Perte de siège et jurisprudence électorale
Le Conseil Constitutionnel a publié une série de décisions concernant les élections législatives de juin 2022. Trois députés perdent leur siège.
La guerre des investitures
On s’en souvient : les investitures LREM, devenu Renaissance, avaient donné lieu à des actes de dissidences chez les candidats, notamment les candidats qui étaient députés sortants. On pense évidemment à la jurisprudence Vojetta, privé d’investiture au profit de Manuel Valls, avec le succès que l’on connaît. Mais, cela fut également le cas d’autres députés.
Qu’à cela ne tienne : ils ont fait campagne et fait apposer sur leurs tracts, bulletins de vote ou affiches, des mentions ou des éléments laissant comprendre qu’ils avaient le soutien d’Emmanuel Macron. Toute la question pour le Conseil Constitutionnel était de savoir si cette guerre d’investiture était de nature à altérer la sincérité du scrutin.
La réponse est classique : seulement quand l’écart de voix entre le candidat officiel et le candidat dissident est trop faible. C’est le cas pour la deuxième circonscription de la Marne et cela a pour conséquence d’annuler l’élection d’Anne-Sophie Frigout, député Rassemblement national. C’est pour cela que l’élection n’a pas été annulée dans la troisième circonscription de la Marne ni dans la troisième circonscription du Calvados. Par ailleurs, les sages de la rue Montpensier ont bien indiqué dans la décision relative à la dixième circonscription de Seine-et-Marne qu’ils ne leur appartenaient pas de s’immiscer dans la vie interne des partis politiques. Enfin, dans la décision de la quatrième circonscription de l’Ain, ils ont aussi souligné que les communiqués de presse des partis politiques, annonçant les candidats officiels, avaient été suffisamment relayés pour qu’il n’y ait pas de doute entre « candidat officiel » et « candidat dissident ».
Numérique et propagande
Sur les moyens de propagande, la jurisprudence est aussi très classique. On est toujours sur la même question, à savoir : est-ce qu’une action a eu une telle influence que les écarts de voix sont infimes ? Dans la quatrième circonscription de la Sarthe, Sylvie Tolmont, député sous la XVe législature, avait publié un post sur Facebook, appelant à faire barrage au Rassemblement national. Le Conseil Constitutionnel relève bien le caractère illicite, mais ajoute « il ne résulte toutefois pas de l’instruction que la diffusion de ce message de portée générale, dont il n’apparaît pas qu’elle ait eu un caractère massif, ait été de nature, pour regrettable qu’elle soit, à altérer la sincérité du scrutin. »
Même remarque pour Maxime Minot et sa voiture personnalisée : c’est une irrégularité, mais « il résulte de l’instruction que cette irrégularité n’a pas revêtu un caractère massif, prolongé ou répété et, compte tenu du nombre de voix obtenues par chacun des candidats, n’a pu dès lors altérer la sincérité du scrutin ».
Même chose pour la dixième circonscription de Seine-et-Marne concernant des tweets et des messages sur Facebook. Au-delà de la confirmation jurisprudentielle, cela montre que les réseaux sociaux n’ont pas forcément la portée électorale qu’on leur prête. Cela reste un outil comme un autre.
Ricochet
La perte du siège en raison d’éléments extérieurs à un candidat n’est pas une nouveauté. Lamia El Aaraje avait perdu son siège, non pas en raison de manquements qu’elle aurait commis, mais parce qu’un autre candidat n’avait pas fait preuve de sincérité. C’est exactement ce qui arrive à Anne-Sophie Frigout.
Le cas de Bertrand Petit, qui perd également son siège, est aussi une perte par ricochet. Son suppléant est en position « éligible » au Sénat si Mme Cathy Apourceau-Poly quitte avant l’heure son siège de sénatrice.
Quant à Thomas Mesnier, il est fait état d’irrégularités dans les bulletins de vote et du trop faible écart de voix. Ces trois députés perdent leurs sièges dès la publication des décisions au Journal officiel. Ils n’auront plus accès aux moyens matériels de l’Assemblée et les contrats de leurs collaborateurs parlementaires seront résiliés. Qu’en sera-t-il de leur allocation chômage ? En effet, a priori, ils peuvent être couverts, mais ont-ils assez cotisé ? Ce cas n’est pas décrit sur les fiches de synthèses mises en ligne sur le site de l’Assemblée nationale et cette couverture sociale est intervenue après l’épuisement du contentieux électoral de la XVe législature.
Anne-Sophie Frigout et Thomas Mesnier ont fait savoir qu’ils étaient candidats à leur réélection. Pour Mme Frigout et M. Petit, cela signifie la découverte du statut de PPE — personne politiquement exposée — ce qu’ils n’étaient pas il y a six mois. Enfin, dernière conséquence par ricochet : leurs déclarations d’intérêts et de patrimoine. En effet, elles auraient dû être rendues publiques en janvier 2023. N’étant plus députés, leurs déclarations resteront dans les tiroirs de la HATVP.
Il reste 24 décisions en attente du Conseil Constitutionnel.