Dissolution et législatives : quels changements ?

Dans le tourbillon des législatives, tout le monde a oublié le Sénat / Copyright AFP - Stéphane de Sakutin
Dans le tourbillon des législatives, tout le monde a oublié le Sénat / Copyright AFP - Stéphane de Sakutin

À la surprise générale, le président de la République a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale, le soir même des élections européennes. Indiquant qu’il prenait acte des résultats de ce scrutin, qui a mis en tête le Rassemblement National, il a signé l’acte de décès de la XVIe législature. Quels sont les effets concrets ?

Les effets sur les commissions d’enquête : reprise possible

Toutes les commissions d’enquête sont closes. Cela signifie que même si elles n’ont pas achevé leurs travaux, elles ne se poursuivront pas lors de la XVIIe législature. Peuvent-elles ressusciter ? L’article 138 du Règlement de l’Assemblée nationale indique « Est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145‑1 ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre ». 

Sauf que six commissions d’enquête n’ont pas fait l’objet d’un rapport : les députés ont été virés du jour au lendemain donc, même un mini-rapport n’a matériellement pas pu être délivré. Il faudra que les groupes qui ont fait les demandes de commissions d’enquête le redéposent. Le Rassemblement National avait utilisé son droit de tirage pour la commission d’enquête sur la souveraineté alimentaire. Le groupe socialiste avait utilisé le sien pour la commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance. Le groupe LIOT avait créé la commission d’enquête sur les difficultés d’accès aux soins à l’hôpital public. Le groupe GDR (communiste) planchait sur la politique d’expérimentation nucléaire en Polynésie française. Le MoDem avait fait adopter en séance sa demande de création d’enquête sur les violences envers les mineurs dans le monde du spectacle, surnommée la commission d’enquête Judith Godrèche. Enfin, les Républicains avaient utilisé leur droit de tirage pour une commission d’enquête sur la croissance de la dette depuis 2017. 

A priori, toutes ces commissions d’enquête peuvent revenir dès juillet 2024, même s’il est probable que pour des raisons purement logistiques, les députés décident d’attendre la rentrée parlementaire. 

Peuvent-ils reprendre les travaux déjà entamés ? Il n’y a pas d’empêchement à ce que les députés puisent dans les auditions qu’ils ont déjà menées sous la XVIe législature. 

Dans le cas des commissions d’enquête, tout dépend des groupes.   

Les missions : un avenir incertain

Il y a un sujet sur les missions parlementaires. Il s’agit de mini-commissions d’enquête. Selon leur nature, elles peuvent relever ou non de l’article 138. Certaines sont lancées à l’initiative de la conférence de présidents, d’autres par les commissions permanentes, sous l’impulsion de certains députés. Il y a des missions d’information et des missions flash

Bien que créées au sein des commissions permanentes, les missions d’information et les missions flash sont vraiment des initiatives individuelles de députés. L’objectif est de fournir un rapport qui permettra une amélioration de la législation existante. C’est une des composantes du travail parlementaire : le contrôle de l’action du Gouvernement. 

Pour les missions, y compris les missions temporaires demandées par le Gouvernement, c’est terminé. Elles pourront éventuellement revoir le jour si les députés qui ont demandé les missions en question sont réélus. 

Les travaux législatifs : bataille navale

Le principe est très simple : si un texte n’est pas dans la navette parlementaire, il est terminé. L’exemple le plus simple à comprendre est le projet de la loi sur la fin de vie. Les députés n’avaient pas achevé l’examen de ce texte. Donc, il faudra reprendre l’examen du texte à zéro. Les amendements adoptés disparaissent purement et simplement. Ce sera comme si cela n’avait pas existé. 

Les propositions de loi — ce sont les textes déposés à l’initiative des députés — qui n’ont pas été inscrites à l’ordre du jour passent aussi à la trappe. Si les députés qui les ont déposés sont réélus, ils pourront les redéposer de nouveau. C’est une pratique assez courante. 

Les seuls textes qui vont survivre sont ceux qui ont été adoptés à l’Assemblée nationale et ont été transmis au Sénat. À charge pour le Sénat de les inscrire à son ordre du jour. Quant aux textes adoptés au Sénat et transmis à l’Assemblée nationale, ils devront être inscrits à l’ordre du jour. Il faudra voir au cas par cas. 

Quant au texte sur la Nouvelle-Calédonie, son sort reste indéterminé pour le moment. 

La situation personnelle des députés : casse-tête et cartons

Une petite souris malicieuse nous a fait part du document adressé à l’ensemble des députés concernant leur fin de mandat. À sa lecture, la première réflexion qui vient est « bon courage ». Commençons par la partie la plus simple, qui a donné lieu à beaucoup d’interrogations sur les réseaux sociaux : les députés vont percevoir leur indemnité parlementaire jusqu’au 31 juillet 2024. C’est l’équivalent de leur salaire. 

C’est la partie concernant l’avance de frais de mandat (AFM), équivalent des frais professionnels, qui donne envie de se marier avec un tube d’aspirine : elle s’arrête le 16 juin 2024. Mais, la page d’après indique « à compter du 10 juin 2024, les députés ne sont plus autorisés à utiliser leur AFM pour effectuer de nouvelles dépenses ». 

Une partie des frais de déménagement des bureaux seront pris en charge, tout le reste devra être réglé de la poche du député. Il y a aussi une bonne dizaine de pages sur la gestion de la voiture, du matériel informatique, de la permanence parlementaire en circonscription, etc. 

Plan social pour 2027 personnes 

Ils sont 2027* collaborateurs de députés à être licenciés, sans compter les collaborateurs de groupe. Ils percevront tous une indemnité compensatrice de congés payés, en fonction des droits qu’ils ont acquis au moment de la rupture de contrat. 

