Le turn-over des collaborateurs parlementaires : bilan de la XVe législature
L’une des données inédites de la XVe législature, qui s’achèvera dans quelques jours, est l’identité des collaborateurs parlementaires.
Les déclarations d’intérêts : la première source
Après le scandale de l’affaire Cahuzac, les parlementaires votent la loi pour la transparence dans la vie publique. À charge pour les parlementaires — ainsi que d’autres titulaires d’un mandat public — de remplir une déclaration de patrimoine et une déclaration d’intérêts. La loi ne convient pas à tout le monde, en attestent certaines annotations rageuses et manuscrites dans la première livraison.
Les noms des collaborateurs parlementaires y figurent en toutes lettres. Mais, la mise à jour des déclarations d’intérêts est soumise au bon vouloir des élus, la HATVP n’ayant pas les moyens de vérifier en temps réel les informations. Par ailleurs, à cette période, les déclarations se faisaient encore à la main. Aujourd’hui, les députés ont un extranet leur permettant de faire leurs mises à jour en ligne.
Sous la XIVe législature, la majorité des députés se sont contentés d’une seule déclaration d’intérêts. La bienveillance semblait de mise, dans la mesure où le processus était nouveau et n’était pas informatisé. Par ailleurs, en dehors quelques rédactions, le sujet ne passionnait pas les foules.
Le détonateur : les affaires Fillon
En janvier 2017, à quelques semaines du premier tour de l’élection présidentielle, le Canard Enchaîné publie des révélations sur François Fillon et sa vision toute personnelle quant à l’enrichissement de son patrimoine. Parmi les faits qui sont révélés par l’hebdomadaire satirique, l’emploi présumé fictif de son épouse.
Sous la pression médiatique, alors que la XIVe législature s’achève, Claude Bartolone — alors président de l’Assemblée nationale — rend publics les noms des collaborateurs parlementaires de députés. Au Sénat, un PDF actualisé chaque jour était déjà disponible.
Sous la XVe législature, un bloc sur la fiche de tous les députés liste les collaborateurs de ce dernier. La mise à jour des noms est gérée par l’Assemblée nationale, qui se base sur les contrats de travail. Dans cette liste ne figurent pas les stagiaires ni les prestataires qui sont payés sur facture.
Harcèlement et turn-over
Assez rapidement, des affaires de harcèlement de députés envers leurs collaborateurs parlementaires sont mises en avant. Du côté des syndicats de collaborateurs, on fait régulièrement état de turn-over important chez les députés, supérieurs aux années précédentes.
Horaires difficiles, comportements des députés, contextes compliqués, le poste de collaborateur parlementaire n’est pas un métier évident. Il dépend beaucoup de la fiche de poste. Certains assistants vont être affectés à des tâches très spécifiques — légistique, développement web, études statistiques — et d’autres seront multitâches.
À une atmosphère qui peut s’avérer pesante au quotidien, dans un contexte « normal » se sont ajoutés d’autres éléments. Le premier est la crise des Gilets jaunes où les collaborateurs parlementaires ont été pris à partie, parfois physiquement. Le deuxième est la réforme des retraites et le troisième, l’épidémie de COVID.
Le bien-être au travail des collaborateurs parlementaires dépend de facteurs extérieurs — ceux précédemment énumérés — mais aussi du comportement du député.
Bilan de la XVe législature : méthodologie
Il est enfin possible de faire un bilan chiffré des collaborateurs parlementaires à l’Assemblée nationale. Voici quelle a été la méthodologie. À intervalles réguliers, des captures de tous les collaborateurs parlementaires de l’ensemble des députés ont été réalisées. Le point de départ a été le 21 juillet 2017. La dernière capture a été faite le 16 mai 2022. Ces captures ont été hebdomadaires, sauf pendant les périodes où les travaux de l’Assemblée nationale ont été suspendus, en été.
Les captures hebdomadaires ont été préférées à l’analyse des logs monitorant les changements. Tout d’abord, l’expérience a montré qu’il pouvait y avoir des faux positifs ou des erreurs techniques. Par ailleurs, les outils de monitoring utilisés étaient différents entre le début de la XVe législature et sa fin. Le format et les données sont différents.
La donnée inconnue est la nature des contrats. Le bloc ne spécifie pas si le collaborateur parlementaire est en CDD ou en CDI, s’il est à temps complet ou à temps partiel. Les députés ne font pas encore preuve d’une grande diligence en ce qui concerne leurs déclarations d’intérêts auprès de la HATVP, il n’est pas possible de vérifier.
Comme pour le bilan des déclarations d’intérêts des députés en début de législature, les noms des députés concernés ne seront pas rendus publics. Il est inutile de les demander.
Les bons et les mauvais élèves
En tout, sur la base des relevés, 5894 collaborateurs parlementaires ont travaillé pour des députés durant la XVe législature. Si turn-over il y a — et ce seront les données de la XVIe législature qui le diront — il a été présent chez la quasi-totalité des députés.
