L'interview de David Habib

Complexe de Lacq, en Béarn, dans la circonscription de David Habib
Complexe de Lacq, en Béarn, dans la circonscription de David Habib

Il a présidé une bonne partie des séances publiques lors de l'examen du projet de loi instaurant le passe sanitaire, David Habib nous explique son rôle de vice-président d'Assemblée nationale.


Vous êtes l’un des vice-présidents de l’Assemblée nationale. Cette interview est l’occasion d’expliquer le fonctionnement de la chambre basse. Première question : que fait un vice-président à l’Assemblée nationale ?

Nous sommes six vice-présidents. Un vice-président supplée au perchoir le Président de l’Assemblée nationale. C’est sa première fonction. Nous présidons les travaux de l’Assemblée à tour de rôle. Cela représente entre trois et quatre séances par semaine. 

Au-delà, nous assurons chacun une délégation. J’ai pour ma part en charge la délégation dite « de la recevabilité des propositions de loi ». Avec les services de l’Assemblée, nous enregistrons chaque semaine l’ensemble des propositions de loi déposées par les députés. 

Enfin, il nous arrive de représenter le Président de l’Assemblée nationale pour des cérémonies ou manifestations auxquelles il ne peut assister.

J’ai été vice-président de Claude Bartolone puis maintenant de Richard Ferrand. Ils ont la même conception du Parlement. Avec Claude, j’étais dans la majorité, avec Richard dans l’opposition. Pour autant, ils ont l’un et l’autre le même souci du travail d’équipe et nous font confiance de la même façon.

Comment les postes de vice-présidents sont-ils répartis ? Quels sont les différents critères ? Faut-il avoir déjà eu un mandat précédent de député pour accéder au perchoir ?

Les vice-présidents sont membres du Bureau de l’Assemblée nationale, et c’est la composition du Bureau tout entier qui détermine la répartition des postes. 

Celle-ci intervient à la proportionnelle. Chaque groupe dispose de responsabilités au sein du Bureau : secrétaire, questeur, vice-président.

Une fois intervenue la répartition des postes entre chaque groupe, c’est au sein de celui-ci que sont choisis les différents responsables.

Les profils des vice-présidents actuels sont divers : certains sont députés depuis plusieurs législatures, ont même déjà été vice-présidents — c’est le cas de Marc Le Fur et moi-même — quand d’autres ont été élus en 2017 pour la première fois.

Il n’y a pas de critère géographique. Ainsi, j’habite et suis élu à 900 kms de Paris. Parmi les six vice-présidents, il y a un Parisien, un Alsacien, un Breton, une Franc-Comtoise et une Angevine.

Au sein d’un groupe parlementaire, comment est choisi un candidat à la vice-présidence ? 

Pour le groupe Socialistes et apparentés — et je suppose qu’il en va de même pour les autres groupes — il y a une élection après appel à candidatures et chacun vote pour le candidat de son choix.

À quoi ressemble l’agenda d’un vice-président ? Comment s’organise-t-il ? 

Comme tous les députés, je dois concilier ma présence en circonscription auprès de mes concitoyens, qui est ma priorité, avec ma présence à Paris.

Vice-président, je suis tenu d’être présent pour un certain nombre de séances, ce qui suppose une organisation millimétrée. Il faut anticiper les retards d’avion et la circulation chaotique entre Orly et l’Assemblée ou Roissy et l’Assemblée.

J’en ai désormais l’habitude, même si Air France annule régulièrement des vols, et que prendre un train depuis Pau ou Orthez pour Paris reste une aventure, tant il y a des retards.

Comme tous les présidents de groupe, les présidents de commission et les vice-présidents, j’assiste à la Conférence des Présidents le mardi à 10 heures, placée sous l’autorité de Richard Ferrand et qui fixe l’ordre du jour des travaux de l’Assemblée.

Un mercredi par mois, je participe aux travaux du Bureau de l’Assemblée nationale, Bureau là aussi présidé par Richard Ferrand.

L’Assemblée nationale dispose d’un bureau, c’est-à-dire d’une instance délibérante — comme dans les associations par exemple — qui organise cette maison. Vous êtes à la délégation chargée de l’application du statut du député. Qu’est-ce que c’est ? Que fait-elle ? À quoi sert-elle ? 

Cette délégation, présidée par la vice-présidente Annie Genevard, prépare les rapports qui seront présentés en réunion avec tous les membres du Bureau, sur toutes les questions de déontologie, par exemple les incompatibilités avec le mandat de parlementaire ou les levées d’immunité.

