Des influenceurs ont été payés pour faire campagne en Roumanie

Nous avons obtenu la preuve que FameUp servait bien d’intermédiaire pour des vidéos de promotion politique sur TikTok.
Nous avons obtenu la preuve que FameUp servait bien d’intermédiaire pour des vidéos de promotion politique sur TikTok.

L’arrivée surprise de Georgescu au second tour de l’élection présidentielle roumaine a mis sous le feu des projecteurs la question de l’utilisation de TikTok et très vite, la question s’est posée : a-t-il eu recours à des influenceurs ? Nous pouvons répondre oui.

Une popularité portée par des influenceuses life-style

Plusieurs hashtags (mots-clefs sur un réseau social, précédé d’un dièse) ont été utilisés sur TikTok dont un en particulier : #echilibrusiverticalitate. En français : équilibre et verticalité. Derrière cette expression, on retrouve plusieurs centaines de vidéos. La variation dans l’orthographe ne permet pas d’avoir un résultat centralisé. Sur celui qui a généré le plus de vidéos, on dénombre 387 vidéos, pour un cumul de 5 millions de vues, principalement en Roumanie.

Le plus surprenant est l’identité des personnes qui ont posté ces vidéos : essentiellement des femmes, dans la niche dite life-style : beauté, mode, maternité, etc. Les influenceurs politiques sont quasiment absents. On voit même une influenceuse se faire un maquillage, tout en débitant son script.

Car, script, il y a. Les mots sont presque identiques. « Je veux un président honnête, qui a de l’expérience politique, qui ne soit pas compromis dans des affaires de corruption, qui soit sincère », « je veux un président qui parle des langues étrangères », « je veux un président qui a fait des études supérieures », « je veux un président patriote ». Certaines influenceuses s’éloignent du script et demandent leur opinion à leur abonné, de façon innocente « pour vous, quelles sont les qualités essentielles pour présider la Roumanie ? ».

Mea culpa et déni des influenceurs

Sur la trentaine de vidéos analysées, les mêmes éléments de langage se succèdent. Certains ont supprimé les vidéos qu’ils avaient faits. Mais, le cache d’un outil d’analyse a permis de retrouver les auteurs de vidéos supprimés.

Tous n’assument pas : une influenceuse mettant en scène sa vie de famille, après avoir nié avoir fait une vidéo de soutien, nous a bloqués sur Instagram. Un autre s’énerve et claironne qu’il ne supporte pas Georgescu, que sa vidéo n’est pas un soutien au candidat et qu’elle a été faite de façon spontanée. Mis devant l’évidence de la ressemblance des éléments de langage, il s’est muré dans le silence.

Curieusement, alors que les influenceurs gagnent leur vie en étant ultra-connectés, quasiment tous se sont tus, conscients d’avoir participé à un véritable scandale politique.

En étaient-ils conscients ? Il est probable que non. Car, quelqu’un nous a expliqué la mécanique et nous a fourni des éléments de preuve.

FameUp, la start-up au cœur du scandale

FameUp est une plateforme de mise en relation entre les influenceurs et les entreprises, qui souhaitent faire de la publicité. La mode actuelle consiste à faire appel à des nano ou micro-influenceurs. Ils ont des communautés plus petites, mais plus réactives, parfois plus bienveillantes et surtout, plus ciblées. Pour une marque, c’est l’assurance de toucher un public calibré, pour un prix plus raisonnable.

Coût pour une marque ? Entre 5 000 $ et 70 000 $ pour une marque américaine et entre 2 500 € et 20 000 € pour une marque roumaine. L’entreprise promet un suivi personnalisé à ce prix-là. La plateforme, qui dispose d’une application mobile, a été créée par Inovatie Alia Srl, qui appartient à Ionuț Pătrășcoiu.

Après des années de vaches maigres, l’entreprise a réussi une levée de fonds auprès d’Early Game Ventures Fund, appartenant à Daniel Dines — le Xavier Niel local. Hasard du calendrier, Inovatie Alia Srl a accueilli de nouveaux actionnaires dans son capital, hier.

La mise en relation entre entreprises et influenceurs est un business lucratif, mais la Roumanie appartenant à l’Union européenne, elle doit respecter certaines règles. En ce qui concerne l’influence, la règle est la même pour tous : un partenariat rémunéré doit donner lieu à la mention adéquate. À charge pour FameUp de faire respecter les règles.

Ou pas.

