IVG : adoption du projet de loi constitutionnelle à l’Assemblée nationale

C'est une révision a minima concernant l'IVG que les députés ont adopté.
C'est une révision a minima concernant l'IVG que les députés ont adopté.

Le projet de loi constitutionnelle visant à inscrire l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution a été adopté ce mardi 30 janvier 2024. 

Plusieurs textes avaient été déposés pour garantir ce droit dans la Constitution. Depuis la loi Veil de 1975, la France a progressivement renforcé le droit à l’IVG, marquant une avancée pour les droits des femmes à disposer de leur corps. Toutefois, cette liberté reste fragile, sans ancrage constitutionnel et dépendante des interprétations jurisprudentielles du Conseil Constitutionnel. Malheureusement, le sujet n’échappe pas à la petite politique politicienne. 

Au début de la XVIe législature, plusieurs groupes avaient déposé des propositions de loi constitutionnelle. Les groupes de la NUPES avaient proposé son inscription dans l’article 66-2. Le groupe Renaissance avait fait la même proposition. Une autre proposition du groupe socialiste souhaitait l’inscrire dans l’article premier de la Constitution de 1958.

La version initiale déposée par la NUPES, sous l’égide Mathilde Panot du groupe LFI, le 7 octobre 2022 avait été adoptée à l’Assemblée nationale. Renaissance, qui avait déposé la même proposition, avait retiré son texte et voté la version de la NUPES. Mais, elle avait été modifiée par Philippe Bas, inscrivant l’IVG non pas à l’article 66-2 comme l’avait souhaité l’Assemblée nationale, mais dans l’article 34

C’est une version moins forte que celles proposées par la NUPES et par Renaissance. Et c’est finalement cette version, maquillée en projet de loi constitutionnelle qui a été adoptée aujourd’hui.

La version qui a été votée aujourd’hui se contente de dire que la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. Ainsi, on reconnaît que c’est un droit pour les personnes, mais, on renvoie à la loi, les modalités d’exercice de ce droit.

À l’inverse, Renaissance et la NUPES proposaient « Nul ne peut être privé du droit à l’interruption volontaire de grossesse ».

Pourquoi avoir opté pour la rédaction du Sénat ? Comme toujours, il faut ménager le Sénat — on l’a bien vu avec la loi immigration — et encore plus pour un projet de loi visant à modifier la Constitution, car les voix des sénateurs sont indispensables. Une version de ce texte avait déjà été votée.

Le Gouvernement aurait parfaitement pu enclencher la procédure accélérée pour la version qui avait été adoptée par l’Assemblée nationale, même remaniée par le Sénat. Faisant dans l’appropriation législative, le Gouvernement a décidé de copier la version du Sénat et de la soumettre à l’Assemblée nationale.

Le texte doit être adopté dans des termes identiques au Sénat et à l’Assemblée nationale. Le texte part dès à présent au Palais du Luxembourg. On ne sait pas quand il sera à l’ordre du jour, mais, dans la mesure où la procédure accélérée est enclenchée, cela arrivera dans les prochaines semaines. 

Ensuite, le Président de la République peut soumettre le texte à un référendum ou se contenter de le faire voter en Congrès.

On va réunir les députés et les sénateurs à Versailles et on va leur demander de voter ensemble, sur un même texte. Pour que le texte soit adopté — et la Constitution modifiée — il faut une majorité des trois cinquièmes de suffrages exprimés. Combien de voix faut-il ?

En admettant que les deux chambres soient complètes, nous avons 925 parlementaires. On va dire qu’ils seront tous là et qu’ils vont tous voter. Il faut 555 voix pour la révision de la Constitution et l’inscription de l’IVG dans cette dernière. Bien sûr, s’il manque des parlementaires au moment du Congrès, les chiffres seront différents. 

Ces 555 voix sont-elles possibles ? On peut compter sur 400 voix sûres des députés : Renaissance, GDR (les communistes), les écologistes, Horizons, les socialistes, MoDem et la France Insoumise. Peut-être que quelques voix des Républicains viendront s’y ajouter, tout comme LIOT, mais, on va les considérer comme un paramètre hasardeux. Du côté du Sénat, on peut compter 136 voix sûres : les socialistes, le rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, les communistes, les indépendants, les écologistes et le rassemblement démocratique et social européen. Si on se fie au scrutin sur la proposition de loi constitutionnelle du Sénat sur l’IVG — celle qui propose justement d’inscrire l’IVG à l’article 34 — on peut aussi compter sur l’union centriste. Soit 174 voix. 

Quand cette réunion du Congrès aura-t-elle lieu ? Pour le moment, il n’y a pas de date, mais on peut supposer que le Président de la République va vouloir aller vite. Cette révision constitutionnelle — c’est ainsi que l’on nomme une modification partielle de la Constitution — ne coûte rien en argent public, ne nécessite aucun décret d’application et permettra à l’exécutif d’en faire un outil de communication. 

En effet, si adoptée, la France serait le premier pays démocratique à inscrire explicitement ce droit dans sa Constitution, envoyant un signal fort à l’international, en particulier dans le contexte actuel où de nombreux pays voient les droits relatifs à l’IVG régresser. On pense notamment aux États-Unis avec le revirement de la Cour Suprême sur l’arrêt Roe V. Wade.

Pour autant, comme l’ont spécifié plusieurs parlementaires, au-delà du symbole, rien n’empêchera de changer les dispositions relatives à l’IVG, singulièrement en raccourcissant les délais. Ils ont également souligné que la pénurie de professionnels de santé constituait une entrave pratique à l’exercice de ce droit. Enfin, les débats de la semaine dernière en séance publique, particulièrement houleux, ont montré que ce droit, même inscrit dans la Constitution, pouvait être tellement restreint en fonction des majorités politiques, qu’il n’était pas protégé avec son insertion dans l’article 34.

C’est donc une étape symbolique qui a été franchie, mais, qui n’a pas de traduction réellement concrète. La prochaine étape est l’examen au Sénat. 
Le texte a été adopté à l’Assemblée nationale avec 493 voix pour et 30 voix contre.

Le détail du scrutin sera mis en ligne ici.

Les trente députés qui ont voté contre sont :

Bénédicte Auzanot (RN);
Christophe Bentz (RN);
Caroline Colombier (RN);
Grégoire de Fournas (RN);
Hervé de Lépinau (RN);
Marie-France Lorho (RN);
Yaël Menache (RN);
Pierre Meurin (RN);
Mathilde Paris (RN);
Lisette Pollet (RN);
Stéphane Rambaud (RN);
Laurence Robert-Dehault (RN);
Thibault Bazin (LR);
Anne-Laure Blin (LR);
Xavier Breton (LR);
Hubert Brigand (LR);
Josiane Corneloup (LR);
Marie-Christine Dalloz (LR);
Fabien Di Filippo (LR);
Christelle D'Intorni (LR);
Annie Genevard (LR);
Philippe Gosselin (LR);
Patrick Hetzel (LR);
Marc Le Fur (LR);
Jérôme Nury (LR);
Vincent Seitlinger (LR);
Nathalie Serre (LR);
Véronique Besse (NI) ;
Emmanuelle Ménard (NI).