L'interview de Stéphane Claireaux

Stéphane Claireaux
Le ptit Saint-Pierre choisi par Stéphane Claireaux

Le député de Saint-Pierre-et-Miquelon Stéphane Claireaux est un cas unique à l'Assemblée nationale : il est le seul à être suppléant depuis 7 ans. 


Vous êtes un cas unique à l’Assemblée nationale, car cela fait deux mandats de suite, que vous êtes suppléant. Pouvez-vous nous raconter comment vous êtes arrivé à l’Assemblée nationale ? 

J’étais collaborateur parlementaire d’Annick Girardin, alors députée de Saint-Pierre-et-Miquelon, quand le Président de la République François Hollande lui a proposé le poste de Secrétaire d’État au Développement et à la Francophonie en mars 2014. Sa suppléante n’ayant pas pu endosser la fonction de députée pour des raisons personnelles, une élection législative partielle a été organisée en juin 2014, à laquelle Annick Girardin s’est représentée avec moi en tant que suppléant. Travaillant en tant que collaborateur auprès d’Annick Girardin depuis sa première élection comme députée en 2007, je connaissais les dossiers de l’Archipel et son travail à l’Assemblée nationale, j’étais sans doute celui dans son entourage politique qui pouvait le plus rapidement appréhender la fonction de député.  

Tous les députés savent que leur mandat est un CDD : comment vivez-vous le fait que, contrairement à vos collègues, votre mandat peut s’arrêter demain ? 

Le fait d’être député suppléant est effectivement parfois compliqué à vivre, comparé au député qui a un mandat de titulaire. Tout peut s’arrêter en effet du jour au lendemain et chaque remaniement est une véritable période de stress, et en 7 ans, j’en ai connu quelques-uns. En fait, en dehors de ces périodes « inconfortables », je n’y pense pas, je suis le représentant de Saint-Pierre-et-Miquelon à l’Assemblée nationale et je m’investis à fond dans mon mandat. Je ne me prédestinais absolument pas à devenir député, mais j’ai toujours été impliqué en politique ou au niveau associatif pour défendre mon territoire et le faire avancer.

Chaque mois de mandat est une occasion supplémentaire de me rendre utile pour l’Archipel. Je reste philosophe en me disant que si cela devait s’arrêter, j’aurais vécu une expérience extraordinaire au service de la population de Saint-Pierre-et-Miquelon et j’aurais pu me rendre utile pour mon territoire, même si pour cela j’ai sacrifié mon entreprise et ma vie professionnelle.

En quoi la circonscription de Saint-Pierre-et-Miquelon est-elle particulière ?

Tout d’abord, nous sommes sans nul doute la plus petite circonscription (242 km2), et nous avons, pour nous représenter au parlement un député et un sénateur pour 6000 habitants. Cette singularité s’explique certainement justement par la particularité du territoire, qui ne ressemble à aucun autre en métropole ou ailleurs en outremer. Nous sommes le seul flocon de neige dans le paysage ultramarin !

Nous ne partageons pas les mêmes problématiques :

Nous sommes le territoire d’outre-mer le plus proche de la métropole, mais c’est l’un des territoires le plus compliqué à rejoindre : en dehors de la ligne aérienne directe entre Paris et Saint-Pierre qui existe depuis 4 ans à titre expérimental uniquement l’été, nous devons passer par le Canada pour voyager entre l’Archipel et l’Hexagone. Selon les options, cela prend parfois plus de temps pour se rendre à Saint-Pierre-et-Miquelon de Paris, que pour se rendre en Polynésie.

Nous sommes le territoire le moins peuplé (6000 habitants), mais compte tenu de notre isolement, nous bénéficions des infrastructures équivalentes à celles d’une ville de 50 000 habitants en métropole.

Le taux de chômage est très faible à Saint-Pierre-et-Miquelon et le PIB par habitant est similaire à celui de la métropole. Mais il ne faut cependant pas se laisser berner par les chiffres, car cette « bonne santé » apparente est artificielle, puisqu’essentiellement basée sur la fonction publique et la commande publique.

On a coutume de dire que les problématiques de Saint-Pierre-et-Miquelon sont inversement proportionnelles à la taille de l’Archipel. Il faut dire qu’avec deux communes, un Conseil territorial, un député et un sénateur, nous n’avons pas moins de 65 élus pour administrer un territoire de 6000 habitants : cela complique parfois plus les choses que cela ne les facilite.

