L’amitié entre les peuples, façon Rassemblement national
Complément d’enquête aborde dans son édition du jeudi 27 octobre 2022, les liens entre le Rassemblement national et Vladimir Poutine. Projet Arcadie a remarqué qu’une nouvelle recrue est venue enrichir l’équipe du député européen Philippe Olivier, beau-frère de Marine Le Pen.
Les changements quotidiens de collaborateurs parlementaires sont monnaie courante à l’Assemblée nationale. C’est beaucoup moins vrai au Parlement européen. Conditions de travail plus agréables, meilleure rémunération, horaires plus respectueux de l’équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle, être assistant parlementaire à Bruxelles ou Strasbourg est une bonne place. Le turn-over est bien moindre qu’au Palais Bourbon. Dès lors, chaque changement se remarque plus facilement.
C’est ainsi que le lundi 24 octobre 2022, l’onglet « assistant » de la fiche de Philippe Olivier sur le site du Parlement européen a fait état d’une nouvelle embauche : celle d’Irina Tomakhina, en tant qu’assistante accréditée (groupement). Elle apparaît également chez Patricia Chagnon, député européen le 29 juillet 2022, suite à l’élection d’Hélène Laporte à l’Assemblée nationale.
Comme l’indique le site du Parlement européen, les assistants accrédités sont des collaborateurs parlementaires, sous contrat direct avec l’institution, travaillant soit à Strasbourg, Bruxelles ou Luxembourg. La mention « groupement » indique qu’ils travaillent pour plusieurs députés.
Philippe Olivier n’est pas un député européen très actif. Alors que certains eurodéputés sont membres d’une bonne dizaine d’entités au Parlement européen, il n’est membre que de deux commissions et deux délégations. Il n’est donc pas étonnant qu’il n’ait que cinq collaborateurs parlementaires. Tous sont partagés avec Patricia Chagnon, à l’exception d’Aude Brastenhofer. Cette dernière travaille pour tous les députés européens français du groupe Identité et démocratie.
Le passif professionnel des assistants accrédités de Philippe Olivier et Patricia Chagnon est facile à trouver sur les différents moteurs de recherche, ainsi que dans la presse. Ce n’est pas le cas d’Irina Tomakhina. Après nos recherches, trois personnes portant ce nom ressortent. Deux d’entre elles résident en Russie et la troisième en Italie. La résidente italienne est la seule à avoir un profil LinkedIn, qui ne donne que très peu d’informations sur son parcours académique et professionnel. Dans les compétences affichées, il indique des compétences professionnelles limitées en langue française. Cela paraît curieux qu’il puisse s’agir de la personne qui a rejoint l’équipe de Philippe Olivier, député européen français. À la section de la formation, on retrouve l’université Sapienza de Rome et la mention d’un diplôme ou d’une compétence en économie et institutions de l’intégration européenne et internationale. La matière est effectivement enseignée, vraisemblablement au niveau master. Contactée, l’université n’a pas donné suite à nos interrogations. Irina Tomakhina n’apparaît pas non plus sur le site des anciens élèves — annuaire alimenté sur la base du volontariat.
Autre curiosité : dans les compétences indiquées sur le profil LinkedIn, Irina Tomakhina mentionne « réseaux sociaux », ce qui ne transparaît pas. En interrogeant les différentes plateformes, on retrouve effectivement des enregistrements au nom d’Irina Tomakhina. Toutes les pages débouchent sur des 404, avec une indication « cette page n’est plus disponible ». Se pourrait-il que la détentrice du profil LinkedIn ait été effectivement présente sur ces différents réseaux sociaux, mais, aurait choisi de supprimer sa présence numérique ? Ou était-ce les pages de ces deux homonymes ? Cet élément est impossible à vérifier : aucun compte n’a été indexé sur les sites d’archives.
