L'interview d'Anne Brugnera

Anne Brugnera sous les voûtes de Notre-Dame
Anne Brugnera sous les voûtes de Notre-Dame

Membre de la commission des affaires culturelles, Anne Brugnera a été rapporteure du projet de loi pour la restauration et la conservation de la cathédrale Notre-Dame de Paris, suite à l'incendie de la cathédrale en 2019.


Vous avez été rapporteure sur le projet de loi pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris et instituant une souscription nationale à cet effet. Plusieurs personnalités ont promis des dons pour restaurer Notre-Dame : ont-elles tenu leurs promesses ?

Toutes les promesses de dons ont été honorées à l’exception de quelques collectivités territoriales qui n’ont pas mis en œuvre leurs promesses médiatiques.

Les promesses de dons les plus importantes n’ont pas été à ce jour totalement honorées, car les fonds sont appelés au fur et à mesure des travaux et donc des besoins de l’établissement public.

À ce jour, nous comptons plus de 833 millions d’euros de dons provenant de 340 000 donateurs. La première phase de travaux, qui a consisté à sécuriser la cathédrale et à réaliser les études préparant la restauration est estimée à 165 millions d’euros. Le chiffrage total des travaux n’est lui pas encore finalisé.

En plus de ces dons, il faut ajouter 1200 grumes de chêne qui ont été offertes par les acteurs de la filière forêt-bois. Les premiers chênes ont été sélectionnés dès le 5 mars. Une seconde récolte de chênes sera lancée en 2022.

Où en est-on de la reconstruction de Notre-Dame ?  

Dès le lendemain de l’incendie, le premier travail des trente-cinq entreprises et ateliers d’art à pied d’œuvre, a consisté à sécuriser la cathédrale, à consolider ses éléments abîmés par le feu, l’eau et les changements de température et à évaluer les dégâts et les travaux de restauration nécessaires. Ceci a été réalisé avec l’aide de capteurs installés dans toute la cathédrale pour surveiller les moindres mouvements de voûtes.

Il a fallu notamment déblayer et trier les débris de l’incendie, déposer le grand orgue et stocker le mobilier et les vitraux de la cathédrale en sécurité, démonter en 40 000 pièces l’échafaudage calciné, opération de « mikado » délicate qui s’est achevée en novembre 2020, poser des cintres en bois sous les arcs-boutants et les voûtes afin de les soutenir, consolider et sécuriser les bords abîmés des voûtes, à la croisée des transepts, là où la chute de la flèche lors de l’incendie a provoqué leur percement.

Parallèlement à la phase de sécurisation, la phase de restauration a été activement préparée. Les études d’évaluation et de diagnostic ont été menées. Ceci a permis de déterminer les travaux à conduire pour restaurer la cathédrale et à proposer les principes de cette restauration. La Commission nationale du Patrimoine et de l’Architecture a validé ces principes le 9 juillet 2020. Une fois le projet établi, le dossier de consultation des entreprises a été rédigé. Les appels d’offres ont été lancés et nous sommes actuellement dans la phase de visite des entreprises qui envisagent de répondre à ces appels.

En même temps, un immense échafaudage intérieur de 27 mètres de haut et de 1000 tonnes a été installé. Il a permis d’inspecter les voûtes et de les sécuriser, il servira à la reconstruction. Par ailleurs, deux chapelles ont été entièrement nettoyées et restaurées. Ces chapelles-tests ont permis, en grandeur nature et dans les conditions réelles, le travail de restauration de chapelles détériorées par le temps et par l’incendie et de définir les moyens et protocoles qui devront être appliqués dans les 24 chapelles de la cathédrale. Enfin, le travail a aussi porté sur l’approvisionnement du chantier en bois, pour la charpente et la flèche, et en pierre pour les voûtes et piliers abîmés.

Vous avez été rapporteure thématique sur le fameux projet de loi dit séparatisme (projet de loi confortant le respect des principes de la République et de lutte contre le séparatisme). Vous aviez la charge du volet concernant l’instruction en famille (IEF). Combien a-t-on recensé de cas de séparatisme en IEF ?