Rares sont ceux chez qui aucun changement n’a été détecté et en regardant de plus près, on se rend compte que ce sont principalement les députés qui n’ont pas effectué un mandat entier : démission, nomination en tant que membre du Gouvernement, perte du mandat pour cause de retour dans l’hémicycle du député dont on était le suppléant, etc.
En moyenne, les députés ont eu 9 collaborateurs parlementaires durant leur mandat et la médiane est à 8.
Sur les 660 députés de toute la législature, 84 ont eu entre 1 et 4 assistants parlementaires durant tout le mandat. Dans le détail, on constate qu’il s’agit de députés qui n’ont pas effectué la totalité de leur mandat, mais aussi de députés qui n’en sont pas à leur premier mandat. On retrouve des députés, dont c’est le premier mandat et qui ne sont pas devenus ministres ou qui n’ont pas démissionné ou qui ne sont pas suppléants.
Doit-on en conclure que ces 84 députés sont forcément de bons employeurs ? Ce serait un raccourci. Une stabilité dans une équipe ne signifie pas une absence de difficultés.
La majeure partie des députés ont eu entre 5 et 10 collaborateurs parlementaires différents durant leur mandat. Ils sont 395 dans ce cas de figure et on retrouve tous les types de profils : des primodéputés comme des députés plus aguerris, des jeunes députés comme des députés plus âgés, des hommes et des femmes, des membres de la majorité et de l’opposition, issus de territoires ruraux comme urbains, de France métropolitaine comme de l’outremer ou des Français de l’étranger.
On peut considérer qu’il s’agit de la norme de cette législature.
159 députés ont eu entre 11 et 19 collaborateurs parlementaires durant tout leur mandat. La liste des noms fait apparaître un profil spécifique. Ce sont les députés qui ont des responsabilités, soit à l’Assemblée nationale, soit dans leurs partis. Ils ont des fonctions de porte-paroles, ils ont été rapporteurs de texte, ils ont présidé une instance à l’Assemblée nationale, ils sont très présents dans les médias, etc. Il y a une certaine logique à ce qu’ils aient plus de collaborateurs que les autres. Certains collaborateurs sont embauchés en CDD, justement pour un surcroit de travail temporaire, par exemple, lorsque le député prend la présidence d’une instance temporaire ou en est rapporteur.
Plus un député est occupé, plus il a de collaborateurs parlementaires, même si l’enveloppe de la rémunération n’est pas extensible. C’est d’ailleurs une des raisons qui font les collaborateurs parlementaires préfèrent s’en aller.
La charge de travail n’est pas en adéquation avec la grille salariale. Pour un député qui travaille 70 h/semaine, il y a une équipe derrière lui. Mais un député qui a 5 collaborateurs parlementaires ne pourra les payer à peine plus que le SMIC.
Dans ces 159 députés, il y a des noms qui ont été révélés par la presse, notamment pour des affaires de harcèlement. Évidemment, avoir eu entre 11 et 19 collaborateurs ne signifie pas automatiquement qu’ils ont été mal rétribués ou qu’ils ont été maltraités. Mais cela pose des questions sur l’ambiance générale de travail.
Enfin, il y a les 23 députés qui ont eu entre 20 et 29 collaborateurs parlementaires durant leur mandat. Sur ces 23 personnes, certaines avaient des responsabilités chronophages, qui permettent d’expliquer en toute objectivité, pourquoi il y a eu un tel nombre de changements. Il faut également savoir que les députés qui ont des responsabilités spécifiques à l’Assemblée nationale peuvent obtenir des moyens supplémentaires, notamment pour la rémunération des collaborateurs parlementaires.
Mais, il y a également des députés pour lesquels il subsiste des interrogations. Durant leur mandat, ils n’ont jamais obtenu de présidence de commission permanente ou de commission d’enquête ou toute autre instance temporaire. Ce ne sont pas des députés médiatiques. Ils ne sont pas élus dans des circonscriptions à géographie particulière (cas des outremers).
Dans cette liste de 23 personnes, il y a des noms qui ne sont pas totalement inconnus. Ils sont sortis dans la presse, notamment pour faire état de difficultés relationnelles. Là encore, des précautions sont de mises. Mais la question demeure : qu’est-ce qui a justifié que chez certains députés, plus d’une vingtaine de collaborateurs parlementaires différents se soient succédé ?
L’absence de contrôle
Qui peut donner l’alerte ? C’est toute la question. Si les collaborateurs parlementaires ne souhaitent pas faire état des difficultés qu’ils rencontrent avec leur député employeur, il n’y a pas de recours. Les collaborateurs et les députés peuvent signer une rupture conventionnelle, afin de mettre un terme à leur relation contractuelle.
Quant aux syndicats, s’ils ne sont pas alertés par les collaborateurs parlementaires, ils ne peuvent pas agir.
Le déontologue de l’Assemblée nationale ne peut pas non plus intervenir en amont, pour signaler un grand turn-over chez un député. Ce n’est pas son rôle et il n’est pas non plus dit qu’il dispose de toutes les informations nécessaires.
Peut-être que la nouvelle législature permettra aux nouveaux venus de se doter de nouveaux outils.