Faux passeports, police secrète yougoslave, anti mariage pour tous : les casseroles des commissaires européens désignés

Sur 27 commissaires désignés, ils sont treize à ne pas avoir un CV impeccable.
Sur 27 commissaires désignés, ils sont treize à ne pas avoir un CV impeccable.

On peut reprocher beaucoup de choses à Stéphane Séjourné, mais il a pour lui que contrairement à d’autres commissaires européens désignés, il ne traîne pas de grosses casseroles. Ce n’est pas le cas de tous les autres. Sur 27 commissaires désignés, ils sont treize à ne pas avoir un CV impeccable. Certains ont des antécédents qui tiennent surtout de la mauvaise gestion politique au moment où ils étaient aux affaires, mais, pour d’autres, ils ont pu compter sur un flou juridique ou artistique.

Olivér Várhelyi : l’inquiétant émissaire hongrois

Sur le papier, Olivér Várhelyi, commissaire désigné pour la santé et le bien-être animal, passe pour être un bon candidat pour la Hongrie, d’autant qu’il a déjà été commissaire de 2019 à 2024, à l’élargissement et à la politique européenne de voisinage.

Dans le détail, il y a certains aspects qui interrogent. Dans les faits, on relève cette perle « combien d’idiots restent-ils ? » adressée aux députés européens.

Il lui est aussi reproché d’être l’homme bruxellois de Viktor Orbán, le Premier ministre hongrois, dont les accointances envers Vladimir Poutine ne sont pas un secret et c’est tout le dilemme des députés européens.

Enfin, il est apparu assez nettement durant son audition qu’il n’était pas exactement un progressiste concernant l’avortement et les droits des personnes LGBTQIA+. Quand on est en charge de la défense ou de la stratégie industrielle, ce n’est pas un sujet. Quand on aura la charge de la santé, ça en est un.

Apostolos Tzitzikostas : Aube dorée et catastrophe ferroviaire

Comme son homologue hongrois, Apostolos Tzitzikostas peut se targuer d’avoir un beau CV politique. Et c’est ainsi qu’en tant que gouverneur, en 2013, il a invité Aube Doré au défilé annuel du 28 octobre pour la journée Ohi. On admettra que ce n’était pas l’idée du siècle.

Mais, ce qui interpelle le plus est le portefeuille dont il devrait hériter : les transports. En février 2023, une catastrophe ferroviaire à Tempé fait 57 morts. L’affaire est toujours pendante devant les tribunaux.

Légalement, Apostolos Tzitzikostas n’est pas partie prenante à l’affaire. Mais, il est proche du Gouvernement et les familles des victimes soupçonnent que ce dernier tente d’étouffer l’affaire. Pour elles, la Grèce ne devrait tout simplement pas récupérer ce portefeuille, qu’il s’agisse d’Apostolos Tzitzikostas ou de n’importe qui d’autre.

Ekaterina Zaharieva : les faux passeports

On monte d’un cran avec Ekaterina Zaharieva. En 2018, en Bulgarie, éclate un scandale d’une filière de faux passeports. Une ancienne employée du département des migrations accuse Ekaterina Zaharieva, d’avoir participé à un stratagème visant à accorder la citoyenneté bulgare, en échange d’une rémunération conséquente.

L’affaire date de 2018 et concerne plusieurs responsables politiques. Elle est toujours en cours d’instruction.

Hadja Lahbib et la délégation iranienne

Lorsqu’elle était ministre des Affaires étrangères, Hadja Lahbib a accordé des visas à une délégation iranienne, afin qu’elle puisse participer au Brussels Urban Summit. Problème : dans la délégation, il y avait le maire de Téhéran, plutôt conservateur.

Problème bis : à ce moment-là, Olivier Vandecasteel, travailleur humanitaire belge, était dans les geôles iraniennes, ce qui donnait quelques tensions avec Bruxelles. Mieux encore, dans un email, la ministre explique qu’elle n’a aucun problème pour inviter les officiels des villes iraniennes ou russes. Nous sommes en 2023, après la seconde invasion de l’Ukraine par la Russie.

