Les députés, toujours accros au caviardage de Wikipédia

Les députés n'ont pas encore compris le concept de Wikipédia
Les députés n'ont pas encore compris le concept de Wikipédia

Tout le monde le sait : avoir sa fiche sur Wikipédia est un honneur et si cela permet d’avoir une bonne réputation, c’est encore mieux. Les députés l’ont bien compris, d’autant qu’en tant que personnalités politiques de premier plan, ils sont inclus d’office dans l’encyclopédie dès leur arrivée au Palais Bourbon. 

Les fiches sont disparates de l’une à l’autre. Certaines semblent s’étaler à l’infini, tandis que d’autres comportent quelques informations de base. Comment faire pour tirer son épingle du jeu, quand personne ne vous connaît en dehors de votre circonscription ? 

Oubliant totalement l’objectif premier de Wikipédia — à savoir être une encyclopédie en ligne — certains politiques n’hésitent pas à enrichir eux-mêmes leurs biographies ou à demander à leurs collaborateurs parlementaires de le faire. Mais, manquant de discernement ou de culture numérique, ils ont tendance à utiliser les ressources de l’Assemblée nationale ou du Sénat pour le faire. Conséquence : les patrouilleurs de Wikipédia les détectent assez rapidement, même en cas d’utilisation de proxies. Mal leur en a pris : ils n’ont pas échappé à la sagacité des vigies de Wikipédia ni à leur ironie

Nous avons posé des questions à Jules*, contributeur et administrateur de Wikipédia « Les IP de l’Assemblée nationale et Sénat sont effectivement détectées via les WHOIS. Je ne sais pas si des patrouilleurs surveillent spécifiquement leurs contributions : on a des contributeurs spécialisés en politique française qui surveillent de toute manière les articles des parlementaires, et quand on voit des modifications problématiques sous IP, c’est un réflexe d’aller voir le WHOIS. Notez qu’ici, il y a usage d’un proxy, ce qui fait que le rattachement des IP à l’Assemblée nationale n’est pas visible : il a fallu une vérification d’adresses IP pour le découvrir ».

Voilà pour les aspects techniques, mais, comment faire le tri en ce qui relève du bavardage laudateur sans intérêt et les véritables éléments d’une personnalité politique ? « Un chercheur cherche et publie dans des revues, un maçon maçonne et un parlementaire participe à des commissions et des rapports. On ne considère pas par défaut que ce soit pertinent d’en parler sur Wikipédia. Pour déterminer ce qui l’est, on s’appuie sur les sources secondaires de qualité (notamment la presse), si possible centrées sur le sujet. Ça permet de voir ce qui ressort comme notable dans la biographie ou la carrière du député, et ce qui à l’inverse relève de l’ordinaire, même si les députés aiment montrer, dans leur communication publique, à quel point ils sont actifs, à la fois à l’Assemblée nationale et dans leur circonscription ».

Relevons également avec une pointe de sarcasme qu’une fiche Wikipédia coûte toujours moins cher à alimenter qu’une lettre d’information envoyée aux habitants d’une circonscription. Les exemples relevés par Jules* dans son fil sont très amusants

Tous les partis ou groupes parlementaires sont-ils concernés par cette pratique ? « J’ai déjà vu des caviardages chez à peu près tous les partis (sauf peut-être les petits, par exemple le NPA). Il y a en revanche une nette prédominance des modifications sur les députés LREM [NDLR Renaissance], qui semble supérieure à leur poids dans l’hémicycle, c’est d’ailleurs visible sur les deux IP que j’ai mentionnées aujourd’hui ». Néanmoins, Jules* précise qu’on est sur des techniques presque artisanales : « j’ai l’impression que les parlementaires “de base” se contentent de modifier Wikipédia eux-mêmes ou, plus souvent, demandent à leurs collaborateurs, à leurs proches. Ça reste assez amateur (et généralement maladroit). Recourir à une agence, c’est le niveau au-dessus, et je ne me souviens pas d’exemple de parlementaires qui y aient eu recours — ce qui ne veut pas dire que ça n’a jamais existé ».

L'absence supposée de recours à des agences de communication peut s'expliquer par le montant de l'enveloppe d'avances de frais de mandat. Il n'est pas interdit de l'utiliser pour des opérations de communication, bien au contraire. Néanmoins, elle sert aussi à payer d'autres frais, comme la permanence en circonscription, l'électricité — qui a encore augmenté — les frais postaux, etc. Il ne reste pas grand-chose à la fin du mois, du moins, pas assez pour couvrir les frais d'une agence de communication, surtout si elle a recours à du caviardage Wikipédia. 

Est-ce dire qu’un député ou un collaborateur ne peut pas modifier une fiche qui le concerne ? Jules* rappelle que « les contributions en conflit d’intérêts sont vivement déconseillées ». Quant à la question spécifique des collaborateurs ou des agences de communication, « les contributions rémunérées (c’est le cas des modifications faites par des collaborateurs parlementaires) doivent obligatoirement être déclarées ».

À bon entendeur pour les députés et les sénateurs.