L'interview de Jean-Marc Zulesi

Jean-Marc Zulesi, en discussion avec des Gilets jaunes, à l'automne 2018
Jean-Marc Zulesi, en discussion avec des Gilets jaunes, à l'automne 2018

Récemment nommé pour une mission temporaire portant sur les mobilités actives, le député Jean-Marc Zulesi a consacré l'essentiel de son mandat à travailler sur la question des moyens de transports. 


Vous êtes très investi sur le sujet des mobilités. Première question sur cette thématique : comment concilier fin du mois et fin du monde quand on dépend de la voiture pour la quasi-totalité des activités (travail, soins, école, etc.) ?

Je pense qu’il ne faut pas opposer le combat pour le climat et les questions sociales. Les deux ne sont pas contradictoires. Le travail du décideur public, c’est de faire en sorte que la lutte contre le dérèglement climatique n’aggrave pas des inégalités déjà existantes. Les populations qui dépendent entièrement de la voiture pour leurs activités quotidiennes sont accompagnées dans la transition vers des mobilités plus propres : avec les aides à la conversion — prime à la conversion, bonus écologique, prêts à taux zéro — par exemple.

Aider ces populations, c’est aussi aider les communes sur lesquelles elles vivent. Avec la démarche France Mobilités, dont je suis coprésident, nous accompagnons les territoires dans la mise en place de solutions de mobilités concrètes, en créant les synergies entre les financeurs, les décideurs publics et les entreprises.

C’est avec des solutions innovantes, adaptées à chaque territoire, que nous pouvons faire bouger les choses.

L’épidémie de COVID-19 a accentué le phénomène de désirabilité de certains territoires, si on en croit le dernier opus de Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely, « La France sous nos yeux ». Cela a pour conséquence de reléguer les populations plus fragiles économiquement, en périphérie de ces derniers, accentuant encore plus la fracture sociale et sociétale. Comment peut-on concrètement et simplement éviter de réserver les centres-villes à ceux qui ont le plus de moyens ?

Le phénomène de gentrification n’est pas nouveau et il n’existe pas de solution simple pour y répondre. Est-ce pour autant une fatalité ? Je ne pense pas. Il y a plusieurs leviers : l’encadrement des loyers, la construction de logements sociaux en centre-ville, le recours au logement intermédiaire, une politique de soutien au maintien de commerces de proximité… Et bien sûr, des moyens de transport facilement accessibles qui permettent des déplacements rapides du centre-ville à la périphérie.

Ce problème est surtout un problème des grandes agglomérations. Pour beaucoup de nos concitoyens, la réalité, ce sont des centres-villes de villes moyennes qui se désertifient. Il faut alors réfléchir à des moyens de revitaliser les villes et de les rendre à nouveau attractives. C’est ce qui est notamment fait par le programme « Action cœur de ville », qui vise, par des investissements dans la revitalisation de leur centre, à conforter l’attractivité des villes moyennes qui ont un rôle de centralité essentiel pour les territoires environnants, ou encore le programme « Petites villes de Demain », dédié à la revitalisation des centres des villes de moins de 20 000 habitants.

C’est avec des politiques publiques ambitieuses que nous pouvons éviter l’enclavement des populations dans des espaces non attractifs.

Les grandes villes ne sont pas épargnées par l’enclavement : ainsi, certains quartiers de Marseille n’ont pas de transports en commun ou presque, ce qui pénalise les habitants. Dans la Seine–Saint-Denis, l’offre de transports en commun multiplie par deux ou trois le temps de trajet entre deux villes, incitant les habitants à prendre leur voiture. Pourquoi est-ce si compliqué d’avoir une offre de transports en commun correcte ?

Au cours du XXe siècle, la voiture a pris une importance croissante dans la vie de nos concitoyens et donc dans nos villes. On a donc aujourd’hui des agglomérations qui ont été construites autour des déplacements en voiture plus qu’autour des déplacements en transports en commun. Repenser nos déplacements c’est donc aussi repenser l’urbanisme et bouleverser un certain nombre d’habitudes. Beaucoup de nos concitoyens ne sont pas prêts à abandonner leur voiture pour se diriger vers les transports en commun. 

