Éclairage sur les commissions d’enquête
Affaire Benalla, gestion de la crise sanitaire, crise des Gilets jaunes, attentats, l'outil privilégié des parlementaires pour répondre à un problème est souvent la commission d'enquête.
Ainsi, juste avant les vacances parlementaires du mois de février 2016, la commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015 s’est réunie pour auditionner différents acteurs associatifs, avocats, mais aussi victimes des attentats de 2015. C’est pour nous l’occasion de vous en dire plus sur les commissions d’enquêtes parlementaires.
La première commission d’enquête a eu lieu le 1er décembre 1815, sous la Restauration, suite à l’évasion d’Antoine Marie Chamans de Lavalette. Il faudra attendre la Monarchie de Juillet pour que le procédé, déjà entré dans les mœurs parlementaires, soit clairement affirmé. L’enquête parlementaire, menée par une commission ad-hoc, permet de rechercher des informations sur un domaine déterminé et par la même occasion, contrôle l’action du Gouvernement et éventuellement établit la responsabilité de ce dernier. À cette époque, les moyens d’actions de cette commission étaient assez pauvres : pouvoir d’investigation limité à la capitale, pas de contrainte des témoins, etc.
C’est par une ordonnance de 1958, puis sa consécration par la réforme constitutionnelle de 2008, dans l’article 51-2, que la commission d’enquête sera institutionnalisée sous la Ve République.
Pour être créée, une commission d’enquête doit d’abord être précédée d’une proposition de résolution. Une proposition de résolution est un texte voté par une assemblée parlementaire et qui a trait à son fonctionnement intérieur, qui exprime une opinion ou une volonté sur un sujet précis. Cette proposition doit énoncer clairement quels sont les faits qui donnent lieu à une enquête ou le service ou l’entreprise public dont la gestion doit être examinée.
Une fois que le bureau de l’Assemblée Nationale a enregistré la proposition, le Garde des Sceaux est informé, car une commission d’enquête, que ce soit à l'Assemblée nationale ou au Sénat, ne peut pas être créée si des poursuites judiciaires sont en cours. C’est ensuite la commission permanente compétente qui étudie si les conditions sont réunies et si la création de la commission d’enquête a une utilité.
Ce que l’on doit retenir, c’est qu’avant même sa mise en place, une commission d’enquête est examinée sur la forme et sur le fond. Une fois ces étapes validées, il reste à voter la proposition de résolution et ce scrutin intervient pendant la semaine dite de contrôle. La semaine de contrôle est la semaine pendant laquelle l’ordre du jour est réservé en priorité au contrôle du Gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques. Ce scrutin est un peu particulier dans la mesure où seuls les députés défavorables à la proposition de résolution participent au scrutin et pour que cette dernière soit rejetée, il faut réunir la majorité des 3/5ᵉ des membres de l’Assemblée Nationale, présents au moment du scrutin. L’exemple le plus récent que nous avons est celui du rejet d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative à la participation de fonds français au financement de Daesh, en date du 3 décembre 2015, en raison du caractère partiel de son objet d’étude. Dans la pratique, on observe que l’appréciation de la recevabilité est généralement large, car elle est fonction de l’actualité. Ainsi, la commission d'enquête sur les éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l’affaire dite Sarah Halimi a été créée, suite à l'émoi qu'a provoqué cette affaire judiciaire.
Si la proposition de résolution est adoptée, la commission d’enquête peut voir le jour et il faut trancher sur sa composition. Comme pour les commissions permanentes, elle doit être paritaire et ne pas comporter plus de 30 députés. Après la constitution, un bureau - président, vice-présidents, secrétaires et rapporteur - sont élus.
La commission est créée, son objet a été validé, son bureau constitué, les membres la composant y ont pris place, il reste aux députés à se mettre effectivement au travail, car leur action est limitée dans le temps. En effet, il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une commission temporaire et les parlementaires n’ont que six mois pour présenter un rapport, qui peut ne pas être public, si la demande est formulée. Par ailleurs, cette commission ne pourra pas être reconstituée avec le même objet qu’après un délai de douze mois.
Concernant la composition, il peut arriver qu'un député décide de la quitter en cours de route. Dans ce cas, afin de respecter la parité politique, un membre de son groupe le remplace.
Posé ainsi, on peut avoir l’impression que six mois est un délai suffisant pour qu’une commission d’enquête fournisse un rapport d’enquête. En réalité, si on tient compte du calendrier parlementaire, de l’agenda des députés et des délais pour caler les auditions de certaines personnalités, ce délai paraît court, mais il se justifie également par la prise sur l’actualité.
Pour travailler, les députés peuvent demander des pièces sauf ce qui est sensible comme les informations relevant du secret défense, ils peuvent auditionner des personnes et ils peuvent aussi se déplacer sur les lieux s’ils le jugent nécessaire. Ainsi, la commission d’enquête sur les moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme a prévu un déplacement au Bataclan pour comprendre ce qui s’est passé le 13 novembre 2015. Enfin, sauf cas rares, les commissions d’enquêtes sont publiques et sont filmées.
Au bout de six mois, la commission fournit un rapport, qui est examiné à huit-clos par la commission. Il est remis au Président de l'Assemblée nationale et généralement, rendu public, sauf décision contraire de l'Assemblée. Il peut également faire l'objet d'un débat sans vote en séance publique.
Sur cette page, vous trouverez toutes les commissions d'enquête créées entre 1961 et 2015. Sur la fiche explicative de l'Assemblée nationale, se trouvent également les autres commissions d'enquêtes sous la XIVe législative. Enfin, pour trouver les commissions d'enquête sous l'actuelle législature, il faut se rendre sur cette page.
Au Sénat, les règles sont similaires.
Commentaires
Quelques précisions
Quelques précisions concernant votre article:
- seules les propositions de résolution proposées par les groupes d'opposition ou minoritaires (tous sauf SRC) dans le cadre du "droit de tirage" (droit à la constitution d'une commission d'enquête par session) échappent à la procédure de vote de droit commun. Sinon, c'est la procédure normale : il faut juste plus de "pour" que de "contre" (c'est ainsi qu'a été repoussée la commission sur le financement de Daesh).
- dans le cadre du droit de tirage, la procédure spécifique de vote des 3/5eme contre pour faire échec à la création a disparu lors de la dernière modification du Règlement. Désormais, la création de la commission d'enquête est vraiment de droit. La commission permanente saisie ne peut d'ailleurs plus modifier la proposition de résolution qu'elle n'examine donc plus au fond;
-enfin, quand cette procédure existait, il fallait non pas réunir 3/5 des votes des députés présents pour faire échec à la création de la commission d'enquête, mais 3/5eme des députés composant l'Assemblée nationale (soit 347 députés quand l'Assemblée est au complet)...
Bonjour,
Bonjour,
tout d'abord, veuillez accepter mes excuses pour le délai de validation de votre commentaire ainsi que la réponse inhérente.
En effet, vous avez raison sur la première précision, je me garde ce point sous le coude pour un prochain billet.
Concernant la deuxième précision, également.
Sur le troisième point, oui, effectivement mais comme j'étais sur une ancienne version du règlement et que j'ai lu le dernier compte-rendu lors de la résolution pour la création de la commission d'enquête, j'en avais conclu que c'était les 3/5eme présents et non 3/5eme des députés.
Petite question : votre pseudo, c'est volontaire ?
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