Un schéma bien rodé

« J’ai réalisé qu’il s’agissait d’une grosse manipulation, de la part d’une entreprise qui essaie de le promouvoir » est la réponse d’un influenceur qui a fait une vidéo pour Georgescu. FameUp a servi d’intermédiaire pour deux entreprises : Progresia et Fudament. Impossible de remonter jusqu’à elles : les noms sont trop communs pour être trouvés dans le registre du commerce. Mais, on comprend que le schéma serait que Georgescu est passé par Progresia et Fudament, qui elles-mêmes ont eu recours à FameUp, pour obtenir des vidéos d’influenceurs sur TikTok.

Nous avons demandé à FameUp ce qu’elle pensait des accusations contre elle, qui ont fleuri dans les tabloïds roumains. Nous retranscrivons — après traduction — sa réponse :

FameUp n’a pas et n’a pas eu de collaboration avec M. Călin Georgescu ou avec tout autre membre impliqué dans la campagne de promotion de sa candidature au poste de président de la Roumanie.

FameUp est une plateforme automatisée en ligne qui permet et facilite la collaboration entre les créateurs de contenu et les clients qui ont besoin de leurs services. Le processus d’achat est extrêmement simple : l’utilisateur choisit la ou les personnes avec lesquelles il souhaite collaborer et le paiement est effectué directement auprès d’elles via la plateforme. Tout le monde peut accéder aux services automatisés de la plateforme.

FameUp se base sur les mêmes principes que ceux utilisés par les grandes plateformes de médias sociaux : elle retire de sa base de données les personnes qui diffusent des messages haineux, qui contiennent des contenus susceptibles de diffamer l’image d’une personne ou qui utilisent un langage offensant en ligne.

Nous avons demandé à FameUp pourquoi elle n’avait pas utilisé son droit de réponse dans la presse, pour mettre fin aux accusations. Notre message est resté lettre morte.

11,80 € la vidéo promotionnelle de Georgescu

Peut-on croire FameUp sur parole ? Non. Car, notre influenceur dupé nous a montré l’offre de collaboration qui était en ligne. Pour 58,72 RON soit 11,80 €, Progresia demande à des influenceurs de faire des vidéos TikTok de 40 secondes maximum avec une série de hashtags bien spécifiques. On ne sait pas combien a dépensé Progresia, mais, même à 2 500 € pour 25 influenceurs, payés 11,80 € chacun, l’affaire est rentable pour FameUp.

Le script est aussi suggéré. Devant la polémique, la campagne a été supprimée.

Notre influenceur, qui a demandé l’anonymat, se sent floué et inquiet : « Il me semble que ce qui se passe avec la démocratie en Roumanie est de pire en pire ! Cet homme a réussi à convaincre 2 100 000 [de] Roumains de voter pour lui. Il a fait des déclarations absurdes et est un fasciste (d’après ses propres déclarations). De nombreux Roumains le considèrent déjà comme un chef de secte, compte tenu de la manière dont il se manifeste ».

L’histoire n’en est qu’à son début. La Cour Constitutionnelle a demandé un nouveau décompte des bulletins de vote et une information judiciaire va probablement être ouverte concernant le financement de la campagne de Georgescu.

En effet, contrairement à la France, les candidats doivent déclarer leurs comptes de campagne avant la fin des élections et ces comptes sont mis en ligne immédiatement ou presque. Georgescu a dépensé 0 € et ne déclare aucune rentrée d’argent, ce qui est matériellement impossible.

Quant à TikTok, le réseau social aux mains du Parti communiste chinois, il nie toute implication dans cette affaire.

Affaire à suivre au Parlement européen ?

Valérie Hayer, présidente de Renew a fait mention de cette affaire durant la session plénière de cette semaine, ce qui va accentuer la pression sur TikTok. Certains souhaitaient carrément l’interdire sur le sol européen, notamment en raison de ses liens avec le Parti communiste chinoise et son utilisation dans la traque des opposants politiques.

En France, certains élus n’hésitent pas à s’afficher avec des influenceurs et même si la loi Delaporte-Vojetta est suffisante, toute la question de savoir comment prouver l’échange d’argent, surtout s’il n’y a pas d’intermédiaire.


Boîte noire

Nous avons contacté un certain nombre d'influenceurs qui ont réalisé des vidéos. L'influenceur qui a accepté de nous communiquer des éléments a demandé l'anonymat. Les éléments dont il est question dans l'article sont joints dans le PDF à télécharger. Il s'agit de captures d'écran de l'application mobile. 

L'analyse des données de TikTok a été réalisée avec Exolyt. 

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