Je suis membre de cette délégation, mais c’est Annie Genevard qui en assure l’animation.

Toujours en lien avec votre statut de vice-président, vous avez la présidence de la délégation chargée d’examiner la recevabilité des propositions de loi. Est-ce vous qui déterminez si une proposition de loi est recevable ? Quels sont les critères ? Comment travaillez-vous ?

Je m’appuie sur une équipe d’administrateurs, membres de la division de la séance. 

Pour chaque texte déposé, ils me soumettent « une appréciation de la proposition » qui évalue si celle-ci respecte les règles fixées par l’article 40 de la Constitution.

Cet article 40 interdit en effet aux parlementaires de modifier les ressources ou les charges publiques en dehors des projets de loi de finances examinés à l’automne. C’est la condition pour qu’un texte soit jugé comme recevable. 

La délégation contrôle la recevabilité des propositions de loi au regard de l’article 40 de la Constitution qui dispose que « Les propositions […] ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique. » 

Concrètement, les propositions de loi ne sont pas recevables si elles réduisent les impôts et taxes ou si elles conduisent à une augmentation de la dépense publique. Toutefois, la délégation applique traditionnellement avec une certaine souplesse ces dispositions constitutionnelles, afin de ne pas restreindre l’initiative parlementaire, en admettant qu’une charge, comme une perte de recettes puisse être compensée (le plus souvent par une augmentation des taxes sur le tabac).

Comme vous le savez, les donateurs réguliers d’Arcadie ont le droit de poser des questions aux députés. On vous en a adressé deux. Voici la première : « Comment on fait pour rester neutre et digne quand la séance publique ressemble à une cour d’école ? »

Dans les deux cas, c’est difficile. Parfois la neutralité constitue un vrai supplice. Je ne suis pas sûr d’ailleurs d’y parvenir à chaque fois. Certaines expressions, certaines réactions peuvent me trahir. 

J’ai été amené à présider toutes les séances des projets de loi sur le passe sanitaire et les obligations vaccinales pour les professionnels de santé. Les propos de certains députés, proches des antivax, m’étaient insupportables. J’ai essayé d’oublier mes convictions pour appliquer le règlement à la lettre. Au-delà, on ne préside pas ce type de séance comme on préside une séance budgétaire par exemple, une séance plus technique. Nos travaux étaient retransmis en direct. Il m’appartenait de rappeler aux députés que chacun avait le droit à la parole, que chacun devait pouvoir le faire sans être interrompu, que les ministres devaient pouvoir s’exprimer, eux aussi sans être interrompu, et que notre intérêt était de montrer que la démocratie parlementaire restait supérieure à tout, en dépit de ses lourdeurs, en dépit des pesanteurs de la procédure.

L’hémicycle n’est ni une cour d’école ni un salon aseptisé pour quelques privilégiés. C’est le lieu où la Nation, par ses représentants, fait valoir arguments et contre arguments. La responsabilité des présidents de séance c’est de permettre ces multiples expressions, dans un cadre de tolérance et de respect.

La seconde question est celle-ci « Comment s’organise la répartition de son temps entre son groupe et la présidence, dans quelle mesure il en a la main et fait-il le choix de siéger comme président ou comme député selon les textes étudiés (pour les traiter ou éviter des sujets houleux) ? »

À part pour la séance des Questions au Gouvernement, habituellement présidée par le Président de l’Assemblée nationale, les autres perchoirs sont attribués bien avant de connaître l’ordre du jour. Deux mois avant la fixation de l’ordre du jour, les vice-présidents reçoivent un calendrier vierge dans lequel ils se positionnent.

La division de la séance répartit ensuite de la façon la plus équitable possible ces différents perchoirs. Chaque vice-président a ses préférences : les séances du mardi, de la fin de semaine, plutôt le matin ou en soirée. Certains choisissent des « tunnels » de 4 ou 5 perchoirs, des semaines où ils se consacrent à cette responsabilité et libèrent d’autres semaines pour organiser leur travail parlementaire. L’agenda étant souvent modifié, les vice-présidents peuvent aussi échanger entre eux ou demander à être remplacés pour participer par exemple à une réunion de commission. 

Détail amusant vous concernant : quand vous présidez, vous faites toujours une petite référence au Béarn. Chaque vice-président a-t-il son style de présidence ? 

Vraisemblablement. Par ailleurs je pense que nous ne présidons pas de la même façon un texte de portée politique et un autre plus technique. Je fais allusion au Béarn parce qu’il n’y a pas plus bel endroit en France.