En ce qui concerne Marseille, le désenclavement des quartiers Nord est un des axes majeurs du plan Marseille en Grand annoncé début septembre par le président de la République. Ainsi c’est un plan d’investissement de 1 milliard d’euros qui a été pensé pour désenclaver les quartiers Nord grâce à l’autonomisation du métro, la création de 4 lignes de tramway et de 5 lignes de bus de haut service et le lancement du projet de ligne ferroviaire Nice-Marseille. Le tout conditionné à une évolution de la gouvernance de la Métropole Aix-Marseille-Provence. 

Pour conclure, les questions de mobilité sont l’affaire de tous et en particulier des collectivités territoriales, en tant qu’autorités organisatrices de la mobilité. Nous devons accompagner la dynamique territoriale. De la région à la commune, chacun a son rôle à jouer pour offrir des transports à la portée de tous. 

Autre difficulté liée à la mobilité, l’emploi. On parlait de Marseille précédemment, mais certains employeurs refusent les candidatures de personnes, y compris dans des secteurs en tension et dans lesquels, les salaires sont au minimum légal, qui n’ont pas de voiture (même si elles ont une alternative). Or, avoir une voiture suppose déjà d’avoir le permis, mais également les moyens d’entretenir le véhicule (révision, assurance, carburant, parking, etc.). Le fait de se retrouver à payer pour travailler n’est-il pas une absurdité ? 

Ce qui est absurde c’est les habitudes de certains employeurs que vous décrivez dans la question : c’est une forme de discrimination à l’embauche. 

Ce dont nous avons aujourd’hui besoin c’est d’un changement de mentalité de la population, employeurs comme employés, pour se passer du tout voiture. Beaucoup d’alternatives existent : transports en commun, mobilités actives (vélo et marche), covoiturage, etc. Il est temps que nos concitoyens s’en saisissent, qu’elles deviennent un réflexe dans nos déplacements et non plus le second choix quand on ne peut pas utiliser sa voiture.

Il nous faut donc changer les mentalités des employeurs et aider nos concitoyens en recherche d’emploi à accéder au travail. Depuis 2017, nous menons une politique sociale ambitieuse pour ramener les populations fragiles vers l’emploi : avec le plan 1 jeune 1 solution qui a déjà aidé deux millions de jeunes, avec la réforme de l’assurance chômage qui lutte contre le recours abusif aux contrats courts et permet un meilleur accompagnement des demandeurs d’emploi, avec le déploiement des expérimentations « Territoires zéro chômeur de longue durée ».

Pendant la crise sanitaire, nous avons accompagné tous les secteurs pour ne pas créer de casse sociale : prêts garantis par l’État, prise en charge du chômage partiel, fonds de solidarité pour les entreprises, etc. Cet accompagnement a permis de maintenir l’emploi dans notre pays et aujourd’hui avec la reprise nous en voyons les fruits : le nombre de demandeurs d’emploi baisse fortement au 3e trimestre 2021. Le nombre de chômeurs en France métropolitaine baisse de 5,8 % ce trimestre et de 10,0 % sur un an. 

C’est en soutenant l’activité économique et en impulsant des politiques publiques sociales ambitieuses qu’on peut amener tous les publics à l’emploi.

Quand on est salarié, une partie des frais liés à la mobilité peuvent être pris en charge par l’entreprise. Mais ce n’est pas le cas pour les personnes qui sont indépendantes et pour lesquelles cela représente un poste de dépense important, qui n’est pas nécessairement déductible des impôts (notamment les microentreprises). Quand est-ce qu’on amorce une véritable révolution culturelle sur le statut professionnel des personnes ? Pourquoi tous les travailleurs, peu importe leur statut, ne sont pas pris en compte de manière égalitaire ?

L’égal accès de tous à la mobilité est un défi. Être mobile, c’est avoir accès aux services publics, c’est être autonome et pouvoir avoir une vie sociale. La mobilité, c’est une des clefs du désenclavement et de l’égalité entre tous les citoyens. 

C’est un travail à mener, pourquoi pas dans le projet de loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante, qui va arriver à l’Assemblée d’ici la fin de l’année.

