L'interview de Denis Masséglia
S'il n'est pas connu du grand public, Denis Masséglia possède une certaine renommée chez les gamers. Adepte et défenseur du jeu vidéo, son mandat lui a permis d'améliorer la réputation de cet univers, mal compris des politiques.
Commençons par les questions les moins sérieuses. Au Palais Bourbon, vous avez une particularité : vous êtes un adepte des jeux vidéo. Jusqu’à encore très récemment, les jeux vidéo avaient très mauvaise presse, accusés d’être source tous les maux ou presque de notre société. Une bonne fois pour toutes : le jeu vidéo est-il une nuisance ?
Non. Le jeu vidéo est un objet culturel d’une richesse incroyable, consommé par un public plus grand et plus diversifié qu’on a tendance à le croire. Tout comme le livre ou le cinéma, chacun peut trouver un jeu vidéo qui lui plait, répondant précisément à son goût aussi particulier soit-il. C’est en cela que le jeu vidéo est tant apprécié et appréciable, il permet l’évasion et la découverte avec un potentiel immersif incroyable.
Si on pousse cette réflexion plus loin, le jeu vidéo peut devenir un refuge, permettant de fuir un monde qui ne nous convient plus : dès lors, il peut exister des comportements excessifs dans la pratique du jeu vidéo, qu’il convient donc d’accompagner. À ce sujet, des solutions existent déjà et mériteraient d’être développées davantage, ainsi que j’explique plus en détail dans mon rapport sur la structuration de l’e-sport.
Plus généralement, d’autres justifications d’une prétendue « nuisance » du jeu vidéo sont régulièrement mises à mal et tendent à être bien heureusement de moins en moins entendues : je pense par exemple au sujet de la violence physique qui serait soi-disant créée, encouragée par celle qu’on trouve dans les jeux.
En France, on voit se développer tout un écosystème autour du jeu vidéo, mais les écoles qui préparent à ces métiers sont encore assez onéreuses. Peut-on démocratiser le jeu vidéo, y compris dans sa formation ?
Vaste question ! Le sujet du lien entre jeu vidéo et formation est particulièrement intéressant et présente plusieurs facettes. Tout d’abord, rendre plus ludique et donc accessible certains apprentissages est un enjeu récurrent pour les écoles, aussi le recours aux serious games peut être un choix opportun pour ces dernières. Par ailleurs, le jeu vidéo peut jouer un rôle quasi salutaire pour certains jeunes en situation de décrochage scolaire (comme à l’École des Héros) pour les ramener vers l’enseignement.
Qu’est qui manquerait à la France pour devenir un leader de ce secteur ?
La France est incontestablement un leader du secteur, avec des éditeurs et des studios puissants, un marché très dynamique (CA de 5,3 milliards d’euros en 2020), des formations mondialement reconnues, etc. L’enjeu est aujourd’hui de pérenniser si ce n’est renforcer notre place dans ce secteur.
Pour bien accompagner le développement de l’écosystème vidéoludique en France, il est primordial que nous assurions la stabilité de la fiscalité appliquée aux entités implantées sur notre territoire, et que nous réfléchissions aux dispositifs d’attractivité pour celles cherchant à s’y installer. Il est par ailleurs nécessaire de capitaliser sur ce qui fait déjà de la France l’un des grands pays du jeu vidéo : ses formations, qui permettent d’exporter partout dans le monde un savoir-faire envié et reconnu. Enfin, une vraie réflexion est à mener pour rendre plus visible au grand public la partie compétitive du jeu vidéo, à savoir l’e-sport : les JO 2024 seraient par exemple une formidable opportunité pour cela.
Est-ce que le jeu vidéo permet de dépasser les clivages politiques ?
Comme tout objet culturel ou sportif, le jeu vidéo est apolitique. Plus concrètement, vous imagineriez-vous un député LREM et un député LFI s’affronter sur un même jeu vidéo, dans la bonne humeur et avec fair-play en direct sur Twitch ? Eh bien c’était l’objet du match « Polikick » ! Les jeux ont en tout temps réuni les hommes, le temps d’une partie.
Récemment s’est tenu Z Event auquel participent des streameurs. Dans le sillage de cet évènement caritatif, une polémique sur les streameurs qui s’expatrient, pour des raisons fiscales, à Malte a eu lieu. Or, force est de constater que notre modèle fiscal n’est absolument pas adapté. Pensez-vous qu’il soit possible de créer un vrai statut pour les « travailleurs du Web » pour faire simple dans le projet de loi sur les indépendants, actuellement en discussion à l’Assemblée nationale ?
L’argument d’une fiscalité pas suffisamment avantageuse ne peut selon moi justifier à lui seul la création d’un statut dédié. La France présente une imposition adaptée à une politique de redistribution au service de biens et de services publics. Ces streamers lui préfèrent l’exil fiscal. C’est un choix.
