Dissolution de la BRAV-M - les pétitions de l'Assemblée nationale, une nouvelle forme de militantisme ?

La pétition pour la dissolution de la BRAV-M
La pétition pour la dissolution de la BRAV-M

Avec l’avènement des sites de pétitions en tout genre, qui adorent compléter leurs bases de données avec nos opinions, on aurait presque tendance à oublier qu’il existe une façon beaucoup plus intelligente de faire connaître son opinion : le site des pétitions de l’Assemblée nationale. Il a un jumeau : le site des pétitions du Sénat. 

Contrairement aux plateformes de type Change point org, le site de pétitions de l’Assemblée nationale a un véritable intérêt dans la fabrication de la loi ou le contrôle de l’action du Gouvernement. Son organisation est régie par les articles 147 à 151 du Règlement de l’Assemblée nationale. À partir d’un certain nombre de signatures, la pétition est soumise à une commission permanente. Il en faut 100 000. Un rapporteur est désigné — comme pour l’examen d’un texte — et va donner son avis : classer la pétition, c’est-à-dire la jeter pour parler concrètement — ou l’examiner. Si la pétition est examinée, il devra produire un rapport. À partir de 500 000 signatures, un débat peut être organisé en séance publique. 

Jusqu’à présent, les pétitions n’avaient jamais rencontré un grand succès, cela pour deux raisons. La première est pratique : contrairement aux plateformes prédatrices de données, il y a une vérification d’identité, afin de s’assurer qu’une personne ne signe pas plusieurs fois une pétition. Sur le site de l’Assemblée nationale et du Sénat, le système est géré avec France-Connect. De cela découle une certaine paresse du personnel politique et syndical, qui préfère avoir recours à des plateformes opaques, mais simples d’utilisation, ce qui leur permet aussi d’alimenter leurs propres bases de données. 

La seconde raison est philosophique : les citoyens ont du mal à percevoir en quoi une pétition peut changer les choses. Il est vrai que le sujet n’avait jamais été abordé sur Projet Arcadie : les pétitions de la XVe législature n’ayant jamais dépassé les 31 115 signatures. L’actualité récente va peut-être changer les habitudes. 

Ainsi, le 23 mars 2023, un internaute — Yann Millérioux — a déposé et enregistré une pétition appelant purement et simplement à la dissolution de la BRAV-M. La BRAV-M est un acronyme qui désigne les brigades de répression des actions violentes motorisées. Très sollicitée pendant les manifestations contre la réforme des retraites, il apparaît qu’elle n’est exempte de reproches. Nous renvoyons le lecteur vers la fiche Wikipédia consacrée à cette brigade, ainsi qu’à nos confrères de Libération, de Mediapart et de Loopsider

Au moment où ces lignes sont écrites, la pétition a déjà récolté 72 877 signatures, soit plus de 72 % du nombre requis pour un examen en commission. Question : quelle sera la suite concrète ?

Si les 100 000 signatures sont atteintes, c’est la commission des lois qui sera compétente pour examiner la pétition. Néanmoins, techniquement, les députés (ou les sénateurs) ne pourront pas dissoudre la brigade en question. Cette dernière a été créée par le préfet de police de l’époque : Didier Lallement. On peine à trouver le texte exact, mais il s’agit d’un acte de l’exécutif. Dès lors, que peuvent faire les législateurs ?

Sous la XVe législature, une commission d’enquête sur le maintien de l’ordre avait déjà planché sur cette question. Mais, force est de constater que les recommandations n’ont pas été suivies d’effet. Une nouvelle commission d’enquête serait sans intérêt. 

Une nouvelle loi pourrait-elle voir le jour ? Cela aurait du sens, tant les dérives sont nombreuses. Mais, cette loi devra inclure des volets de formation, de déontologie, de moyens financiers, techniques et humains ainsi que des propositions qui ne viendraient pas uniquement de la droite de l’hémicycle. Or et chacun a pu le constater avec la dernière motion de censure sur la réforme des retraites, déposée par le groupe LIOT, il apparaît que Les Républicains ne sont plus dans l’opposition au Gouvernement, mais un groupe minoritaire, de soutien à ce dernier. Le vote prévu le mardi 28 mars 2023 après les questions au Gouvernement ne laisse pas vraiment de doutes sur la façon dont les Républicains vont voter sur le projet de loi relatif aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions. Le texte prévoit notamment des dispositions assez dures sur la sécurité, notamment la vidéosurveillance algorithmique. 

Dès lors, peut-on considérer qu’une pétition signée sur le site de l’Assemblée nationale n’a aucune utilité ? Ce serait faux. Plus le nombre de signatures est élevé, plus le législateur perçoit qu’il y a un sujet — peu importe la thématique — qui intéresse les citoyens. Le mandat impératif n’existe pas en France, mais c’est une manière de porter sa voix auprès des élus. Contrairement aux emails nerveux envoyés par centaine à chaque député, les signatures ne peuvent pas être filtrées par un outil d’antispam. C’est un moyen d’action non violent, qui ne met en danger ni les parlementaires, ni les auteurs des pétitions, ni ceux qui vont la signer. Contrairement à une manifestation, les citoyens ne risquent pas de perdre un œil, un pouce, d’être victimes de gestes déplacés en signant une pétition.  

Peut-on légalement ignorer une pétition qui récolte le nombre de signatures requises ? Non. Le pire qui puisse arriver est le rapporteur en commission permanente décide qu’il n’y a pas de sujet et décide de classer la pétition. Vu la composition actuelle de l’Assemblée nationale, si un rapporteur décidait d’opter pour cela, il y a fort à parier que le mécontentement dépasserait le seul périmètre de l’Assemblée nationale.

Cette pétition, née d’une actualité assez anxiogène, pourrait donner lieu à une construction totalement nouvelle au sein de l’Assemblée nationale, avec une véritable prise en compte de l’avis des citoyens. Ne serait-ce que pour voir comment vont réagir l’institution et ses élus, on a envie qu’elle récolte les 500 000 signatures. 

Mise à jour du mercredi 5 avril 2023 à 17 h 40 : la pétition avait recueilli le nombre de signatures nécessaires pour être examinée en commission des lois. Sans réel argument juridique, le rapporteur lui a opposé une fin de non-recevoir. Nous renvoyons le lecteur vers la brève dédiée à ce sujet.