Le jeudi 21 octobre 2021, le Premier ministre Jean Castex face à la flambée du prix des carburants a annoncé qu’une indemnité de 100 € serait versée à tous les Français gagnant moins de 2000 € net par mois. Selon vous, est-ce la bonne solution ?

J’étais fortement opposé à toute baisse des taxes sur les carburants donc je suis satisfait que cette option n’ait pas été retenue. Nous devons préparer nos concitoyens aux changements qui s’imposent avec la lutte contre le dérèglement climatique : après tout dans le futur long, le prix du carburant est voué à augmenter.

Baisser les taxes sur les carburants aurait envoyé un mauvais message et aurait concerné tous nos concitoyens. Or, tous n’ont pas besoin d’être aidés face à la hausse des prix du carburant.

Parce que je m’engage pour une mobilité durable depuis le début de mon mandat, je vois aussi dans cette crise l’occasion de booster le forfait mobilité durable (FMD). Ce dispositif, que nous avons voté en 2019 dans la loi d’orientation des mobilités, permet une prise en charge jusqu’à 600 euros par l’employeur des frais de trajet des salariés qui se rendent au travail par un moyen de transport écologique. Cette augmentation du prix des carburants est l’occasion de changer les comportements. 

Dans le secteur de la construction, les promoteurs immobiliers vantent dans leurs programmes de logements neufs, des emplacements vélos. À la livraison, les fameux emplacements sont en extérieur, ne protègent pas du tout des vols et abîment même les vélos. Comment les forcer à intégrer des emplacements vélos sérieux ?

Notre ambition première c’est de développer une culture du vélo qui par ricochet, va influer sur la forme des emplacements de stationnement. Je ne suis pas pour multiplier les contraintes dans la construction. Elles sont déjà très nombreuses et une multiplication des normes risque de ralentir l’accomplissement de nos objectifs. 

Dès 2018, nous avons mis en place le plan vélo : un fonds de 350 millions d’euros sur sept ans afin, notamment, d’aider les collectivités territoriales à construire des pistes cyclables sûres et fiables. 100 millions d’euros supplémentaires ont été apportés dans le cadre du plan France Relance. L’objectif est de tripler, d’ici 2024, la part du vélo dans les déplacements de tous les jours, en passant de 3 à 9 %. 

En 2020, à la sortie du confinement, deux millions de deux-roues ont été réparés, grâce au « Coup de pouce vélo », une aide exceptionnelle de 50 euros, instaurée par le gouvernement pour aider à réparer son cycle. En 2021, avec la loi Climat et Résilience, la prime à la conversion a été élargie aux vélos à assistance électrique (VAE). 

Grâce à la politique ambitieuse sur le vélo que nous menons depuis le début du mandat, nous sommes en train de contribuer au développement d’une véritable « culture du vélo ». Je n’ai aucun doute que bientôt les emplacements vélos sécurisés seront une évidence pour les promoteurs immobiliers.

Restons sur le domaine de la construction : les ménages qui le peuvent se tournent vers les véhicules électriques. Mais on manque de bornes de recharge, aussi bien dans les immeubles que sur les routes. Qu’est-ce qu’il faudrait pour développer les véhicules électriques ?

Concernant les bornes, nous sommes en train de rattraper un retard conséquent. Aujourd’hui dans notre pays on compte 47 000 points de charge publics ouverts. Avec nos efforts, notamment grâce au plan 100 000 bornes, la France se positionne aujourd’hui comme le second pays européen le mieux équipé devant l’Allemagne et derrière les Pays-Bas. Si on ajoute les infrastructures de recharge privée, on compte plus de 700 000 points de recharge dans le pays. 

Avec la prime à la conversion, le bonus écologique et les prêts à taux zéro mobilités, nous aidons tous les publics à changer de voiture et à se diriger vers l’électrique. Avec la loi Climat et Résilience, nous avons facilité l’installation de bornes de recharge dans les copropriétés. Avec le plan 100 000 bornes, nous facilitons l’itinérance en équipant toutes les aires de repos en bornes de recharge d’ici 2023. 