En dehors de la façon dont vous êtes arrivé à l’Assemblée nationale, vous avez une autre particularité, que pourrait vous envier bon nombre de vos collègues : vous êtes l’un des mieux élus par rapport au pourcentage d’inscrits. La première place est occupée par Sylvain Brial avec 42,62 % en pourcentage d’inscrits et vous êtes le second avec 37,92 %. C’est également dans votre circonscription qu’il y a le moins de votants, avec 3748 personnes. Comment l’expliquez-vous ? 

Tout d’abord, il est important de noter que la population a élu un binôme, puisque, s’il était clair pour tout le monde qu’en cas d’élection, c’était Stéphane Claireaux qui siègerait et représenterait la population de Saint-Pierre-et-Miquelon à l’Assemblée nationale, la candidate titulaire était la ministre Annick Girardin.

La circonscription est petite en termes d’électeurs, et les habitants savent qu’une bonne représentation de leurs intérêts à Paris est primordiale. Aussi, élire le binôme Annick Girardin/Stéphane Claireaux, c’était obtenir « 2 voix à Paris pour le prix d’une » : une au gouvernement et une à l’Assemblée. 

Par ailleurs, trop souvent oubliés, de par notre statut particulier tiré de l’article 74 de la Constitution nous n’entrons que rarement dans les cases des politiques publiques, nous devons sans cesse rappeler nos spécificités locales et les faire valoir. Souvent, lorsque je m’assois en face des conseillers dans les cabinets ministériels pour défendre les dossiers de l’Archipel, je lis dans leurs yeux : « Saint-Pierre-et-Miquelon… ça va être compliqué… » La population est très consciente de cette méconnaissance de nos interlocuteurs et du travail que cela représente de faire entendre ou comprendre nos particularités à Paris, c’est sans doute pour cela que les électeurs se mobilisent pour élire leur représentant.

Quand on regarde les chiffres de la dernière élection législative, on est surpris par la faible mobilisation des électeurs. Pourquoi les citoyens ne viennent-ils plus élire leurs députés ? 

Peut-être parce que les députés se sont petit à petit éloignés de leur circonscription, du terrain ? Loin de moi l’idée de jeter la pierre à mes collègues, car cet éloignement leur a été imposé ces deux derniers mandats. Je suis de plus près la vie législative depuis la première élection d’Annick Girardin en tant que députée en 2007. À cette époque, l’activité hebdomadaire parlementaire à Paris commençait le mardi après-midi avec les QAG, et se terminait plutôt le jeudi. En règle générale, les députés étaient de retour dans leur circonscription le jeudi après-midi, jusqu’au lundi suivant inclus.

Sous la présidence Hollande, la nécessité de présence à Paris s’est accrue, l’activité à l’Assemblée commençait plutôt du mardi matin jusqu’au vendredi matin. Aujourd’hui, les travaux à l’Assemblée débutent le lundi après-midi souvent jusqu’au vendredi en soirée inclus. Nous avons même régulièrement siégé le week-end.

Alors quel temps reste-t-il aux députés pour être présent, sillonner et rencontrer les citoyens de leur circonscription ? Ils se sont malgré eux éloignés du terrain et à cause de cette absence en circonscription, les gens peuvent s’imaginer que ces élus, qu’ils ont peu l’occasion de rencontrer, ne se soucient guère de leurs préoccupations quotidiennes. Je parle évidemment pour mes collègues métropolitains, le calendrier pour un élu ultramarin se gérant différemment, selon l’éloignement et la facilité de voyager entre sa circonscription et Paris.

Et puis les « affaires » impliquant des élus, qui ont fait les gros titres, n’ont fait que renforcer la défiance envers le monde politique, alors que ces « affaires » ne concernent finalement qu’une infime minorité de personnalités. Mais la loupe grossissante médiatique transforme malheureusement par la puissance de sa caisse de résonnance, des cas particuliers en généralité.

Est-ce vrai qu’il existe une sorte de fraternité entre les députés d’outre-mer, qui dépasse les clivages politiques ?

Il y a effectivement un objectif commun de se faire mieux écouter, de mieux faire entendre nos particularités et une volonté de rappeler à la France que son influence internationale, elle la doit aussi en partie à sa présence sur tous les océans et à ses 11 millions de km² de Zone Économique Exclusive (deuxième rang mondial en ZÉE) que lui apportent ses outremers. 

