L’Assemblée divisée, un scrutin solennel incertain

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Cette troisième journée de débat à l’Assemblée Nationale sur la réforme constitutionnelle a été extrêmement agitée et les divisions entre les députés ont été plus que manifestes.

Les députés frappés du syndrome « premier de la classe »

Conséquence directe de la bronca de la veille sur l’absentéisme supposé des députés en séance publique, aujourd’hui, une majorité d’entre eux a tweeté être présent dans l’hémicycle, se sont justifiés auprès d’internautes ou ont carrément pris des selfies. C’est dire à quel point cette polémique stérile a tourné au ridicule. Si effectivement, le hashtag #DirectAN a été assez alimenté de 15 h à 1 h, il l’a surtout été par les aficionados de la Chambre Basse et par les journalistes qui suivaient sérieusement les débats. Il est bien évident que la chaîne parlementaire qui a retransmis en direct les débats n’a pas explosé son audience, ce qui laisse penser qu’une part non négligeable des râleurs avaient, eux aussi, autre chose à faire.

Du mariage pour tous à la déchéance pour tous

L’essentiel des débats a porté sur la question de la déchéance de nationalité et malgré une mobilisation très intense des députés, notamment 34 amendements similaires de suppression de l’article 2, c’est la version la moins conforme à notre actuel bloc de Constitutionnalité qui est ressortie : la déchéance de nationalité française pour toute personne s’étant rendue coupable d’un crime ou d’un délit de terrorisme, y compris pour les personnes n’ayant pas la double citoyenneté.

Conséquence directe : que faire des personnes que l’État français aura rendu apatride ? À ce jour, personne n’a la réponse et il est évident que ce texte est encore plus fragilisé. Volontiers taquin, le député Bernard Debré a demandé ce qu’il adviendrait des Corses condamnés pour terrorisme et qui seraient déchus de leur nationalité Française. La question étant : que va faire le Conseil Constitutionnel si et quand le texte lui sera soumis ?

Autant l’inscription de l’état d’urgence et son simulacre de cadre juridique – ni fait ni à faire – n’a pas rencontré d’opposition très ferme comme nous l’avions indiqué, autant la question de la déchéance de nationalité a soulevé des hauts cris d’indignation et le vote de l’article 2 a été très serré : à peine 14 voix d’écart.

Détail amusant ou affligeant : le Premier Ministre a constamment parlé du « serment de Versailles » du Président de la République, montrant par la même occasion qu’il n’était ni juriste ni même connaisseur de la langue, la notion de serment recouvrant en droit et en histoire du droit une signification bien particulière. Par ailleurs, le Premier Ministre a également semblé oublier que le mandat des députés était représentatif : ils ne sont tenus ni par leur parti, ni par le Gouvernement.

Le grotesque de la situation ne s’est pas arrêté là.

La salade constitutionnelle

Après le scrutin sur l’article 2 est venue l’étude des amendements fantaisistes. À qui d’inscrire la laïcité dans la Constitution, à qui les racines chrétiennes, à qui les langues régionales, l’indépendance de la Corse ou encore la suppression de différents articles de la Constitution. Cela a été un florilège d’absurdité qui a duré environ 45 minutes et croyez-moi que cela a été trop long. Mais, après toutes ses péripéties, il restait une cerise sur ce gâteau indigeste.

L’Assemblée dissoute, le Congrès s’éloigne

Le Gouvernement avait fait part de sa volonté de revenir sur l’amendement de Sébastien Denaja, qui avait été adopté la veille et qui instaurait l’interdiction de la dissolution de l’Assemblée Nationale pendant l’état d’urgence. Pour certains députés Les Républicains, cette interdiction dénaturait la fonction présidentielle. Soucieux de ne pas s’aliéner le vote des parlementaires Les Républicains, le Gouvernement a demandé une seconde délibération sur le texte en imposant ses propres amendements, cette seconde délibération étant de droit, en vertu de l’article 101 alinéa 2 du règlement de l’Assemblée Nationale. Problème : non seulement cette seconde délibération est intervenue à la fin du débat, dans un hémicycle qui s’était naturellement vidé, mais si elle rallie quelques députés Les Républicains, elle risque de faire perdre les voix du groupe UDI.

Or, chaque voix va compter lors du vote en Congrès et dans la mesure où les sénateurs ont déjà fait savoir qu’ils allaient modifier et qu’il est tout à fait envisageable – au vu du calendrier proposé – que certains parlementaires décident de ne pas voter la réforme constitutionnelle, il apparaît assez clairement que le Président de la République n’aura pas les 3/5ᵉ requis pour faire passer sa réforme constitutionnelle, à savoir 553 parlementaires la votant.

Le scrutin solennel qui aura lieu le mercredi 10 février à partir de 16 h 15 risque d’être très serré.

Catégorie: 
Radio-Buvette

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