L’argument du Gouvernement belge a été de dire qu’un refus de visas aurait humilié l’Iran et ajouté de nouvelles difficultés. Qu’en termes diplomatiques ces choses-là sont dites.   

Roxana Mînzatu : les oublis de patrimoine

Interrogée par la commission, Roxana Mînzatu a été questionnée sur sa maison à Brasov, bourgade de Roumanie, achetée 17 000 €, soit une bouchée de pain, même à l’époque de l’achat, à savoir 2009. Premier problème : elle a indiqué « J’ai acheté une maison de 60 mètres carrés. Il y a 50 ans, ma mère a loué cette maison. Elle appartenait à l’État, au régime communiste. Il n’y a plus de papiers ».

Il est vrai que la Roumanie connaît un véritable problème de documents administratifs qui peuvent prendre des dizaines d’années avant d’être résolus. Mais, la maison était classée bâtiment historique. Elle l’a fait agrandir sans l’autorisation du ministère de la Culture, ni même permis de construire. C’est d’autant plus audacieux que Brasov est une ville à très forte portée culturelle et patrimoniale. La justice a été saisie de cette affaire et Roxana Mînzatu renvoie la balle à son époux.

Aurait-elle pu ignorer le problème ? Cela aurait été plausible si elle n’avait jamais côtoyé l’administration et quiconque s’est déjà battu avec les services en charge des biens immobiliers sait que c’est un cauchemar administratif. Sauf que Roxana Mînzatu était sous-préfète à Brasov au moment de l’achat et qu’elle était déjà député depuis trois ans.

Autre problème : son entreprise. Au 1er avril 2021, elle crée l’équivalent français d’une SARL. Un an plus tard, elle la transfère à sa belle-mère et devient ministre. Elle oublie de déclarer l’entreprise dans sa déclaration d’intérêts et de patrimoine.

Dubravka Šuica : une confusion de portefeuilles

Saviez-vous qu’on pouvait être professeur de primaire et de secondaire, épouse d’un marin et se constituer un patrimoine estimé à 5 millions d’Euros, le tout sans avoir hérité ? 5 millions, c’est le patrimoine de Dubravka Šuica. Il se répartit entre une villa à Ploče à Dubrovnik, une maison à Cavtat, une maison à Pelješac, un appartement à Zagreb, un appartement à Lapad, une maison à Risovac près du lac Blidinjsko en Herzégovine, un yacht et trois voitures.

Elle rejoint le conseil municipal de Dubrovnik en 1997 et devient maire en 2001. Entre 1997 et 2009, date de son départ de la mairie, son patrimoine est multiplié par dix. Elle cumule avec un mandat de député croate entre 2001 et 2011.

Son mandat à la mairie a été émaillé de divers scandales concernant sa mauvaise gestion et de légèreté concernant les lois, en particulier l’absence de permis de construire pour l’une de ses maisons. Bizarrement, aucune procédure judiciaire n’a été intentée sérieusement. Elle a écopé d’un vague contrôle fiscal après sa défaite à la mairie, mais l’administration n’a pas réussi à trouver suffisamment d’éléments incriminants.

Le dernier épisode en date concerne ses voyages : entre 2019 et 2024, alors vice-présidente de la Commission, elle a effectué 148 voyages en Croatie, pour un montant total de 360 000 euros. Près de 60 d’entre eux concernaient une mission à Zagreb, tandis que 23 voyages officiels concernaient sa ville natale, Dubrovnik. L’un de ses voyages était un pèlerinage à Marija Bistrica avec l’organisation HDZ, son parti politique.