Arrêtons-nous un instant sur le groupe de travail sur le statut des députés et leurs moyens de travail. Aux yeux des Français, les parlementaires sont trop payés. Pourtant, si on s’amuse à faire une comparaison avec vos homologues de l’Union européenne, on se rend compte que les parlementaires français sont dans la moyenne et même la moyenne basse. Pensez-vous qu’il faille augmenter les indemnités parlementaires ? 

Non. La démocratie a un prix, nous le savons. Pour autant, il serait inconvenant de procéder à une augmentation des parlementaires alors que nous ne sommes pas capables d’augmenter les « premières lignes ». Nos collègues britanniques, allemands, belges, ont une rémunération supérieure à celle des parlementaires français, c’est un fait. Mais combien de retraités, d’ouvriers, d’agriculteurs, de commerçants, d’enseignants, d’agents hospitaliers perçoivent moins que nous ? Des millions de Français. Donc, pour moi, il n’y a pas de débat. 

Dans le « chapitre » des moyens de travail, il y a l’enveloppe des collaborateurs parlementaires. Sur ce point, tous les syndicats de collaborateurs sont d’accord pour dire que leur rémunération n’est pas à la hauteur de leur formation ni de leur charge de travail. Quand est-ce que l’enveloppe des collaborateurs sera revalorisée pour qu’ils soient décemment payés ?

Je suis totalement d’accord. Cette rémunération peut être honteuse. Pour éviter toute difficulté, je suggère qu’il y ait une grille de salaire fixée par l’Assemblée après concertation avec les organisations syndicales. Pour ce qui me concerne, j’ai fait le choix d’avoir trois collaborateurs à plein temps et un collaborateur à temps partiel, pour pouvoir leur attribuer la rémunération la plus élevée possible. Ils exercent un travail difficile et sont extrêmement compétents. Notre démocratie se doit de les rémunérer convenablement.

Chaque député se voit demander une photo pour illustrer son interview. Pourquoi avez-vous choisi celle-ci et que dit-elle de votre mandat ? 

J’ai choisi une photo du complexe de Lacq, en Béarn dans ma circonscription. On y voit l’usine de Lacq, qui a donné au pays tant et tant de mètres cubes de gaz et de tonnes de soufre. Cette usine, qui est à l’origine du groupe Elf et du groupe Total, continue à exploiter un gisement gazier, dont la finalité n’est plus commerciale, mais industrielle. En fait, le gaz extrait est utilisé immédiatement par une autre unité chimique à proximité, ARKEMA, à un prix extrêmement compétitif. 

Sur cette photo, on distingue une usine rouge, qui est une unité du groupe japonais TORAY, qui fabrique de la fibre de carbone, notamment pour l’aéronautique. Pris d’un autre angle, nous aurions pu avoir, à côté de l’usine de Lacq, les unités de Mont, spécialisées dans la plasturgie, ou les unités de Mourenx, la Sobegi, dédiée à la pharmacie ou à la cosmétique. 

En gros, avec les centres de recherche, c’est plus de 7 000 personnes qui travaillent directement ou indirectement sur le complexe de Lacq, un complexe qui a fait la richesse du Béarn et de Pau en particulier, qui accueille le plus grand centre de recherche en géosciences, le centre Jean Feger, qui emploie plusieurs milliers d’ingénieurs. 

Je suis le produit de tout cela. D’abord, parce que c’est ma terre d’élection. Ensuite, parce qu’en équipe, nous avons réussi la reconversion du complexe de Lacq et que nous avons peut-être la seule expérience de reconversion industrielle aboutie réalisée dans notre pays. Enfin, parce que je sais que le progrès scientifique est l’ami des hommes, et pas son ennemi.

Aujourd’hui, si l’on découvrait le complexe de Lacq, on ne l’exploiterait pas, tant nos contraintes réglementaires, environnementales, sont grandes. J’ajoute, bien sûr, que les écologistes s’opposeraient à l’exploitation de ce gisement, et donc à la richesse et aux emplois qu’ils génèrent. Je suis dans le camp de ceux qui ont confiance, qui voient les difficultés et qui apportent des réponses, pas dans le camp de ceux qui renoncent avant d’avoir engagé la moindre action.

J’ajoute par ailleurs que ce complexe de Lacq a pu vivre et se développer dans un territoire, le Béarn, où l’environnement est l’un des plus sains de France.

Question rituelle en cette fin de législature : comptez-vous vous représenter en 2022 ? 

Réponse rituelle, je donnerai ma réponse, le moment venu, aux Béarnais d’abord.