Dérapage des comptes publics : Christelle d’Intorni veut sanctionner pénalement les ministres
La situation des comptes publics met les parlementaires dans une situation politiquement compliquée.
Rapport sénatorial au vitriol
Les sénateurs ont présenté leurs conclusions sur la dégradation des finances publiques, dans le cadre de leur mission d’information. Elles sont lapidaires : « Les précédents Gouvernements ont ainsi mis le Parlement et les Français devant le fait accompli d’un déficit budgétaire abyssal et historique fin 2024, nécessitant des mesures de redressement dont ils rejettent désormais toute responsabilité ».
La situation est à présent connue de tous : les comptes publics sont dans un état catastrophique, car les recettes ont été moindres qu’escomptées et les dépenses plus importantes.
Impossible équation politique
Dans un cas pareil, une censure du Gouvernement pourrait intervenir. Mais, la dissolution — qui a coûté 166 millions — a changé la donne politique. Bruno Le Maire est allé enseigner dans une école supérieure privée en Suisse, Elisabeth Borne est redevenue député, tout comme Thomas Cazenave.
Peut-on les sanctionner d’une façon ou d’une autre ? « Impossible : ce sont les urnes qui sanctionnent » indique Christophe Marion du socle commun. C’est tout le problème : un ministre qui aurait commis une faute de gestion — car c’est bien de cela qu’il s’agit — ne peut pas être sanctionné. C’est d’ailleurs un casse-tête pour l’actuel Gouvernement qui doit réparer les gros dérapages de l’ancienne équipe et qui n’a pas de réelle légitimité démocratique pour le faire : elle est principalement composée d’Ensemble Pour la République et de Républicains. Les deux gros blocs qui sont arrivés en tête, à savoir le NFP et la coalition Rassemblement National et UDR, ne sont pas dans ce Gouvernement et les deux n’ont obtenu qu’un tiers des suffrages.
Les parlementaires sont bien en peine pour dire comment « marquer » le coup.
Une proposition de loi pour sanctionner les ministres mauvais gestionnaires
Sauf Christelle d’Intorni qui a déposé une proposition de loi visant à responsabiliser les membres du gouvernement et les élus locaux dans leur gestion des deniers publics. Comme l’indique son exposé des motifs « À l’instar des dirigeants de sociétés qui doivent rendre des comptes sur leur gestion, et qui en cas de faillite ou de banqueroute endossent la responsabilité de leur faute de gestion par une interdiction de gérer une entreprise, avec une extension du passif social à titre personnel, un élu ou un membre du gouvernement qui engage l’avenir d’une collectivité ou de la nation dans ses choix, dans chacune de ses décisions, doit être tenu aux mêmes exigences ».
Si les trois premiers articles visent explicitement les élus locaux — en particulier ceux de Paris et de Nice dans l’exposé des motifs — l’article 4 crée deux nouveaux délits dont le premier vise à engager la responsabilité pénale des « membres du gouvernement ayant commis de graves négligences financières et budgétaires ».
La député des Alpes-Maritimes propose une peine d’inéligibilité de 10 ans maximum et d’une amende de 500 000 €.
La proposition de loi n’est pas encore disponible dans les dépôts de l’Assemblée nationale et personne ne sait si le texte sera inscrit à l’ordre du jour ni s’il respecte réellement l’échelle des peines. Néanmoins, la question posée est intéressante et n’est pas si inédite que cela.
Vers une juridicisation accrue de la vie politique ?
En effet, en 2009, le groupe socialiste avait déposé une proposition de loi visant à sanctionner les ministres qui auraient menti dans leurs déclarations de patrimoine. En 2013, au moment de la loi sur la transparence dans la vie publique, il était question d’aller jusqu’à 10 ans pour les ministres auteurs d’une attestation mensongère. Enfin, il y a la Cour de Justice de la République (CJR) qui permet de juger les membres du Gouvernement, pour peu que les actes reprochés aient un lien avec la conduite de la politique de la Nation.
Or, la CJR n’est pas une juridiction ordinaire et elle est très fréquemment critiquée. Plusieurs présidents de la République avaient proposé sa suppression, sans jamais franchir le cap.
Pour Christelle d’Intorni, son texte vient compléter le dispositif existant « on crée un nouveau délit pour les membres du Gouvernement donc on étend le spectre. On ne peut pas saisir la CJR au titre d’un délit qui n’existe pas encore ».
Sur Jus Politicum, Olivier Beaud, constitutionnaliste, déplore la juridicisation de la vie politique, dans la gestion du COVID « La seule erreur commise par les gouvernants ici poursuivis est, tout compte fait, d’avoir été à la barre au mauvais moment. » Mais, ce qui vaut pour le COVID, vaut-il pour Bruno Le Maire, ministre durant sept ans ? Peut-on imaginer que les parlementaires saisissent la CJR pour ce monstrueux dérapage des comptes publics ? À ce stade, la question reste ouverte.