L'interview d'Émilie Chalas

Émilie Chalas, plaidant pour la prime de précarité auprès du Président de la République, Emmanuel Macron
Émilie Chalas, plaidant pour la prime de précarité auprès du Président de la République, Emmanuel Macron

Très investie sur la question de la fonction publique, Émilie Chalas est passée de l'exécutif au législatif, sans en renier les enseignements qu'elle a pu en tirer.


Vous êtes devenue député pour la première fois en 2017, mais vous avez choisi de vous lancer dans la bataille des municipales en 2020. Pourquoi avoir voulu devenir maire alors que vous étiez déjà député ? 

Après avoir travaillé 13 ans dans une commune en tant urbaniste et directrice générale des services, j’ai toujours su que ce qui me plaisait dans l’engagement, c’était la proximité avec les habitants, les Français. J’ai aussi vu, avec le mandat de député, que ce sont les lois qui donnent le cap, mais que c’est le territoire qui porte l’action. Et moi je suis une femme d’action et de proximité. 

Député et maire sont deux mandats de nature très différente, très complémentaire, sans que cela signifie que je sois pour le cumul des mandats, mais il y a vraiment deux intérêts à agir qui me passionnent autant l’un que l’autre.  

Posons la question frontalement : était-ce par ennui dans la chambre basse que vous avez eu des envies d’exécutif ? 

Pas du tout ! Le mandat de député est passionnant. En 5 ans, j’ai rencontré des habitants de ma circonscription que j’ai pu aider, d’autres qui ont nourri ma réflexion nationale et à Paris j’ai pu aussi défendre mon territoire. 

Je n’ai jamais autant travaillé qu’en étant député. 

Je n’ai jamais eu autant de convictions chevillées au corps que depuis que je suis député. Encore une fois, ces deux mandats (maire/député) sont très différents, mais très complémentaires. 

Vous êtes secrétaire du groupe d’études sur la fin de vie. Malgré une volonté très affichée du groupe majoritaire à l’Assemblée nationale de s’emparer de ce sujet, l’exécutif freine. Les partisans de la fin de vie librement choisie ont peu d’espoir que cette réforme sociétale voit le jour sous ce quinquennat : pouvez-vous les détromper ?

Je crains, hélas, que l’agenda législatif ne permette pas le réexamen de cette proposition de loi et je le regrette profondément. Je suis partisane de « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras », et nul ne sait qui sera aux responsabilités et que sera la majorité au prochain mandat. Or, c’est un sujet pour lequel les Français sont mûrs et je regrette que l’exécutif ne le soit pas autant qu’eux. 

Si le Président de la République se représente en 2022 et qu’il est élu, pensez-vous que le sujet de la fin de vie librement choisie pourra enfin être inscrit à l’agenda parlementaire ?

J’espère bien ! En tout cas, je me battrai pour. Les Français sont prêts ! 

Vous avez été membre de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de 2017 à 2019. Pourquoi avoir quitté la délégation ?

Je n’ai malheureusement pas le temps de tout faire, surtout quand on aime prendre le temps de bien faire. J’étais donc concentrée sur les enjeux liés à la fonction publique ainsi que sur mon mandat sur le terrain. 

Cependant, je reste fondamentalement convaincue que le débat sur la décentralisation doit avoir lieu. Le diagnostic est connu : un millefeuille trop épais, des compétences floues pour nos concitoyens, des enjeux de démocratie directe pour les intercommunalités, etc. Une simplification est nécessaire même si nous devons veiller au bon équilibre de chaque territoire et à la place des communes et des intercommunalités. Je serai évidemment présente à l’Assemblée nationale pour soutenir des mesures en ce sens lors de l’examen du texte relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale. 

Vous avez été rapporteur au fond du projet de loi de transformation de la fonction publique. Quels ont été les principaux points de désaccord sur le texte ? 

Le plus gros point d’accroche avec les syndicats était la refonte du dialogue social qui est, tant pour le Gouvernement que pour la majorité, un point non négociable. À l’Assemblée nationale, lors des débats autour du texte, le point d’achoppement avec les oppositions était qu’à droite, ils réclamaient la fin du statut et la suppression de postes de fonctionnaires, tandis qu’à gauche, ils nous accusaient de désacraliser le statut et de privatiser le service public. 

Au sein de notre majorité et en relation avec le Gouvernement, les relations se sont tendues sur deux sujets : la création de la prime de précarité que j’ai défendue bec et ongles et qui a fini par être acceptée par le Gouvernement puis votée par l’Assemblée nationale. Et la réforme de la haute fonction publique qui a cristallisé les passions. 

Pour ma part le bras de fer a plutôt été sur le point déontologique avec la transformation de la HATVP. Édouard Philippe était farouchement opposé au dispositif que je portais. Il a été voté malgré tout !

Le recours à des contractuels dans la fonction publique peut répondre à des besoins ponctuels. Néanmoins, l’utilisation des contrats à durée déterminée peut s’avérer très pénalisante pour les contractuels concernés, notamment s’ils souhaitent louer ou acquérir un logement. Ne craignez-vous pas une désertification de la fonction publique à long terme voire une fuite de compétences ? Quels seraient les avantages pour un individu d’être contractuel de la fonction publique s’il ne peut pas prétendre à une certaine stabilité professionnelle, attendu que son traitement est celui de la fonction publique ? 