Quittons — à regret — le monde du jeu vidéo. Vous êtes membre de la commission d’enquête chargée d’identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l’industrie dans le PIB de la France. Question volontairement très provocatrice : n’avez-vous pas l’impression que vous avez dix ans de retard ? Le dernier livre de Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely semble déjà donner toutes les réponses.
Longtemps les politiques ont priorisé le secteur tertiaire au détriment des deux premiers, amenant ainsi à un déséquilibre et un retard en France. Avant d’être député, j’étais ingénieur dans l’industrie, où j’ai été confronté à une certaine pression, celle de délocaliser mes productions pour réduire leurs coûts. Je n’ai jamais cédé, préférant avoir recours à la numérisation et la robotisation afin de préserver l’emploi sur le territoire. Avec ce quinquennat, la majorité tend à renverser la tendance historique en déployant divers dispositifs — France Relance, Territoire d’Industries ou France 2030 — pour relocaliser massivement les productions dans une vision de long terme.
Si on continue dans la provocation, votre collègue Stéphane Anato a commis un rapport sur l’industrie européenne. Plutôt que de se focaliser sur la France, pourquoi ne pas envisager l’industrie comme un sujet européen et essayer de faire monter la part des autres secteurs dans le PIB ?
Lors d’un de nos échanges à l’Assemblée nationale, le Haut-commissaire au Plan a rappelé aux parlementaires que ce sont principalement dans les pays de l’UE que sont délocalisées les productions françaises. Notre travail se concentre aujourd’hui sur l’élaboration d’une stratégie compétitive pour réindustrialiser nos territoires et ainsi y rapporter de l’emploi. Concrètement : baisse des impôts de production, aide à la numérisation et la recherche, formations et apprentissage, etc.
Vous avez été membre d’une mission d’information sur l’adaptation de la politique familiale française aux défis du XXIe siècle. Le rapport indique « En effet, les allocations familiales étaient, jusqu’en 2015, la seule prestation qui bénéficiait de manière identique à toutes les familles de deux enfants ou plus, soit près de 4,9 millions de foyers. En tendant vers la suppression des aides publiques pour les familles des derniers déciles de revenu, le caractère familial de cette politique tend ainsi à disparaître ». Pensez-vous que les familles les plus aisées ont réellement besoin des allocations familiales ?
Je n’aime pas opposer les Français. Il est malheureux que des enfants aient à vivre des situations difficiles au sein de leur foyer : nous devons les aider, la France est de leurs côtés. Or le manque de ressources financières dans une famille peut présenter des freins pour les plus jeunes, c’est pourquoi la majorité gouvernementale a mis en place un certain nombre de mesures dédiées : je pense particulièrement à la distribution des petits-déjeuners en Rep, Rep+ et ainsi que dans les quartiers prioritaires, au dispositif permettant à tous les étudiants de manger pour 1 € dans tous les Crous et à l’accompagnement de toutes les familles pour la garde d’enfants.
Toujours dans ce rapport, il semble y avoir une contradiction entre deux propositions : réfléchir à la possibilité de mettre en place un congé parental plus court et mieux rémunéré que l’actuelle prestation partagée d’éducation de l’enfant (PréParE) et en même temps, faire des campagnes concernant les 1000 premiers jours de l’enfant. Pouvez-vous nous expliquer ces deux points ?
Je tiens d’abord à rappeler que cette mission d’information était présidée par Stéphane Viry, député LR. L’objectif de la majorité est d’accompagner les parents dans la prise en charge de leurs jeunes enfants afin d’améliorer les questions de santé publique, d’éducation et d’égalité des chances. Le « parcours 1 000 jours », lancé en septembre 2019, vise à accompagner les parents en leur facilitant l’accès aux aides et services relatifs à la parentalité que propose le Gouvernement. Les temps enfants-parents sont précieux, la majorité gouvernementale l’a bien compris, c’est d’ailleurs pour cela que nous avons proposé et fait adopter l’allongement du congé paternité (passé de 11 à 25 jours, dont 7, obligatoires).
Tous les députés interrogés se voient demander une photo pour illustrer leur interview. Pourquoi avoir choisi celle-ci et que dit-elle de votre mandat ?
Pour illustrer cette interview, j’ai choisi cette photo prise à la réouverture des cafés et des bars après le confinement.
Prendre son café en ville, échanger avec les commerçants et les clients, c’est l’idée d’être accessible tout le temps, partout pour les habitants de ma circonscription. Je suis venu de la société civile pour représenter les Français simplement, efficacement, sans aucun artifice ni ambition politique vertigineuse. Avant tout, mon travail est d’accompagner concrètement les citoyens et les structures du territoire dans leurs ambitions et problématiques, d’autant plus en cette période de pandémie.
Question de conclusion : comptez-vous vous représenter en 2022 ?
Beaucoup reste à faire avant la fin de ce mandat, stay tuned !