Chacun de nous a des spécificités locales et la Constitution ne s’y trompe pas en détaillant spécifiquement les territoires ultramarins. L’éloignement géographique et la continuité territoriale sont les deux éléments que je citerais spontanément qui nous rassemblent. Aussi, par-delà nos différences politiques, nous savons aussi qu’une solidarité peut rapidement se créer de même qu’une coopération entre députés de l’outremer. Mais cela n’est pas propre qu’à l’outremer, les élus de la montagne, par exemple, se réunissent et savent aussi faire bloc commun. 

Avec Maina Sage, vous avez signé un rapport sur la production audiovisuelle dans les outremers : en quoi est-ce un sujet ? 

France Ô était une chaîne de télévision nationale, une véritable vitrine pour nos outremers sur le territoire métropolitain. C’était souvent un tremplin au national pour nos boîtes de production. Avec l’annonce de la fermeture de France Ô, c’était aussi un diffuseur qui disparaissait pour tous les producteurs et réalisateurs ultramarins. Connaissant la difficulté pour la grande majorité d’entre eux d’avoir accès aux autres chaînes nationales, ou encore aux aides à la production du CNC (Centre National du Cinéma et de l’Image animée) qui sont conditionnées à la garantie d’un diffuseur national, j’ai souhaité, avec ma collègue de Polynésie, me pencher sur la production audiovisuelle dans nos outremers pour poser un diagnostic de l’écosystème de l’audiovisuel ultramarin. 

Par ailleurs, la production audiovisuelle et cinématographique fait partie à mon sens d’un « soft power » dont doivent user les outremers. Les films, les séries, les documentaires qui peuvent être tournés dans les outremers sont autant d’opportunités pour nos territoires de gagner en visibilité et de nous faire connaître. Ce formidable vecteur de promotion génère aussi une activité économique à part entière. Les gens qui ont aimé un film, une série, un documentaire, souvent veulent en découvrir plus en se rendant sur place, où les films ont été tournés. On l’a vu, par exemple, avec la série franco-britannique « Meurtres au paradis » tournée en Guadeloupe. Comme aux Antilles, la fréquence des tournages à La Réunion a permis le développement d’une véritable filière du film localement avec la formation de techniciens et la création d’emplois locaux. Je suis, pour ma part, très fier d’avoir attiré à Saint-Pierre-et-Miquelon le tournage de la deuxième saison de la série « Maroni », diffusée sur ARTE, qui, avec trois mois de tournage et le déplacement d’une équipe de quarante personnes, aura généré près d’un million d’euros de retombées sur l’Archipel. 

Je suis membre de la Commission des Affaires culturelles et de l’Éducation, aussi, la question de l’audiovisuel faisait sens, puisque ce sont des sujets que nous abordons régulièrement en commission. C’est d’ailleurs dans ce cadre que je participe activement au comité de suivi France télévision sur le « Pacte de visibilité outre-mer ».

Pour résumé, l’audiovisuel est vecteur de visibilité et de promotion pour nos outremers, en plus d’être une opportunité économique.

Mettons les pieds dans le plat : si on base uniquement sur vos différentes productions, on a l’impression d’une activité en pointillés. Est-ce le reflet de la réalité ? 

Tout d’abord, les outils servant à mesurer l’activité parlementaire ne prennent pas en compte tous nos rendez-vous à l’Assemblée, mais uniquement nos interventions en commission et en séance. Toutes nos interventions pendant les groupes d’étude, les groupes de travail, ou encore pendant les auditions de rapport ou de missions d’information ne sont pas prises en compte.

Si je conçois évidemment que le rôle initial du député est de faire la loi et de contrôler le Gouvernement, il y a, à mon sens, une autre manière d’aborder ce mandat de parlementaire, notamment lorsque l’on représente une petite collectivité si particulière que Saint-Pierre-et-Miquelon. 