Elle apparaît lors de différentes manifestations culturelles, qui ont tous en commun de prôner le rapprochement des cultures italiennes et russes. Elle a notamment coordonné une rencontre avec l’Association Madre Russia, évènement durant lequel elle n’a pas caché son admiration pour Vladimir Poutine. Elle est également bénévole dans une association qui vient en aide aux femmes et enfants russophones, victimes de violences intrafamiliales en Italie. On la retrouve aussi comme organisatrice de congrès médicaux en 2017 et 2018. La dernière activité professionnelle est celle de collaboratrice du secrétaire régional d’UGL Creativi, un syndicat professionnel d’artistes. Politiquement, elle a l'air d'être proche de la Lega. Le parcours professionnel ne paraît pas homogène.
Cette personne, qui vivrait à Rome, est-elle la même que celle qui est venue renforcer l’équipe de Philippe Olivier ? Compte-t-elle déménager à Bruxelles, Strasbourg ou Luxembourg, comme fait obligation le code de bonne conduite des agents du Parlement européen ? Ou est-elle déjà installée ?
Malgré des relances, Philippe Olivier n’a pas donné suite. Sollicitée, Irina Tomakhina n’a pas non plus donné suite.
Est-il possible qu’il s’agisse d’une simple erreur d’affichage sur le site du Parlement européen ? Après investigations, cela paraît impossible. Si le député a la main sur le recrutement, c’est le Parlement européen qui gère la vérification. Contrats de travail, justificatifs employeur, justificatifs du lieu de résidence, diplômes, compte bancaire valide, avec document certifié par la banque, adresses des dix dernières années, extrait de naissance, prise de sang, d’urine, ECG, bilan médical (effectué par les services du Parlement), la liste de tous les documents demandés par les services est impressionnante. D’après les informations que nous avons obtenues, ce n’est qu’une fois que la vérification de l’ensemble des informations demandées, est effectuée que le recrutement est validé. Et que le nom est ajouté, par les services du Parlement européen, sur l’onglet assistants du député européen. Les parlementaires n’ont pas la maîtrise de cette information ni de sa publication. L’ensemble du processus peut prendre deux à trois semaines.
En effet, contrairement à l’Assemblée nationale et au Sénat, où les collaborateurs parlementaires sont embauchés directement par les parlementaires, au Parlement européen, les assistants accrédités sont sous contrat avec l’institution.
L’institution procède-t-elle à un contrôle d’opportunité du recrutement ? C’est la seule limite du contrôle du Parlement européen. Il ne lui appartient pas de dire si tel ou tel collaborateur a effectivement les compétences pour travailler auprès d’un parlementaire. « Le Parlement européen va uniquement vérifier que la rémunération de l’assistant accrédité corresponde à son niveau de diplôme ou d’expérience professionnelle. Un député européen peut embaucher un boucher comme assistant accrédité mais sa rémunération sera celle qui correspond à un CAP de boucher. » explique Jérôme Lavrilleux, ancien député européen.
Si la nouvelle collaboratrice de Philippe Olivier et Patricia Chagnon est effectivement la même Irina Tomakhina qui apparaît sur LinkedIn, on peut s’interroger les raisons de son recrutement. Enfin, on s’étonne du silence de Philippe Olivier, qui semble dans l’incapacité la plus totale à expliquer cette nouvelle embauche.
Mise à jour du 2 mai 2023 : le mercredi 12 avril 2023, Philippe Olivier était auditionné par la commission d'enquête sur les ingérences étrangères. À cette occasion, le député Pierre-Henri Dumont a interrogé Philippe Olivier sur la présence d'Irina Tomakhina dans son équipe parlementaire. Nous renvoyons le lecteur vers la vidéo, le temps que le compte-rendu écrit soit disponible. La question est disponible à partir de 00h36h38. Voici le résumé de sa réponse : Irina Tomakhina a été embauchée en catastrophe en 2022, afin d'assurer l'intendance parlementaire concernant les voyages du député européen. Connaissant parfaitement le fonctionnement du remboursement des notes de frais et de voyage - d'après Philippe Olivier - elle aurait précédemment travaillé pour un député de la Lega. Il assure également que son contrat est temporaire, pour une durée de six mois. Elle serait ukrainienne et non russe et son embauche aurait donné lieu, par le Parlement européen à une enquête préalable de quatre mois. Il conclu en disant qu'il n'a rien à cacher.