S’ils ont une ancienneté inférieure à six mois, ils n’auront droit à rien d’autre. S’ils ont une ancienneté comprise entre 6 mois et deux ans, ils auront droit à un mois de préavis qui leur sera payé. Ceux qui avaient une ancienneté d’au moins 8 mois auront droit à une indemnité de licenciement. Viennent s’ajouter selon les cas des indemnités supplémentaires. 

Pour ceux qui étaient en CDD, le contrat s’est arrêté. C’est pour les stagiaires que la situation est encore plus désastreuse : ils n’ont plus de stages et pour ceux qui en avaient besoin pour valider leur cursus, cela aura des conséquences sur leur scolarité. 

Pour beaucoup de collaborateurs, il s’agit d’un premier vrai contrat de travail. La dernière étude statistique sur les collaborateurs de l’Assemblée nationale indique que 37.70 % de l’effectif a moins de 30 ans. 

Le salaire brut médian avant impôts est de 2465 €, attendu que l’enveloppe dont dispose le député pour rémunérer ses collaborateurs est d’environ 10 000 € maximum. Plus le député a de collaborateurs, plus la part pour chaque collaborateur est petite. Si ce salaire peut paraître important aux yeux de beaucoup de Français — le salaire médian en 2019 était de 1850 € — il faut ajouter le coût de la vie à Paris et les horaires à rallonge, inhérents à cette profession. 

Pour ces 2000 personnes s’ouvre une phase d’incertitude. Si leur député employeur est réélu, ils retrouveront leurs postes, sinon, ils devront trouver un autre emploi. 

Après les élections : peu importe la couleur de l’Assemblée nationale

La gauche a décidé de s’allier pour former une coalition sous le nom de Front Populaire ou Nouveau Front Populaire. Le Rassemblement National est donné gagnant sur cette élection. La majorité présidentielle prépare ses investitures et Les Républicains sont en cours de négociation avec un individu retranché dans leur siège. 

Mais, ce que tout le monde a oublié, c’est que peu importe la couleur de l’Assemblée nationale, il y a un arbitre dans cette histoire : le Sénat. 

Notre Parlement est bicaméral. Ce qui veut dire que tous les textes doivent trouver un accord avec les sénateurs. Or, ni La France Insoumise ni le Rassemblement National n’y a de groupe. La majorité présidentielle y est minoritaire, tout comme les groupes de gauche. Ce sont Les Républicains qui tiennent le Palais du Luxembourg. 

Bien entendu, dans beaucoup de domaines, l’Assemblée nationale a le dernier mot. Et contrairement à l’Assemblée nationale, on ne peut pas dissoudre les sénateurs. 

Dans l’hypothèse où le Rassemblement National serait le parti qui enverrait le plus de députés au Palais Bourbon, comment les choses se passeraient ? Bruno Retailleau aura une lourde tâche devant lui : ne pas donner l’impression qu’il joue main dans la main avec le parti de Marine Le Pen, lui qui a vertement vilipendé Éric Ciotti quand celui-ci a dit qu’il souhaitait un accord électoral avec le Rassemblement National. 

À l’inverse, on l’imagine très mal être d’accord avec des textes issus du Front Populaire, surtout si c’est La France Insoumise. Emmanuel Macron a fait une très grosse erreur de tactique : il a dissous une institution qui avait fini par trouver un mode de fonctionnement. Certes chaotique et bruyante, mais qui fonctionnait. Pour finalement se retrouver devant un autre obstacle indéboulonnable : le Sénat, à qui on ne peut pas forcer la main. 

En fait, il n’y a que trois « gros » groupes avec qui les sénateurs pourront travailler : Les Républicains, le Parti socialiste et la majorité présidentielle (Renaissance, MoDem et Horizons). En dehors d’eux, toutes les négociations politiques autour des textes donneront lieu à des conciliabules sans fin.

Nouveau calendrier institutionnel

En choisissant de dissoudre l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron a dissocié le calendrier de l’élection présidentielle d’avec les élections législatives. Théoriquement, les députés qui seront élus en juillet seront en poste jusqu’en 2029. 

En cas de paralysie, le Président de la République ne pourra pas dissoudre avant un an. Que se passera-t-il en 2027 ? Le nouveau locataire de l’Élysée peut choisir de garder l’Assemblée nationale telle qu’elle est ou dissoudre pour convoquer de nouvelles élections. 

Session extraordinaire 2024 inconnue 

Il y a un autre effet boomerang dans cette dissolution : le collapse entre les Jeux olympiques et l’installation de la nouvelle assemblée. Tout le secteur de l’Assemblée nationale est en zone rouge. Or, même si les députés ne vont pas plancher sur de nouveaux textes, il faut deux semaines pour que ces derniers élisent le président de l’Assemblée nationale, constituent leurs groupes, les commissions permanentes, etc. 

Pour les journalistes, cela va aussi poser problème. Tous ne sont pas détenteurs d’un badge d’accès permanent à l’Assemblée nationale : il faut faire une demande auprès des questeurs, qui doivent se réunir. La dernière réunion à ce sujet date de la XIVe législature. Sous la XVIe législature, cette délégation était sous la responsabilité d’Éric Ciotti, qui ne s’y est jamais intéressé. En clair : comment les journalistes vont-ils pouvoir travailler durant la session extraordinaire ? C’est d’autant plus incertain que même des confrères de grande rédaction se sont vus refuser un accès à leur lieu de travail, en raison des Jeux olympiques. On souhaite bon courage aux administrateurs. 

La suite au prochain épisode.


*Chiffre issu de la base de données du Projet Arcadie au 5 juin 2024