L'interview de Bruno Questel

Le père de Bruno Questel
Le père de Bruno Questel

Il est considéré comme un des poids lourds de la majorité présidentielle, Bruno Questel, fidèle à son caractère, nous brosse un état des lieux de son travail parlementaire.


Les habitués de l’Assemblée nationale ont appris à vous connaître. Bien qu’élu député pour la première fois en 2017, vous n’êtes pas du tout un novice. Comment êtes-vous arrivé ou entré en politique ? 

La chose publique m’a intéressé « tout petit ». Mon premier souvenir local, les élections municipales, mon père battu par celui que je battrais moi-même en 2002, nationalement les morts de De Gaulle et Pompidou, la place de ces informations dans la presse locale, l’émotion collective.

Vous n’avez pas la langue dans votre poche, cela fait quoi d’appartenir à la catégorie des trublions de la majorité ? 

Je ne cherche pas à m’inscrire dans telle ou telle catégorie, mais à inscrire mon engagement en cohérence avec mes idées, mes aspirations et la teneur de mes engagements. J’ai « cotisé » sur les plateaux TV et radios, non par appétence personnelle, mais par souci de ne pas laisser le siège vide, de défendre le Président de la République, le Premier ministre et le Gouvernement du moment. 

Effectivement, je ne suis pas tombé en politique en 2017, mais en 1995, j’ai donc pu mesurer pleinement, les errements, les renoncements et les lâchetés collectives entre ces deux dates, que ce soit les majorités locales ou nationales du moment.

Parmi vos thématiques de travail, il y a les collectivités territoriales. On sait que les Français sont très attachés à la figure du maire, mais paradoxalement, tout se décide à Paris. La décentralisation a-t-elle réellement encore un sens aujourd’hui ? 

Le sujet n’est-il pas européen ? La décentralisation, c’est le transfert du pouvoir au niveau local. Dans un pays qui avant COVID produisait 3000 euros de dette publique par seconde, je crois qu’il nous faut vraiment exposer les enjeux de la souveraineté nationale, y compris sur ce plan. 

La question n’est donc pas celle de l’échelon de décision, mais de l’efficacité de celle-ci. L’État Jacobin assure-t-il l’équité de traitement des citoyens devant la loi ? Les lois de décentralisation ont donné du corps à l’action locale et notamment municipale. Néanmoins, celle-ci est aujourd’hui, parfois, diluée dans une intercommunalité mortifère. Le sens de l’action publique pour moi n’est donc pas lié à son niveau de réalisation, mais à la réelle capacité des acteurs à agir. En ce sens, le poids de la dette publique est un frein, quelle que soit, justement, la strate d’exercice.

Si on se met à l’échelle du citoyen, concrètement à quoi sert à la décentralisation, à part multiplier les guichets et donc le temps administratif des Français ? 

Ce n’est pas aussi simple ou simpliste. Le citoyen-usager-contribuable-électeur se comporte comme un consommateur, il regarde sur l’étagère et va au plus rapide, au plus pratique, au moins onéreux. 

C’est là le risque de la dérive du rapport du même citoyen, à la démocratie, à la République, à l’intérêt général : l’étiolement. Pour redonner du sens à la décentralisation, il faut donc de la clarté dans la répartition des responsabilités, de l’identification possible des acteurs responsables et avant tout de la proximité.

Vous avez été rapporteur du projet de loi ratifiant les ordonnances n° 2021-45 du 20 janvier 2021 et n° 2021-71 du 27 janvier 2021 portant réforme de la formation des élus locaux. Dans un article du 25 janvier 2021, Pierre Januel, fin connaisseur du sujet, pointe les dérives de la formation des élus. Dans votre rapport, vous laissez sous-entendre que le projet de loi ne va pas assez loin pour mettre fin à cette gabegie financière. Dès lors, à quoi sert ce texte ? 

Nous n’avons pas la même lecture de mon rapport. Les réformes mises en place, à mon initiative dans le cadre de la loi « Engagement et Proximité » dont j’étais le rapporteur, visent à mettre un terme aux dérives que tout le monde connaissait. Le dispositif arrêté devra être évalué : c’est le sens de notre manière de légiférer depuis 2017. Appréhender les enjeux du moment et du sujet, prendre les mesures adaptées et prendre le temps d’évaluer l’impact des réformes que nous menons. Si je devais être réélu, je serai très attaché à cette question et à l’évaluation des politiques menées dans ce domaine (comme dans d’autres).

L’un de vos autres sujets de prédilection concerne le maintien de l’ordre. S’il est loisible de constater que ces dernières années, les manifestations sont de plus en plus violentes, ce n’est pas pour autant une nouveauté. En effet, dans les années 70, Paris était capitale de l’émeute, avec mises à sac quasiment systématique du quartier de Saint-Lazare sur certaines périodes. Au-delà des recommandations émises dans le rapport de la commission d’enquête parlementaire relative à l’état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l’ordre, comment fait-on pour rétablir le lien entre police et citoyens ? 