Dès lors, on ne peut manquer de s'interroger à plusieurs titres. En premier lieu, si M. Olivier n'avait rien à cacher, on s'étonne qu'il ait refusé de répondre aux questions qui lui ont été posées par email. Par ailleurs, si la nationalité d'Irina Tomakhina n'a jamais été réellement un sujet, c'est surtout ses accointances avec le régime de Vladimir Poutine qui soulevaient des interrogations. Un nettoyage des likes de son compte Facebook a été entrepris. Néanmoins, on constate que les pages en question sont plus proches de l'actuel régime russe que de l'Ukraine.
On relève également une incohérence dans la réponse formulée par Philippe Olivier à la question de Pierre-Henri Dumont. Il indique avoir embauché Irina Tomakhina en catastrophe. Il est pourtant élu depuis 2019 et Irina Tomakhina est embauchée en octobre 2022, selon lui, pour gérer les remboursements de transports. Est-ce dire qu'entre son élection en 2019 et octobre 2022, le député européen n'a pas demandé de remboursement de son transport ? On pouvait supposer qu'il fait référence à l'élection de 2022. Mais, comme le montre les archives, il ne semble pas que Philippe Olivier ait eu, dans son équipe parlementaire, de collaborateurs qui sont devenus députés à l'Assemblée nationale.
Irina Tomakhina n'est plus assistante accréditée de Phillipe Olivier et Patricia Chagnon depuis le 1er mai 2023.
Boîte noire
Sur le modèle de nos confrères de Mediapart, voici la méthodologie et le processus qui ont mené à la rédaction de cet article.
Le lundi 24 octobre 2022, à 9h01, une alerte fait état d’un changement dans la section assistants sur la fiche de Philippe Olivier. L’outil indique l’ajout du nom d’Irinia Tomakhina. L’alerte est lue dans l’après-midi. À 14h42 et 14h43, les bureaux de Strasbourg et de Bruxelles ont été contactés par téléphone, sans succès.
Un premier tweet de prise de contact avec Philippe Olivier a été envoyé, le 24 octobre 2022, à 14h44. Philippe Olivier a demandé à ce que les coordonnées du Projet Arcadie soient envoyés. Il lui a été demandé de prendre contact en message privé sur Twitter.
De nouvelles tentatives téléphoniques ont été faites les 24 octobre, 26 octobre et 27 octobre 2022.
Des mails ont été envoyés à Philippe Olivier les 24 octobre 2022 à 18h21 et 26 octobre 2022 à 19h56, ainsi qu’à l’adresse email professionnelle d’Irina Tomakhina le 26 octobre 2022 à 19h56. Un message LinkedIn a été envoyé à Irina Tomakhina le 26 octobre 2022, dans la soirée.
Concernant Irina Tomakhina, différents services de recherche ont été utilisés pour essayer de la retrouver sur les réseaux sociaux dont Instant Username Search, qui a permis de faire ressortir différents comptes, qui ont tous été supprimés. Un profil Facebook a été trouvé, en lien avec l'association VITARU, qui permet de mettre en évidence son inclinaison envers les partis d'extrême-droite en Italie. Si le profil est verrouillé et ne permet pas sa consultation, ce n'est pas le cas de ses "reels" qui sont accessibles à tous. Par ailleurs, ses "likes" sont publics.
Mise à jour du mardi 8 novembre 2022 à 16 h 38 : l'Université de Rome a répondu à nos questions.
Les questions étaient les suivantes :
According to her LinkedIn profile, she is a graduate of your university, in "Economia e Istituzioni dell'Integrazione europea e internazionale". Can you tell me if this degree, as such, exists and if so, what is its level. Is it a licence, a master, a doctorate? Finally, can you tell me if Irina Tomakhina was a student at your university?
La réponse est celle-ci :
I confirm you that Irina Tomakhina is a graduate of Sapienza University of Rome in "Economia - curriculum Economia e Istituzioni dell'Integrazione europea e internazionale". This is a bachelor degree organized by the Faculty of Economics.