D’une part, l’éloignement et la complexité des liaisons entre l’Archipel et la métropole sont des contraintes majeures. Je dois concilier les impératifs d’un agenda national avec ceux de mon agenda local à plus de 5000 km de distance. Impossible pour moi de venir et repartir chaque semaine, ce qui se comprend lorsque l’on peut mettre jusqu’à 36 heures pour voyager entre Paris et Saint-Pierre-et-Miquelon, parce que l’on n’a pas d’autre choix que de passer une nuit au Canada avant de prendre la connexion pour Saint-Pierre. En temps « normal », j’essaie donc de partager mon temps de la manière la plus équitable possible entre l’Assemblée et ma circonscription, ce qui veut dire, dans un monde idéal, que j’essaie de tenir la fréquence de 15 jours par mois d’un bord ou de l’autre de l’Atlantique. 

Évidemment, depuis la crise Covid, entre les contraintes sanitaires, les complications d’un transit par le Canada et la réduction drastique du nombre de vols pour entrer ou sortir de l’Archipel… mes déplacements sur la métropole sont vite devenus un casse-tête.

D’autre part, j’ai décidé de me dédier en priorité aux problématiques de mon territoire si particulier et à mes concitoyens de Saint-Pierre-et-Miquelon afin de leur apporter des solutions concrètes. C’est donc un choix assumé que de me concentrer sur les dossiers locaux, importants pour les Saint-Pierrais et Miquelonnais, que je défends à Paris dans les ministères et autres instances. Évidemment, tout ce travail, ces entretiens et ces réunions ne sont pas comptabilisés sur nodeputes.fr.

Par ailleurs, je ne suis animé par aucune ambition nationale qui m’obligerait à devoir « briller » sur des dossiers nationaux ou à me faire remarquer par de nombreuses interventions dans l’Hémicycle. Je pratique l’intervention utile, quand cela est nécessaire pour mon territoire ou les outremers. 

Mon activité via les sites d’évaluation du travail parlementaire peut donc donner l’impression d’être en pointillé, mais mon équipe parlementaire pourra vous confirmer que tout le monde est à la tâche pendant toute l’année parlementaire.

Vous êtes membre du groupe d’étude Arctique, Antarctique et Terres australes et antarctiques françaises — droit des grands fonds. À quoi sert-il ?  Pourquoi ces régions du monde sont-elles un sujet important pour la France ? 

Ce groupe rassemble les députés sensibles aux questions diplomatiques et de souveraineté nationale, à la protection des fonds marins, aux enjeux climatiques et de recherche en zone polaire, ou encore de tourisme Arctique ou Antarctique. Il est pour moi intéressant de participer à ces travaux, car mon territoire se situe en zone subarctique, que je retrouve des similitudes en termes d’enjeux de souveraineté dans notre ZÉE, de gestion des pêches, de résilience face aux changements climatiques, notamment. En outre, je milite depuis des années pour la création d’une plateforme de recherche locale en zone subarctique avec l’Université de Bretagne Occidentale (UBO), la PIIRES. Je suis d’ailleurs membre du Conseil Consultatif des TAAF, de même que du Comité consultatif de la Réserve naturelle des TAAF, désigné par le Président de l’Assemblée nationale. La position de la France dans les Pôles est importante et stratégique. La Chine et la Russie sont très actives dans ces régions, le Canada et les USA également. La France, via Saint-Pierre et Miquelon, aura sans doute un rôle à jouer à l’avenir avec l’ouverture de la voie maritime du Nord-Ouest. 

Chaque député se voit demander une photo pour illustrer son mandat. Pourquoi avez-vous choisi celle-ci et que raconte-t-elle de votre mandat ? 

Cette photo n’illustre pas spécialement mon mandat, mais représente la vocation maritime de l’Archipel, l’hiver, notre histoire et notre patrimoine avec en fond l’île musée de l’île aux Marins.

Question rituelle, mais un peu aménagée pour vous : comptez-vous reformer un binôme avec Mme Girardin si elle se représente ou pensez-vous vous représenter comme député ? 

2022 est une année d’élection plus dense à Saint-Pierre-et-Miquelon qu’en métropole ou ailleurs en outremer, puisque nous débutons notre séquence électorale dès mars 2022 avec les élections territoriales qui détermineront la nouvelle équipe — ou pas — à la tête de la Collectivité territoriale. Il est donc trop tôt pour se prononcer, attendons d’abord les résultats des territoriales, puis de la présidentielle.


Edit du 13 octobre 2021 à 17h53 : un élément de réponse concernant la question sur le nombre d'électeurs inscrits ayant participé au scrutin de 2017, avait été oublié. Il a donc été rajouté.