, sans oublier les menaces diverses. 

En somme, le député fait figure d’ennemi bien identifié par certaines personnes. Par rapport à la XIVe législature, on constate une augmentation. Entre 2012 et 2017, on recense 47 députés dont la permanence parlementaire a été dégradée et 8 qui ont été victimes d'agressions physiques. 

Réelle augmentation ou libération de la parole, notamment dans les médias, par les parlementaires, victimes de violences ? D'après une proposition de loi déposée par des députés LR, le 7 avril 2021, l'Association des Maires de France a noté une augmentation de 20% des agressions envers les élus locaux. Si les députés ont décidé de ne plus taire les diverses tentatives d'intimidation et d'agression, il semble bien que la violence envers les élus, au sens large du terme, a augmenté.