Inondations en Espagne : chronologie et décryptage d’un désastre

Le désastre que connaît l'Espagne, pourrait aussi survenir en France / Copyright : AFP - Manaure Quintero
Le désastre que connaît l'Espagne, pourrait aussi survenir en France / Copyright : AFP - Manaure Quintero

La catastrophe météorologique qui a frappé l’Espagne la semaine dernière, en particulier la région de Valence, a eu un fort écho en France et laissera des traces chez nos voisins. Avec une question angoissante : un tel désastre pourrait-il survenir en France ? 

DANA : un phénomène classique 

DANA est un phénomène météorologique connu des Espagnols, spécialement des insulaires, qui l’affrontent à intervalles réguliers. Il s’agit d’une combinaison d’une dépression, résultant d’une collision entre une masse d’air froide en altitude et d’une masse d’air chaud à la surface. Cette goutte froide se matérialise par des pluies très fortes, très intenses, des vents violents et des températures élevées. 

Cet été, l’Espagne, en particulier les Baléares, a connu plusieurs alertes orange et même rouge suite à ce phénomène. Cela a occasionné des dégâts matériels et parfois humains, plus ou moins variables selon les régions concernées. 

Dès le vendredi 25 octobre 2024, l’AEMET relayait des appels à la vigilance. 

L’AEMET : l’agence météorologique espagnole

L’AEMET est l’équivalent espagnol de notre agence Météo France. Elle dispose d’antennes locales dans toutes les régions de l’Espagne. Dès vendredi 25 octobre 2024, l’AEMET de Valence prévenait du retour de DANA sur la péninsule, avec des risques importants. Ces messages ont été relayés sur le compte « central » de l’AEMET sur X (anciennement Twitter). 

Le dimanche 27 octobre 2024, Valence et la Catalogne passent en orange pour le lundi 28 octobre 2024, de même que Majorque. Le lundi 28 octobre 2024, l’agence prévient que de très fortes pluies sont à craindre sur la communauté de Valence et de Majorque et à 15 h, une alerte est émise par l’agence parlant de « très fortes précipitations, voire torrentielles, dans les zones de l’est et du sud de la péninsule dans l’après-midi de lundi et mardi ». Une notice est mise en ligne. Le mardi 29 octobre 2024, à 7 h 36 du matin, la zone de Valence passe en rouge. 

Majorque subit des pluies, mais, sans commune mesure avec ce qu’a connu Valence. Les dégâts sont minimes et on ne déplore aucune perte humaine. 

Des réactions très tardives

Alors que le danger était connu dès mardi matin, ni le Gouvernement local ni les entreprises n’ont émis d’alerte avant 20 h 12. Certains travailleurs sont restés bloqués sur leur lieu de travail. D’après Publico, des superviseurs auraient insisté pour que des salariés (non essentiels) viennent travailler, en dépit de l’alerte. En plus de ceux qui ont été coincés sur leur lieu de travail, d’autres étaient sur la route pour rentrer chez eux et ont été piégés par l’eau.  

Le mardi, à 13 h, Carlos Mazón a fait une déclaration, assurant que la tempête qui avait frappé la région le matin, se déplaçait ailleurs : « la tempête se dirige vers la Serranía de Cuenca, on s’attend donc à ce que vers 18 h son intensité diminue dans le reste de la Communauté valencienne ». Sauf qu’AEMET n’avait pas levé l’alerte rouge

D’après El Pais et confirmé par Publico, le secrétaire autonome de sécurité et des urgences Emilio Argüeso n’aurait pas agi. Le mardi, il a tenu une seule réunion avec un subordonné, le chef du service des spectacles, des activités récréatives et des fêtes taurines. Le lendemain, il ne se serait rendu à son bureau qu’à 11 h du matin.

Il faudra attendre vendredi pour que Carlos Mazón demande l’aide de l’État central

Aujourd’hui, dimanche 3 novembre 2024, la région connaît une autre alerte rouge et on ne sait toujours pas quel est le bilan humain. 