Il est difficile de savoir précisément combien d’enfants, parmi les 62 000 aujourd’hui instruits à domicile (contre 41 000 en 2019 et 35 000 en 2018), le sont dans une logique de séparatisme, et encore plus de quel type de séparatisme. Nous avons néanmoins constaté, lors de la fermeture d’écoles de fait clandestines en Seine Saint-Denis, que des enfants qui y étaient accueillis étaient déclarés comme instruits en famille par leurs parents.

La loi prévoit le passage d’une déclaration à une demande d’autorisation ce qui permettra de mieux connaître les motifs de ce choix de type d’instruction par les parents et de vérifier qu’ils sont fondés sur l’intérêt supérieur de l’enfant.

Pourquoi avoir ciblé l’IEF et pas le hors-contrat alors que certaines enquêtes sérieuses, par exemple, l’école hors de la République, ont fait état de dérives sectaires dans les écoles hors contrat ?

La loi confortant le respect des principes de la République traite à la fois de l’instruction en famille, de l’école privée hors contrat et de l’école privée sous contrat avec l’État. Concernant l’école hors contrat, nous avions d’ores et déjà légiféré en début de mandat, sur la base d’une proposition de loi de la sénatrice Gatel, afin de mieux encadrer l’ouverture d’une école hors contrat. Cette loi a permis d’améliorer la procédure de fermeture d’une école hors contrat en cas de manquements constatés lors des contrôles.

L’IEF permet notamment aux parents d’avoir un projet pédagogique alternatif pour leurs enfants. Par exemple, les Français de l’étranger, qui voyagent énormément, ont recours à l’IEF. Les nouveaux dispositifs prévus dans le texte ne risquent-ils pas de leur compliquer la vie ? Est — ce que cela ne revient pas à dire aux parents comment éduquer leurs enfants ?

Le cas des familles itinérantes est bien prévu dans les modalités d’attribution de l’autorisation d’instruction en famille. Par ailleurs la liberté pédagogique des parents n’est pas remise en cause par la loi.

Lors de l’examen de ce texte, les oppositions ont pointé l’absence de chiffres et de données objectives sur les dérives de l’IEF, soulignées par le ministre de l’Éducation nationale. Ce dernier reconnaît lui-même qu’il n’y a pas assez de contrôles. Plutôt que de légiférer, n’aurait-il pas été plus pertinent de contrôler l’action de l’exécutif et de faire une mission d’information sur ce sujet ?

Le passage d’un régime de simple déclaration à un régime d’autorisation préalable permettra de vérifier que les conditions d’une instruction correcte de l’enfant sont réunies (notamment la disponibilité de l’adulte qui fera l’instruction). Les contrôles réalisés par la Mairie et par l’Éducation nationale sont maintenus. Ils se feront sur la base de la demande d’autorisation et seront ainsi plus efficaces.

Il existe des situations de refus de contrôle ou de manœuvres dilatoires. Il est déjà prévu une obligation de rescolarisation après deux refus de contrôle.

Les parents ont une liberté pédagogique et l’instruction de l’enfant est contrôlée une fois par an. Un contrôle plus fréquent ne permettrait pas une meilleure appréhension du travail pédagogique, car il faut laisser du temps à l’enfant pour progresser. Par ailleurs l’autorisation qui va être mise en place facilitera le déclenchement de l’enquête de mairie.

Enfin la nécessité d’instruire les demandes d’autorisation induit une consolidation des équipes chargées des contrôles, qui se chargeront également les écoles hors contrat.

Vous êtes membre du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques : qu’est — ce que c’est et qu’est qu’on y fait ?

On l’oublie souvent, mais le rôle des députés est aussi d’évaluer les politiques publiques votées. Le CEC est un des outils de cette évaluation. Ce comité est présidé de droit par le Président de l’Assemblée nationale, il est constitué de trente-sept députés de tous les groupes de l’Assemblée et j’en suis membre depuis le début du mandat.

Notre travail consiste à choisir des politiques publiques non évaluées depuis longtemps et/ou non travaillées par les commissions permanentes et de les évaluer par le biais d’un travail de bibliographie et d’auditions. Le CEC peut recourir à l’expertise d’organismes extérieurs pour l’accompagner dans ce travail, comme la Cour des comptes ou France stratégie. Pour chaque politique analysée, l’évaluation porte sur plusieurs questions : la pertinence et la cohérence des enjeux et des objectifs, les difficultés rencontrées dans sa mise en application, la mesure de l’efficacité, la façon dont la loi est perçue… Les rapports produits peuvent être mis au débat dans l’hémicycle.

