Derrière des amendements, une philosophie politique

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C’est dans un hémicycle assez rempli pour un lundi que s’est poursuivi le débat sur la réforme constitutionnelle. Si la discussion générale était l’occasion de gloser sur les fractures, la présentation des amendements est le moment pour exposer les philosophies politiques des uns et des autres.

Les gardiens de la lettre de la Constitution

Figure illustre d’une famille non moins illustre, Bernard Debré refuse en bloc toute modification de la Constitution, adhérant ainsi à la lettre de son aïeul, qui envisageait la Constitution de la Ve République comme un texte fondateur, ne devant pas être remanié n’importe comment. Au-delà de la symbolique, c’est aussi la hiérarchie des normes que le député de Paris entend sauvegarder. Il est rejoint dans cette sauvegarde de la Constitution par Jean-Frédéric Poisson qui tient à ce que la séparation des pouvoirs soit strictement respectée. Ils sont soutenus dans cette démarche par Pierre Lellouche, ce dernier s’appuyant sur des dispositions communautaires.

Ce qui se dessine est donc moins un rejet total du concept d’état d’urgence qu’un strict respect de la Constitution et des institutions.

Mais la surprise est aussi venue à gauche avec l’amendement de Sébastien Denaja. Cet amendement, qui pose l’interdiction de la dissolution de l’Assemblée Nationale durant l’état d’urgence, renforce l’article 24 de la Constitution, dans ce qu’il affirme que le Parlement contrôle l’action du Gouvernement. L’adoption de cet amendement peut avoir un autre effet : celui de rassurer les parlementaires qui avaient des réserves sur le texte et qui le voteront grâce à cet amendement.

Les libertaires qui s’ignorent (ou pas)

Parmi les députés qui ont déposé des amendements de suppressions de l’article 1, il y a les libertaires, c’est-à-dire des députés qui refusent l’action autoritaire du Gouvernement, soit en raison des débordements des actions de police, soit par principes philosophiques, soit par pragmatisme de l’efficacité du dispositif.

Il n’y avait pas de surprises à retrouver Isabelle Attard, Sergio Coronado ou encore Cécile Duflot dans cet esprit, cela l’était plus de retrouver Gérard Sebaoun ou encore Christophe Premat. C’est d’autant plus surprenant pour ce dernier qu’il est le suppléant d’Axelle Lemaire. Les cas de fronde des suppléants ne sont pas inédits puisque Fanélie Carrey-Conte, suppléante de Georges-Pau Langevin, a également fait connaître ses oppositions à la politique menée par le Gouvernement, au point qu’à chaque remaniement, il se murmure que la ministre des Outremers pourrait se retrouver sans portefeuille non pas par punition de son travail, mais pour faire taire sa suppléante trop indépendante.

Encadrer constitutionnellement l’état d’urgence : un débat qui aurait dû être posé plus sereinement

Le problème de ce texte réside dans son mélange des genres : la constitutionnalisation et son encadrement d’une situation exceptionnelle – l’état d’urgence – et la déchéance de nationalité. Parmi tous les orateurs qui ont défilé, beaucoup ont exprimé une volonté réelle d’encadrer l’état d’urgence. On notera les différents amendements de Pascal Cherki et Jean-Christophe Lagarde, sans qu’il soit nécessaire de bricoler notre Constitution. Le Gouvernement aurait sans doute eu meilleur compte à créer une loi organique, dans un contexte apaisé et aurait eu une majorité au Parlement. Mais à faire un texte, modifiant la Constitution, avec deux articles, qui n’ont aucun rapport l’un avec l’autre, il est maintenant évident qu’il n’obtiendra pas la majorité des 3/5ᵉ requise pour faire adopter le texte.

Après l’article 1, la déchéance

Pendant plus d’une heure et demie, les députés se sont exprimés pour faire valoir leurs oppositions à cette mesure qui renforcerait le sentiment d’inégalité devant la loi, qui mettrait la France dans une situation juridique ubuesque au regard des conventions internationales et qui toucherait à l’essence même de la conception de Nation de notre droit. Au moment de la suspension de séance, tous les inscrits n’avaient pas encore parlé, il est donc sûr que la séance de demain commencera à 16 h pour s’achever à 1 h du matin. Mais c’est un autre sujet qui a fait bruisser Twitter ce soir.

Le combat présent/absent : un rappel de procédure nécessaire

Un grand nombre de personnes se sont émues sur Twitter de l’absence d’une majorité de députés lors du vote de l’article 1. Tout d’abord, il faut souligner qu’imposer des séances le vendredi et le lundi – jours traditionnellement consacrés à la circonscription – n’est pas commun, surtout sur un texte de cette importance et respire la manœuvre de la part du Gouvernement. Cela pénalise clairement les députés qui sont ultramarins, qui représentent les Français de l’étranger ou qui ont des obligations locales ou au sein de leur parti. Il convient également de rappeler que si la présence en commission est obligatoire, elle ne l’est pas dans l’hémicycle. De la même manière, il faut bien faire la différence entre le vote sur un article ou un amendement et le scrutin solennel qui interviendra plus tard. Finalement, ce qui comptera réellement n’est pas le vote de l’article 1 modifié et même pas le texte actuellement débattu, mais le texte final qui fera l’objet d’un scrutin solennel. On aurait aussi pu se passer de certaines interventions qui n’ajouteraient rien au débat et ne faisaient qu’attiser les tensions entre parlementaires, de même que les députés pots de fleurs n’apportent pas grand-chose à la discussion. Enfin, le jour où M6 passera les séances de débat dans l’hémicycle à une heure de grande écoute en lieu et place de Top Chef, peut-être que les députés seront plus présents.

Les débats se poursuivent mardi 9 février à partir de 16 h, après la séance de Questions Au Gouvernement. 

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