Nous faisons donc déjà beaucoup pour développer la voiture électrique. En plus de cela, nous soutenons l’industrie automobile dans la recherche et le développement de nouveaux modèles, conçus et construits en Europe. C’est une question environnementale, mais aussi une question de souveraineté industrielle, au niveau français comme au niveau européen.

Enfin, sur le sujet, je tiens à dire que l’électrique n’est pas l’alpha et l’oméga de la voiture de demain. Nous avons d’autres sources d’énergie : l’hydrogène ou le biogaz pour ne citer qu’eux. C’est avec un mix de plusieurs énergies propres que nous allons créer la mobilité de demain.

Dans les mobilités, il y a aussi la marche. Dans certaines zones, notamment à Paris, le piéton semble être en danger permanent, même sur les trottoirs. Comment mieux aménager les rues pour que tout le monde puisse circuler, y compris les poussettes et les fauteuils roulants ? D’ailleurs, qui est décisionnaire sur ce type de problèmes ?

La promotion de la marche est primordiale, il s’agit d’un enjeu de mobilités, mais aussi d’un enjeu de santé publique. J’en suis convaincu, c’est pour cela que j’ai tenu à intervenir aux premières assises de la Marche en ville, organisées à Marseille en septembre dernier. Cet évènement a permis à tous les participants d’échanger sur leurs expériences concernant la « marchabilité » de nos villes et de réfléchir aux moyens d’inciter les villes et les agglomérations, qui sont à la manœuvre, à promouvoir la marche à pied comme mode de déplacement au quotidien.

Parce que la marche comme le vélo sont des leviers pour une bonne santé et pour l’autonomie, je viens justement d’être nommé « parlementaire en mission » par le Premier ministre, afin de proposer une feuille de route opérationnelle qui permettra d’établir les mobilités actives comme un levier de lutte contre la sédentarité et qui proposera une stratégie à mettre en œuvre pour amener à ces mobilités des publics qui n’y ont jamais eu recours.

Je suis aujourd’hui ravi de poursuivre mon engagement pour une mobilité sociale et inclusive, une mobilité qui devient un atout pour la santé de nos concitoyens. Cette mission sera l’occasion d’aborder les problématiques d’accessibilité listées dans votre question.

Vous êtes vice-président du groupe d’amitié France-Australie. Quel est votre sentiment concernant la crise des sous-marins ?

« Cette décision brutale et sans précédent, ainsi que la manière choisie pour en informer notre pays ne peuvent que susciter notre perplexité ainsi que notre colère. Au-delà de la rupture d’un contrat commercial, cette décision met à mal la confiance que peuvent avoir la France et les pays de l’Union européenne envers l’Australie. Nous n’avons plus face à nous un partenaire fiable, un allié stratégique dans la zone indopacifique. » C’est en ces mots que j’ai exprimé mon incrédulité à Madame Gillian Bird, ambassadrice d’Australie en France, par courrier.

La France est membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU. Elle possède la première armée de l’Union européenne et la deuxième zone économique exclusive au monde. Elle est également la sixième puissance économique mondiale et la seule nation européenne présente en Indopacifique où sont présents deux millions de ses ressortissants et plus de 7 000 militaires. Sa présence en Indopacifique et son influence dans la région sont importantes. À ce titre, la coopération entre nos deux pays doit se poursuivre et je souhaite continuer à œuvrer en ce sens, aux côtés des membres du groupe d’amitié France-Australie.

Chaque député se voit demander une photo pour illustrer son interview. Pourquoi avez-vous choisi celle-ci et que dit-elle de votre mandat ?

Cette photo a été prise pendant des échanges avec des gilets jaunes de ma circonscription à l’automne 2018. Elle représente mon mandat, car j’ai toujours souhaité le placer sous le signe du dialogue. La transition écologique, un de mes axes de travail principal, doit se faire avec nos concitoyens et je tiens à assurer le « service après vote » des mesures que j’ai travaillé à l’Assemblée.

Question rituelle : comptez-vous vous représenter en 2022 ? 

L’heure est à l’action pour relancer notre pays après la crise sans précédent que nous venons de traverser et non pas à la campagne pour les législatives. Je peux en tout cas vous assurer que je serai mobilisé pour tous mes concitoyens jusqu’au bout de mon mandat, comme je le suis depuis 2017.