Pedro Sánchez, sur la réserve

Le Premier ministre espagnol aurait-il pu prendre des décisions ? Explications du fonctionnement espagnol : il y a l’État central d’un côté et des communautés autonomes de l’autre. Au sein de chaque communauté autonome, il y a un Gouvernement et un Parlement. Chaque « région » décide pour elle-même, sauf dans certains domaines. 

Au moment de l’épidémie de COVID, le Premier ministre espagnol avait pris des décisions relevant de l’urgence sanitaire, applicable dans l’ensemble du pays. Aurait-il pu faire la même chose ? « Oui » nous explique Stéphane Vojetta, député des Français de l’étranger pour l’Espagne et le Portugal, mais aussi habitant d’Espagne. « Sánchez aurait pu décréter l’état d’alarme comme en 2020, sur le fondement de l’article 116 de la Constitution espagnole. Mais, Carlos Mazón n’a pas voulu élever le niveau de l’alarme au niveau 3. Or, c’est une prérogative de la région. » 

Il faut le souligner : le Premier ministre est à gauche, le président de région à droite. Les chamailleries politiciennes ont pris le dessus, comme le montre la déclaration gouvernementale de samedi. Lors de la conférence de presse, Pedro Sánchez a déclaré « Les autorités valenciennes connaissent le terrain mieux que quiconque. », renvoyant la balle à Carlos Mazón. 

Colère populaire 

Dimanche, le Roi et la Reine, le Premier ministre et le président de la région se sont rendus sur place, aux côtés de sinistrés. Les images ont largement circulé, montrant une foule en colère, conspuant le Roi, la Reine et le Premier ministre. Si ce dernier est vite parti, le couple royal est resté. 

Car, les secours se font encore attendre sur place : « Les routes et les ponts sont coupés. Il n’y a plus d’eau potable, plus d’électricité, les communications sont inexistantes, car les antennes relais sont hors service. Il y a des gens dont on ne sait pas s’ils sont disparus, décédés ou en vie, car la bureaucratie de la région est infernale. Ils ont l’impression qu’on a minimisé la catastrophe alors qu’on ne sait toujours pas combien on a de morts, de blessés et surtout de disparus. Les volontaires qui voulaient venir aider ont été refoulés vendredi, sur ordre du président de région. Les Espagnols aiment le couple royal, mais, comme ils sont les seuls à être restés, c’est eux qui ont pris les insultes, la boue et les jets de projectiles. Ce n’est pas habituel en Espagne, c’est dire l’exaspération des gens » explique Stéphane Vojetta. 

« Ce sont surtout les gens des quartiers populaires qui ont été touchés. En Espagne, les gens vivent souvent dans l’entresol, facilement inondable, mais moins cher. Or, quand on regarde la carte de Valence, qui est grande comme Marseille, on voit que les quartiers plus dévastés sont les quartiers populaires. D’ailleurs, les photos des voitures le montrent aussi : ce sont des voitures d’entrée de gamme, pas des voitures de luxe » poursuit-il. 

« La fureur des gens était dirigée contre tout le monde, c’est une faute collective à ce niveau de désastre. »

Mais, il semblerait que cette colère ne soit pas aussi spontanée que cela. Nos confrères d’El Diario rapportent que Revuelta, un association d’extrême-droite, aurait revendiqué l’attaque à coups de bâton contre Pedro Sánchez. Sur Telegram, le désormais député européen Alvise Pérez incitaiterait plus ou moins ses abonnés à s’en prendre au roi et au premier ministre. 

Enseignement pour le futur ?

Un tel désastre logistique pourrait-il advenir en France ? « Oui et non. Non, car la France est un État centralisé avec un préfet dans chaque coin. Les mesures peuvent être prises presque immédiatement. Oui, car l’histoire des parkings inondés et noyés en quelques minutes, c’est quelque chose qui peut arriver en France, tout comme le métro inondé et paralysé » indique Stéphane Vojetta. 

« Il faut aussi repenser le foncier, aussi bien en France qu’en Espagne ». Et une culture du risque. Car, les épisodes météorologiques extrêmes se multiplient en Europe. En France, la prévention des risques est indiquée dans le projet de loi de finances, sous le programme 181. Son budget a été revu à la baisse dans le projet de loi de finances pour 2025.