La fonction publique fait déjà l’objet d’un défaut d’attractivité, en raison des concours de la fonction publique pour être titulaire. La création de contrats ne change rien à cet état de fait. Par ailleurs, un quart des agents publics sont d’ores et déjà des contractuels. Ce n’est donc pas la nature du contrat qui influe sur l’attractivité de la fonction et j’oserais même dire que c’est le contraire. Toute une frange de la jeunesse accroche sa carrière professionnelle avec un souci de sens et beaucoup moins avec un souci de durée indéterminée ou de fonctionnariat. Ce sens peut passer par l’engagement dans la chose publique, l’intérêt général ou le projet en lui-même d’où la création du contrat de projet qui peut aller jusqu’à 6 ans. 

L’attractivité de la fonction publique et particulièrement du statut de fonctionnaire ne passera que par le développement du management, la revalorisation des carrières, les leviers de mobilité professionnelle et l’autonomie que l’on peut donner aux agents. 

Quelle est votre définition d’un bon rapporteur de texte ? 

Avant tout, un bon rapporteur doit connaître le sujet dont il parle. Il doit ensuite avoir une vision claire de la portée qu’il veut donner au texte qu’il a entre les mains. Être rapporteur, c’est avoir un objectif à travers un texte de loi. Ce n’est pas être simplement secrétaire de séance. Il doit ensuite être un bon négociateur pour aboutir aux objectifs qu’il s’est fixés. Il doit être un bon négociateur, avec sa majorité, avec le Gouvernement, mais aussi avec les oppositions. Il doit enfin être à l’écoute des partenaires, des acteurs que concerne ce texte pour ne pas s’enfermer dans des certitudes et parvenir à un texte équilibré et utile. 

Vous avez également été rapporteur au fond de la proposition de loi relative à la mise en œuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes. Pourquoi est-il important de transférer ses compétences aux communautés de communes ?

L’eau est un bien commun, c’est une ressource finie dont on voit année après année qu’elle se tarit. Déjà, on constate des problèmes d’accès à l’eau potable et je ne vous parle pas des pays équatoriaux, je vous parle de certains départements français, oui. Ce bien doit donc être sanctuarisé et géré à une échelle aussi pertinente que techniquement et financièrement efficace. Nous ne sommes plus au temps de « Manon des sources » où chaque petit village avait sa source et la protégeait égoïstement. La solidarité dans l’accès à l’eau sera une cause des décennies à venir, nous devons donc changer d’échelle et investir pour garantir à chaque Français l’accès à l’eau potable dans de bonnes conditions sanitaires. 

Il en est exactement de même pour l’assainissement. Le traitement des eaux usées doit être garanti d’un point de vue sanitaire et environnemental. Or, on sait que les dépenses d’investissement et de fonctionnement sont considérables pour que les choses soient bien faites. L’issue ne peut donc être que la mutualisation. 

On ne peut pas dire que le Sénat et l’opposition aient été ravis de ce texte. Comment expliquez-vous une telle opposition ? 

Comme je le disais, on assiste encore sur les questions d’eau et d’assainissement aux guerres de clochers. Les élus locaux bien dotés en eau potable offrent à leurs habitants une eau de qualité et pas chère, tandis que la commune d’à côté, sans accord, ne pourra disposer que d’une eau traitée et chère. C’est une injustice qui n’est pas acceptable en France, et c’est pourtant ce qu’ont défendu les sénateurs.

Vous êtes titulaire de la commission départementale des valeurs locatives des locaux professionnels. Que fait cet organisme extra-parlementaire ? À quoi sert-il ? Beaucoup de députés en sont titulaires : quel est l’apport des parlementaires dans cette commission ?

Sincèrement, je n’ai suivi que de loin cette commission départementale, étant attachée à de nombreuses autres missions. Je ne suis pas la mieux placée pour vous en parler. 

Tous les députés interviewés se voient demander une photo pour illustrer leur interview. Pourquoi avez-vous choisi celle-ci et que dit-elle de votre mandat ? 

Cette photo a été prise un soir à l’Élysée tandis que je défendais auprès du Président de la République, mon dispositif de prime de précarité. Ce soir-là il a dit banco ! Malgré les réticences de Bercy, ça a été l’une des plus grandes émotions de mon mandat. 

J’ai pensé à tous ces contractuels que j’ai pu croiser dans ma vie professionnelle d’avant, qui travaillaient quelques heures par-ci, quelques heures par-là, entre deux périodes de vacances scolaires, depuis parfois 10 ou 15 ans. Hélas, évidemment, 90 % d’être eux sont des femmes, peu ou pas qualifiées, souvent à la tête de familles monoparentales. C’est avant tout pour elles que je n’ai jamais rien lâché sur ce sujet. Et c’est pour elles que j’ai remporté cette bataille. 

Question rituelle de cette dernière année parlementaire : comptez-vous vous représenter en 2022 ?  

C’est pour moi une évidence. J’estime que ma mission n’est pas terminée, tant pour la transformation de la France que pour porter mon territoire, si les électeurs me font à nouveau confiance. Je garde encore beaucoup d’énergie pour défendre leurs intérêts et tenir mon rôle, bienveillant, mais critique à l’endroit d’un prochain projet présidentiel.