Obstruction parlementaire : le cas d’école du projet de loi de finances pour 2023

Les amendements par groupe parlementaire sur le PFL 2023
Les amendements par groupe parlementaire sur le PFL 2023

C’est une petite musique qui monte dans les médias : le projet de loi de finances pour 2023 serait victime d’une obstruction parlementaire. Sur le banc des accusés : l’intergroupe parlementaire NUPES, en particulier, le groupe de La France Insoumise. 

Des mots sur les maux

Que signifie l’expression « obstruction parlementaire » ? Nous reprendrons la définition du lexique de science politique — 4e édition – « manœuvre par laquelle des parlementaires usent de tous les moyens à leur disposition pour retarder l’adoption d’une loi voire si possible, y faire obstacle ». Quels sont ces moyens ? Les motions de procédure — de rejet préalable ou de renvoi en commission — la multiplication des scrutins publics, le dépôt des amendements, les rappels au règlement et les suspensions de séance. Cet ensemble permet de prolonger les débats et sont autant d’armes mises à la disposition des parlementaires. Il existe des différences entre l’Assemblée nationale et le Sénat, mais les éléments énoncés sont les lignes générales. 

Face à cela, le Gouvernement n’est pas sans outil pour riposter : temps législatif programmé, procédure accélérée, vote bloqué et bien évidemment, le désormais très célèbre article 49 alinéa 3. Par ailleurs, si par le passé, les services de l’Assemblée nationale faisaient preuve d’une grande souplesse sur la recevabilité des amendements, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le couperet de l’article 40, sur la recevabilité financière des amendements, tombe presque systématiquement. 

Des précédents instructifs

Dans le cadre de l’examen en séance publique du projet de loi de finances pour 2023, la liasse d’amendements dénombre 6329 amendements déposés. Elle prend en compte l’ensemble des amendements déposés, ce qui explique pourquoi le chiffre indiqué sur le site de l’Assemblée nationale — 3417 — ne correspond pas aux 6329 lignes des fichiers. 

En 2017, pour le projet de loi de finances pour 2018, les députés avaient déposé 1253 amendements sur la première partie, en première lecture. En 2018, pour le projet de loi de finances pour 2019, 2407 amendements. En 2019, pour le projet de loi de finances pour 2020, 2928 amendements. En 2020, pour le projet de loi de finances pour 2021, 2983 amendements. Enfin, en 2021, pour le projet de loi de finances pour 2022, 2058 amendements ont été déposés

Mais, les projets de loi de finances de la XVe législature font pâle figure à côté du projet de loi de réforme des retraites et ses 40 572 amendements. Ce cas particulier mis à part, le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire en première lecture et séance publique, a donné lieu à 866 amendements. Le projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire a généré 1198 amendements. Le projet de loi confortant le respect des principes de la République compte 2728 amendements. Quant au projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, il compte 7327 amendements pour la séance publique. Les 3417 amendements du projet de loi de finances pour 2023 sont quasiment dans la moyenne haute, mais ce n’est pas un chiffre exceptionnel. On notera que sur ces 3417 amendements, 487 ont été jugés irrecevables. 

Des chiffres et des faits

La majorité présidentielle, par la voix de ses députés, accuse l’intergroupe de la NUPES, en particulier, La France Insoumise de faire de l’obstruction parlementaire, par le dépôt des amendements. Est-ce vrai ? Les données en open-data de l’Assemblée nationale donnent la réponse à cette question. Deux jeux sont fournis : les données « simplifiées » et un fichier plus complet en XML ou JSON

Dans la mesure où ce sont les 3417 amendements de la séance publique qui sont qualifiés d’obstruction parlementaire, il ne sera gardé que les 3417 amendements. Après examen, il s’avère qu’un tiers des amendements déposés proviennent uniquement des députés du groupe Les Républicains. 

La répartition par groupe des amendements au PLF 2023

La répartition par groupe des amendements au PLF 2023

Tableau de la répartition des groupes des amendements au PLF 2023

Tableau de la répartition des groupes des amendements au PLF 2023

 

Si on s’amuse à classer les groupes, on peut retenir trois grandes tendances : l’intergroupe parlementaire NUPES, l’opposition à la majorité présidentielle et la majorité présidentielle. La NUPES est composée du groupe de La France Insoumise, du groupe socialiste, du groupe écologiste et du groupe communiste (GDR).

Répartition des amendements par catégories politiques

Répartition des amendements par catégories politiques

L’opposition, hors NUPES, à la majorité présidentielle est constituée du groupe Les Républicains, du Rassemblement national et par facilité, du groupe LIOT et des non-inscrits. Enfin, dans la majorité présidentielle, on inclut Renaissance, MoDem et Horizons. Par facilité, le rapporteur général du budget est compté dans la majorité présidentielle, de même que les amendements du Gouvernement. Le président de la commission des finances est dans la NUPES. Même assemblés tous ensemble, ce n’est pas la NUPES qui a déposé le plus d’amendements, mais les oppositions à la majorité présidentielle. Détail amusant : dans son ensemble, la majorité présidentielle et la NUPES ont déposé quasiment le même nombre d’amendements. 

Tableau des amendements par catégories politiques

Tableau des amendements par catégories politiques

Enfin, si on regarde par député, toujours en ne gardant que les amendements pour la séance publique, sur les dix plus gros signataires d’amendements, on retrouve cinq députés LR. 

Les auteurs d'amendements au PLF 2023 - Top 10

Les auteurs d'amendements au PLF 2023 - Top 10

Les scrutins

Concernant les scrutins, il faut garder en tête que l’examen en séance publique n’est pas achevé et que ces données sont parcellaires. Là encore, ce sont les données fournies par l’Assemblée nationale qui ont été utilisées. Les scrutins sont demandés par les présidents de groupe. Sur les 71 demandes de scrutins publics — motion de rejet comprise — 32 ont été demandés par le groupe Rassemblement national. Neuf l’ont été par les Républicains, à égalité avec LIOT. Cinq ont été effectués par la présidente de séance — pour éviter les erreurs. 

Les scrutins demandés lors du PLF 2023 - Données au 16 octobre 2023

Les scrutins demandés lors du PLF 2023 - Données au 16 octobre 2023

Le tableau des scrutins demandés lors du PLF2023 - Données au 16 octobre 2022

Le tableau des scrutins demandés lors du PLF2023 - Données au 16 octobre 2022

À la lumière de ces éléments, exclusivement issus des données de l’Assemblée nationale, peut-on dire que la NUPES, en particulier La France Insoumise, fait de l’obstruction parlementaire sur le projet de loi de finances pour 2023 ? Non.   

Si tant est qu’on veuille absolument parler d’obstruction parlementaire dans ce cas précis — ce qui serait faire preuve d’une certaine malhonnêteté intellectuelle — elle serait à chercher du côté de la droite de l’hémicycle.