Marta Kos : la rumeur de la police secrète yougoslave

Dans le cas de Marta Kos, le flou reste entier. La commissaire désignée pour la Slovénie est accusée d’avoir été une collaboratrice active de la police secrète yougoslave, dont les méthodes n’avaient rien à envier au KGB ni à la Securitate (Roumanie).

C’est Romana Tomc qui a évoqué ces rumeurs, qui ont surgi pour la première fois en 2022, lorsque Marta Kos s’est présentée à la présidence de la Slovénie. Puis, John Schindler, un ancien de la NSA, a évoqué sur X (anciennement Twitter) ses rumeurs, indiquant que Kos aurait été une informatrice, sur la base de ses souvenirs.

Mais, rien de tangible ne vient confirmer ses rumeurs et le nom de Kos est assez répandu. Ajoutons un point historique, qui a tendance à échapper aux Occidents de l’Ouest : dans les régimes communistes, tout le monde collaborait plus ou moins, puisque personne n’avait vraiment le choix. Il y avait des collaborations actives et des collaborations passives. Les archives ayant été détruites dans de nombreux pays, il est quasiment impossible de savoir qui a collaboré avec qui, en échange de quoi et pourquoi.

Costas Kadis et les déchets de Pentakomo

Le candidat chypriote Costas Kadis aurait probablement préféré qu’on oublie l’histoire de l’usine de traitement des déchets de Pentakomo. Perdu, il va falloir affronter le problème. Ministre de l’Environnement de 2018 à 2023, il a fermé les yeux sur l’enfouissement des déchets en violation de la loi européenne sur les déchets et de la loi européenne sur les émissions industrielles.

L’usine avait obtenu un prêt de l’Union européenne, pour recycler des déchets et les transformer en combustible, qui aurait été vendu par la suite. Nos confrères de Politico ont mis la main sur un rapport, indiquant que le gouvernement de Chypre « savait que les déchets ne pourraient pas être utilisés pour fabriquer le bon type de combustible avant le début du projet, mais a quand même signé un accord avec l’UE ».

L’entrepreneur avait indiqué que la transformation en combustible était impossible, en raison de l’humidité des déchets. Mais, ce n’est qu’en décembre 2023 que le Gouvernement a mis fin à l’accord. Costas Kadis doit récupérer le portefeuille de la pêche et des océans. On peut avoir des craintes quant à sa capacité de préserver l’environnement s’il a fermé les yeux sur l’affaire Pentakomo.

Maria Luís Albuquerque et les contrats swaps

On l’a oublié, mais, le Portugal a traversé une crise économique assez sévère vers les années 2010, précédé d’une crise politique. Comment gérer la chose ? En maquillant les comptes ou presque. En termes plus policés, on parle de contrats swap : cela consiste à faire apparaître une dette publique plus basse qu’elle ne l’est en réalité, en bradant les bijoux de famille à des institutions bancaires. Par exemple, la gestion du réseau ferroviaire national. Ou en obligeant à conclure des opérations dérivées.

La presse portugaise s’était emparée de l’affaire, ce qui avait poussé le secrétaire d’État au Trésor portugais, Joaquim Pais Jorge, à la démission. Qui l’avait nommé ? Maria Luís Albuquerque.  

Si l’enquête parlementaire a partagé les responsabilités et indiqué « que certaines banques ont profité du contexte de dépendance au financement des entreprises publiques pour imposer la souscription d’instruments de gestion des risques financiers conditionnés à ce financement. », cela interroge sur les capacités de Maria Luís Albuquerque.

Son portefeuille est celui des services financiers, union de l’épargne et des investissements.

Maroš Šefčovič : le Slovaque Manif pour Tous ?

Si Maroš Šefčovič a fait preuve d’un bon niveau technique lors de son audition devant les parlementaires européens, son passif n’est pas tout à fait neutre.

En 2019, il a présenté la Russie comme un allié stratégique. Il est vrai qu’en France, on a les mêmes ahuris à la même époque. Néanmoins, la France n’a jamais fait partie du bloc de l’Est, qui a connu la dictature communiste.