Les deux derniers rapports produits concernaient l’évaluation des politiques de prévention en santé publique et le suivi de l’évaluation de la lutte contre la délinquance financière. Les travaux en cours traitent de l’évaluation des politiques publiques en faveur de la citoyenneté et de l’évaluation de la prise en compte de l’impact de la crise sanitaire par les politiques publiques de lutte contre la pauvreté. Dans ce dernier cas, il sera question de l’adaptation de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté et des mesures intervenues depuis, notamment dans le cadre de l’accompagnement des dispositifs de lutte contre la pandémie.

Ce sera la même question pour un organisme extraparlementaire, particulièrement prisé des députés, à savoir la Commission départementale prévue à l’article L. 2334-37 du code général des collectivités territoriales. Qu’est-ce que c’est ? Qu’y fait-on ? Est-ce chronophage ? À quoi sert-il ?

Cette commission traite de l’attribution de la Dotation d’Équipements aux Territoires Ruraux (DETR), une subvention accordée à des communes ou des intercommunalités situées, comme son nom l’indique, en territoire rural. Elle est présidée par le Préfet et est composée de représentants des élus locaux ainsi que de parlementaires (deux députés et deux sénateurs dans le cas du Rhône). J’y siège depuis le début du mandat.

La présence des parlementaires y est importante dans la mesure où le montant de la DETR a été augmenté suite à la suppression de la réserve parlementaire que nous avons décidée pour plus de transparence au début de ce mandat.

Cette commission ne se réunit pas souvent (une à deux fois par an) et ce travail n’est donc pas le plus chronophage. Lors de cette réunion, nous décidons des taux et conditions de subvention et nous passons en revue les projets proposés. C’est très intéressant de connaître les projets des collectivités rurales et d’organiser au mieux le soutien de l’État à ces projets. Cela aide à suivre ce qui se passe sur le territoire, même si ma circonscription, qui se situe intégralement sur le territoire de la commune de Lyon, n’est pas directement concernée. En tant que membre de la Délégation aux Collectivités Territoriales et à la Décentralisation, je suis très attentive à ces sujets d’investissement et d’aménagement du territoire, comme au travail de lien entre les élus locaux et l’Assemblée.

Chaque député se voit demander une photo pour illustrer son mandat. Pourquoi avoir choisi celle-ci et que dit-elle de votre mandat ?

En arrivant à l’Assemblée nationale, le 21 juin 2017, je ne me doutais pas que j’allais vivre un mandat si passionnant et véritablement au service de l’intérêt général. La gestion de deux crises inédites, sociale pour celle des gilets jaunes et globale pour celle de l’épidémie de Covid-19 est une véritable fierté. Jamais je n’aurais pensé vivre de telles crises en étant en responsabilité, un tel engagement personnel et collectif et un tel travail d’adaptation continue aux besoins du pays et des Français.

Et il est vrai que je ne pouvais encore moins prévoir le terrible incendie de Notre Dame de Paris, l’énorme élan de générosité qui s’en est suivi, le besoin d’une loi pour sécuriser ce dernier et que je n’aurais jamais pensé en être la rapporteure, aux premières loges de ce formidable chantier de reconstruction.

C’est pourquoi j’ai choisi cette photo qu’on pourrait légender ainsi : « j’ai touché les voûtes de Notre Dame ! ». Elle illustre pour moi l’horreur — de l’incendie — et la chance — d’être députée rapporteure — réunies. Elle est la conséquence de l’enchaînement terrible et passionnant catastrophe — sidération – adaptation — action – reconstruction, résilience et progrès.

Avoir fait de chaque crise une opportunité pour que notre pays soit plus fort, nos concitoyens mieux protégés et accompagnés, notre cathédrale plus belle encore a nécessité beaucoup de travail et d’engagement et a produit de réels progrès. Ce qui, pour moi, est le but de l’action en politique.

Question rituelle : comptez-vous vous représenter en 2022 ?

Les élections législatives auront lieu en juin, après l’élection présidentielle. Je souhaite qu’Emmanuel Macron soit candidat, qu’il soit réélu et je mettrai toute mon énergie pour cela. La question de ma propre candidature interviendra après.