Jordan Bardella « ce que je cherche » : un meilleur éditeur
Difficile de passer à côté du battage médiatique autour de la sortie du premier livre de Jordan Bardella. Le livre est un objet politique, à haute valeur ajoutée pour tout élu ou aspirant élu, qu’il s’agisse d’un livre-programme — comme celui d’Emmanuel Macron, « Révolution » — ou d’un livre autobiographique — tel que « Engagements : Plaidoyer pour le beau mandat de Député » de Régis Juanico.
« Ce que je cherche » n’est ni l’un ni l’autre.
Une absence de style et de structure
Avoir une bonne plume est plus difficile qu’il n’y paraît et cette plume se forge avec le temps. Plus on écrit, plus les mots viennent facilement. Pour l’entretenir, il faut lire. Le style de Jordan Bardella est très pauvre, pour ne pas dire inexistant. Les points d’exclamation sont trop fréquents. Les phrases sont trop orales, au point que certains passages paraissent être une retranscription brute d’un enregistrement audio.
Le plus déroutant réside dans l’absence absolue de structure. Le livre ressemble à une compilation de notes de blog, sans hiérarchie. Dans un même chapitre, on commence en septembre 2024, pour continuer en 2014 et on s’arrête à 2017 ou 2022. S’il n’y avait qu’un seul chapitre sans chronologie, l’erreur serait passable.
Mais, tous les chapitres ou presque sont composés ainsi.
À la fin du livre, on s’interroge : est-ce qu’il y a un éditeur chez Fayard ou n’ont-ils vu chez Jordan Bardella qu’un produit marketing à forte rentabilité ? Car, le livre paraît bien se vendre, dépassant déjà les 25 000 ventes d’après l’éditeur, alors qu’il n’est disponible que depuis quelques jours. Preuve en est que les politiques font vendre.
Le faux procès de la jeunesse, mais un néant de réflexion
Peut-on écrire son autobiographie à 29 ans ? Oui. Certaines personnes connaissent des parcours de vie atypiques ou extraordinaires, qui justifient une écriture, une empreinte. L’Histoire de France est riche de ces parcours.
Jordan Bardella a grandi à Saint-Denis et il avait 20 ans quand la France a été traumatisée par les attentats du 13 novembre 2015. Vivre à Saint-Denis à ce moment-là laisse une marque. Presque dix ans après, il est difficile de mettre des mots sur les maux du 13 et surtout du 18 novembre 2015.
Ce matin-là, les forces de police arrivent en nombre dans la ville, la bouclent et mènent l’assaut durant sept heures. Si les Français ont pu découvrir ou suivre ces deux jours à la télévision, pour les Dionysiens, le choc a été plus rude. D’autant plus dur que dans les esprits, il a fallu du temps pour inclure la ville comme « victime du terrorisme ». Pour parler du 13 novembre 2015, beaucoup disaient « les attentats de Paris » ou pire « les attentats du Bataclan », oubliant Saint-Denis.
On s’attendait à ce que Jordan Bardella exploite cet épisode, qu’il mette ses tripes sur la table, qu’il se mette à nu. Ce n’est pas le cas : le chapitre est creux, télégraphique, sans saveur. La seule chose qui semble l’affecter est l’annulation d’un passage média.
Méchants médias
À la fin de l’ouvrage, Jordan Bardella s’en prend aux journalistes en général et à Libération en particulier. Et c’est à ce moment-là qu’un détail frappe le lecteur. Contrairement à une émission de télévision, de radio ou une interview dans la presse écrite, un auteur n’est pas limité dans son écriture. Il a le temps et la place pour mettre sur la table tout ce qui peut lui peser.
Or, si Jordan Bardella énonce que toutes les enquêtes sur lui sont des mensonges, il ne détaille pas plus que cela. Il n’explique pas quelles sont les accusations, en quoi elles sont fallacieuses ou orientées. Même au début du livre, lorsqu’il parle des législatives de 2024, il ne prend pas le temps de répondre aux accusations qui ont été formulées concernant les brebis galeuses du parti. Il effleure le sujet, mais sans rentrer véritablement dedans.
Politiquement, c’est une occasion manquée : celui qui se voyait à Matignon n’a pas saisi l’opportunité en or qui lui était offerte. Un livre est-il le bon moyen de le faire ? Posez la question à Jérôme Lavrilleux ou à Georges Fenech : la réponse est oui.
L’éléphant dans la pièce : le Parlement européen
Jordan Bardella, avant d’être président du Rassemblement National, est un élu, plus précisément un député européen et un conseiller régional. L’un des reproches les plus fréquents le concernant est son absence d’implication dans son mandat européen.
Pour se défendre, Jordan Bardella balance des chiffres — erronés — de participation. Mais, dans ce livre, il admet lui-même que Strasbourg et Bruxelles lui sont manifestement très peu connus. Comment ? En n’en parlant quasiment jamais.
Un exemple parmi tant d’autres : les députés français disent souvent qu’ils ont l’impression de vivre dans leur valise, en raison des déplacements entre Paris et leur circonscription — exception faite des élus franciliens. Jordan Bardella n’en parle jamais. Il ne parle pas du travail en commission, il ne parle pas des grands textes européens, il ne parle pas de la logistique. Il n’évoque même pas son ancien emploi d’assistant parlementaire.
Pourtant, lui-même reconnaît que la politique absorbe tout et laisse peu de place au reste. Alors, pourquoi ne pas avoir consacré quelques chapitres sur ces années à Strasbourg et Bruxelles ? Est-ce dire que rien ne l’a marqué ? Ou qu’il n’y a pas été assez pour s’en souvenir ?
Qui est Jordan Bardella ?
En renfermant le livre, il y a une question qui reste sans réponse : qui est Jordan Bardella ? On ne le sait pas. On ne comprend pas ce qui le guide, on ne saisit pas ce qui l’a poussé à entrer en politique. Les grands fauves ont tous un point commun : une blessure, parfois narcissique, qui les a forgés pour en faire des tueurs.
Marine Le Pen en a connu plusieurs : l’attentat dans son enfance, son nom de famille, les « dérapages » de son père, le divorce très houleux et assez sale de ses parents. Jordan Bardella n’a connu aucune blessure, aucun échec véritable, aucune meurtrissure. En ce sens, il ressemble beaucoup à Emmanuel Macron : sans aspérité, sans flétrissure.
Tant mieux pour eux, mais cette absence de passif le rend inapte à la politique. Jordan Bardella n’est pas un bon technicien — la façon dont il aligne les sujets dans son livre le montre bien — il n’est pas un grand tribun et il n’est pas un visionnaire.
Au mieux, il est un opportuniste qui a bien utilisé l’ascenseur social du Front National, qui est l’un des rares partis à faire monter rapidement les gens.