Deuxième mauvais point : il s’est montré plutôt critique envers l’Union européenne par le passé et a indiqué que les intérêts de la Slovaquie devaient passer en premier. On comprend le raisonnement, mais cela reste peu compatible avec un portefeuille de commissaire désigné.

Enfin, les droits des personnes LGBTQIA+ ne sont manifestement pas son sujet. Interrogé en 2019, au moment de l’élection présidentielle, il répond « En matière de mariage, je respecte pleinement la Constitution de la République slovaque. Cela devrait être une relation entre un homme et une femme ».

Jozef Síkela et la crise de l’énergie

Si les Français ont souffert des prix de l’énergie suite à la seconde guerre en Ukraine, en Tchéquie, les factures ont atteint des montants monstrueux. La cotation boursière de l’électricité est passée de 147 € le 14 février 2022 à 984 € le 26 août 2022. On a donc reproché à Jozef Síkela sa mauvaise gestion du dossier, qui avait misé sur des aides aux ménages, avant de réfléchir à un prix plancher.

Le problème de fond restait inchangé : la dépendance aux énergies russes. Plus surprenant : dans un média tchèque, il indique « Lorsque j’ai pris mes fonctions de ministre de l’Industrie et du Commerce en décembre 2021, les préparatifs russes en vue d’une invasion de l’Ukraine battaient leur plein. Les troupes russes se massaient aux frontières, la Russie commençait à manipuler l’approvisionnement en gaz de l’Europe ». 

Ou comment reconnaître qu’on voyait la catastrophe arriver et qu’on ne l’a pas anticipé, ce qui ne laisse rien présager de bon pour son portefeuille aux partenariats internationaux.

Dan Jørgensen : l’opposant au nucléaire

Dan Jørgensen est le commissaire désigné pour le Danemark pour l’énergie et le logement. Dès son audition, il a dit qu’il n’était pas favorable au nucléaire. Sauf qu’il n’aime pas non plus le pétrole ni le gaz et qu’on en vient à se demander comment on va fabriquer de l’énergie.

Il traîne deux casseroles : l’accord Aalborg Portland et une histoire de gazoduc. La première est un accord avec le plus gros émetteur de CO² du Danemark : Aalborg Portland, qui devait s’engager à réduire son émission de CO² de 30 % à horizon 2030. Sauf que c’était en contradiction avec l’objectif affiché du Gouvernement, qui voulait une réduction de 70 % et que les autres entreprises, passibles d’une taxe sous forme de malus, n’ont pas vraiment compris le cheminement.

L’autre dossier est celui du gazoduc Nordic Sugar de 2021. L’agence danoise de l’énergie a octroyé une subvention de 197 millions de couronnes danoises (26 405 880 €) pour un gazoduc qui devait permettre de réduire les émissions de CO² et créer des emplois. Bilan à zéro pour les deux objectifs.

Raffaele Fitto, le chanceux

On a gardé le meilleur pour la fin avec Raffaele Fitto, commissaire désigné pour l’Italie à la cohésion et aux réformes.

Condamné en première instance en 2013 pour corruption, il a un coup de chance en appel : il est relaxé et blanchi de toutes les accusations. C’est l’affaire « La Fiorita » dans laquelle il avait été accusé d’avoir reçu des pots-de-vin pour le financement de son parti, en échange de la gestion des maisons de retraite.

Lorsqu’il est président des Pouilles — équivalent de notre président de région — il est accusé et condamné pour avoir conspiré pour vendre à découvert la société Cedis. Mais, comme pour l’affaire La Fiorita, il sort blanchi grâce à la complicité du ministère de la Justice.

Est-ce que cela pèsera dans la balance au moment où les députés européens voteront ? C’est assez peu probable, tant le casting est un résultat politique. Mais, cela ne va pas contribuer à réconcilier les Européens avec les institutions.