Inflation législative ? La réponse par les chiffres

Les parlementaires sont-ils responsables de l'inflation législative ?
Les parlementaires sont-ils responsables de l'inflation législative ?

En fustigeant le droit d’amendement des parlementaires, le Président de la République a suscité des réactions désagréables chez les premiers concernés. Les éléments statistiques montrent qu’ils ne sont pas les premiers responsables.

Action de l’exécutif et réactions du législatif

Lors du lancement des États généraux de la Justice, le lundi 18 octobre 2021, au Palais des congrès de Poitiers, le chef de l’État Emmanuel Macron s’est ému de l’inflation législative. « Nous avons contribué à l’inflation législative. Les lois sont plus nombreuses, grossies par le droit d’amendement. » 

La déclaration n'est pas passée inaperçue, malgré un agenda parlementaire très chargé. Lors de l’examen en première lecture du projet de loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire, le mardi 19 octobre 2021, pendant la deuxième séance, les députés de l’opposition ont fait part de leurs réserves quant à cette déclaration. Ainsi, Sébastien Jumel, député GDR a déclaré : « le Président de la République est revenu dessus en affirmant que l’inflation législative était de la responsabilité du Parlement. Voilà l’aveu, que le texte dont nous débattons ce soir illustre concrètement, que l’exécutif voudrait se passer du Parlement et se priver de l’opposition. » 

Au Palais du Luxembourg, le sénateur Bruno Retailleau, auprès de Public Sénat, semblait très dubitatif quant à la véracité de cette affirmation. 

L’inflation législative est une expression consistant à dire qu’il y a trop de lois, trop de normes, ce qui entraîne une illisibilité de la loi, au sens général. Dans le propos du Président de la République, l’inflation législative serait le fait des parlementaires, qui feraient un usage immodéré de leur droit d’amendement. 

Une Assemblée nationale rationalisée

Si le droit d’amendement est garanti par la Constitution de 1958, en son article 44 alinéa 1er « Les membres du Parlement et le Gouvernement ont le droit d’amendement », cette dernière énonce également une limitation « Ce droit s’exerce en séance ou en commission selon les conditions fixées par les règlements des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique ». Déposer un amendement ne signifie pas qu’il sera validé par les services. En effet, si le Sénat applique depuis plusieurs années, un mécanisme de filtrage des amendements, en amont de l’examen en commission ou en séance, l’Assemblée nationale a commencé à procéder à ce même travail en amont durant cette législature. 

À l’Assemblée nationale, sous cette législature, à ce jour, 293 111 amendements ont été déposés, 193 021 ont été discutés, c’est-à-dire présentés pour examen, soit en commission, soit en séance. Sur ces 193 021, 30 452 ont été adoptés. 40 582 n’ont pas été soutenus, c’est-à-dire que les signataires de l’amendement n’étaient pas présents pour les défendre. Si un parlementaire n’est pas présent, il ne prend donc pas de temps sur la séance. 92 301 ont été rejetés, 17 290 ont été retirés et 12 407 sont tombés, ce qui signifie que l’adoption d’un autre amendement a pour effet de les rendre caduques. 

La répartition des amendements sous la XVe législature

La répartition des amendements sous la XVe législature

Sur la masse d’amendements, seuls 65,85 % ont effectivement été discutés et toujours sur la base des amendements disponibles, seuls 10,39 % sont venus enrichir les textes.

En comparant les données disponibles sur le site de l’Assemblée nationale, qui s’arrête au 30 septembre 2021, on observe que le seul point sur lequel, la présidence d’Emmanuel Macron se distingue par sa volumétrie, est le nombre d’amendements déposés. Les données sont disponibles du 12 juin 1997 au 30 septembre 2021 et sont celles utilisées dans les graphiques.

C’est sous la présidence de François Hollande qu’il y a eu le plus de séances à l’Assemblée nationale. 

Le nombre de séances à l'Assemblée nationale

Le nombre de séances à l'Assemblée nationale

C’est également sous sa présidence que le volume d’heures en séance a été le plus conséquent. 

Le nombre d'heures en séance à l'Assemblée nationale

Le nombre d'heures en séance à l'Assemblée nationale

Si le record de projet de loi a été atteint sous la seconde présidence de Jacques Chirac, c’est sous sa première présidence que le plus grand nombre de propositions de loi a été adopté. 

Le nombre de projets et de propositions de lois adoptés à l'Assemblée nationale

Le nombre de projets et de propositions de lois adoptés à l'Assemblée nationale

Quant au nombre d’amendements déposés à l’Assemblée nationale, c’est sous la seconde présidence de Jacques Chirac que le record a été atteint. 

Le nombre d'amendements durant les dernières présidences, à l'Assemblée nationale

Le nombre d'amendements durant les dernières présidences, à l'Assemblée nationale

Que ce soit par le nombre d’amendements adoptés, par le nombre de propositions de loi ou même par le nombre d’heures passées en séance, il n’apparaît pas que les députés sont responsables de l’inflation législative. 

Soupçons sur le Palais du Luxembourg

Peut-être que le Chef de l’État visait les sénateurs. Le Sénat met à disposition du public, un rapport régulièrement actualisé, comportant des statistiques. La difficulté principale dans l’exploitation réside dans la périodicité. En effet, le Sénat fonctionne par année, alors que l’Assemblée nationale fonctionne par législature. De fait, calquer le calcul opéré pour les députés sur les sénateurs n’est pas pertinent. 

Néanmoins, le rapport présente une donnée intéressante : le taux de « réussite » d’une commission mixte paritaire (CMP). Il s’agit d’une conciliation entre les apports législatifs de l’Assemblée nationale et ceux du Sénat. Le Sénat affiche une moyenne de 60 % des CMP ayant abouti à un accord, ce qui signifie que le texte n’est plus modifié par les chambres parlementaires. Sur la période 2019-2020, la CMP s’est avérée conclusive à 70 %. 

Par ailleurs, le même rapport conclut qu’en moyenne, l’Assemblée nationale a le dernier mot — en cas de désaccord entre les deux chambres donc — en moyenne dans 12,47 %. Sur la période 2019-2020, le pourcentage du « dernier mot à l’Assemblée nationale » est 19 %. 

Mieux encore, même si sur les trois dernières périodes, le taux de reprises des amendements adoptés au Sénat, à l’Assemblée nationale est tombé à 51 % en moyenne, dans les années précédentes, le taux de « conservation » des ajouts du Sénat a culminé à 94 %. 

La loi, le petit Poucet du Journal officiel

Enfin, la DILA (Direction de l’Information Légale et Administrative) publie chaque année, un rapport d’activité comportant le nombre de lois publiées au Journal officiel, ainsi que la proportion de décrets, d’avis, d’arrêtés et de décision par rapport à leur volumétrie de publication. 

La volumétrie normative

La volumétrie normative 

Sans surprise, on constate que les lois font pâle figure à côté des nombreux arrêtés, actes pris par des entités issues du pouvoir exécutif, publiés ces dix années.

Dès lors, plutôt que de parler d’inflation législative, il semble plus approprié de parler d’inflation normative, expression qui a l’avantage d’englober les textes législatifs et réglementaires.