Le rapport à l’État, la citoyenneté et la responsabilité individuelle et collective sont les enjeux majeurs des prochaines années dans une République du XXIe siècle. Plusieurs oppositions et leurs leaders ont joué avec la boite d’allumettes que leur conféraient leurs élections. En distillant le message selon lequel Emmanuel Macron et nous-mêmes étions illégitimes, ils ont attenté au socle de la démocratie représentative, comme des vendeurs de voitures d’occasion qui critiquent la marque concurrente et expliquent à leurs clients que le pire est possible s’ils ne les écoutent pas, entre irresponsabilité et démagogie de comptoir. 

C’est pourquoi, il est illusoire, ou réducteur de penser rétablir le lien entre forces de l’ordre et citoyens sans, au préalable ou concomitamment rétablir le lien entre citoyens et la chose publique. Il est d’ailleurs intéressant de constater que la confiance des citoyens en la police est en hausse.

Vous êtes actuellement membre, avec Cécile Untermaier, de la mission flash sur la capacité des associations à agir en justice. Qu’est qu’une mission flash ? À quoi sert-elle ? Quel est précisément l’objet de celle-ci ? 

Depuis plusieurs législatures, le législateur dans l’expression d’une lâcheté non dissimulée confère aux associations le droit d’ester en justice au lieu et place des autorités constitutionnellement reconnues. 

C’est aujourd’hui un magma juridique, sans cohérence ni équité. J’ai souhaité que nous réfléchissions à ces mécanismes de dépossession des prérogatives de puissance publique qui, s’ils peuvent être interprétés comme une ouverture à la société civile, n’en est pas moins symptomatique d’un amenuisement de la responsabilité des responsables publiques ces dernières années. À l’origine, il s’agissait de reconnaitre à certaines associations le droit de représenter leurs membres, il s’agissait des syndicats. Aujourd’hui, 24 catégories d’associations sont reconnues : il est nécessaire de toiletter les textes pour harmoniser les conditions d’exercice de ce droit.

Vous avez également fait partie de la commission d’enquête sur les groupuscules d’extrême-droite. Durant ce mandat, on a très régulièrement entendu les parlementaires de tout bord, vilipender les médias sociaux pour leur absence de réactivité concernant la prolifération des messages orduriers, connotés politiquement. Pourtant, il suffit d’allumer son téléviseur pour entendre des personnes, tenir avec la plus grande des sérénités, des propos que nous nous refusons à retranscrire ici. N’avez-vous pas l’impression de vous tromper de curseur ? 

Je ne sais pas si je me trompe de curseur. Par contre, j’ai la certitude des dangers qui sont devant nous, pour nos enfants et celles et ceux que nous aimons. On ne se parle plus, on ne s’engueule plus, on tweete. Sauf à installer une police de la pensée, de l’expression et des réseaux c’est très difficile « d’empêcher » l’expression, sauf à ce qu’elle tombe sous le coup de la loi. Par contre, il nous faut « aller au contact », opposer des arguments, pousser nos contradicteurs dans leurs retranchements et poser notre bilan, les avancées réalisées et les données objectives de nos politiques. Bref, assumer notre politique.

Il est communément admis que la réactivité du CSA face aux propos orduriers est assez lente. Certains médias, qu’il s’agisse de publications, de chaînes de télévision, d’émission ou de radios semblent s’être fait une spécialité d’être la caisse de résonance de l’extrême-droite. Pourquoi la majorité, qui dit combattre l’extrême-droite, continue à y aller ? 

Pour ma part, j’ai décidé depuis de nombreux mois de ne plus aller sur certaines chaînes, pourtant elles perdurent et déploient leur œuvre, au service d’un homme et d’une idéologie, l’extrême droite. 

La majorité ne laisse pas la chaise vide, elle a raison. La question est peut-être aussi celle de la déontologie de certains journalistes.

Cette majorité a décidé de combattre la haine en ligne. Quand est-ce que la haine dans les médias sera combattue avec la même intensité ? 

La haine en ligne, ou non, dans la presse ou non, c’est une question de civilisation et notre questionnement doit, je crois, être à cette échelle. Il est intéressant finalement de constater que vous posez comme postulat, l’éventuel retour d’une forme de censure.

Chaque député se voit demander une photo, afin d’illustrer son interview. Pourquoi avoir choisi celle-ci et que dit-elle de votre mandat ? 

Le soir de mon élection, nous avons organisé une petite fête. À la fin, mon père m’a demandé « mais pourquoi tout ce monde ? » J’ai compris, ce soir-là, qu’il ne s’appartenait plus, une année plus tard, il est décédé. Il me manque, y compris dans l’exercice de mon mandat.

Autre et dernière question posée à tous les députés interviewés : comptez-vous vous représenter l’année prochaine ? 

Continuer d’accompagner le Président de la République Emmanuel Macron et ses gouvernements futurs serait un honneur entre 2022 et 2027.