Peut-on mesurer les tensions à l’Assemblée nationale ? Ce que disent les comptes rendus
Entre habitués de la salle des quatre colonnes — salle où les journalistes peuvent interpeller les députés — tout le monde s’est mis d’accord pour dire que la législature actuelle et la précédente sont assez inédites sur le plan des tensions. Que l’atmosphère est plus électrique et plus tendue. Mais, cela peut-il se vérifier ?
Le rappel au règlement : l’arme magique des députés
Pour exprimer un mécontentement, le député peut faire un rappel au règlement. Il y a deux articles qui le permettent : l’article 70 alinéa 3 pour mise en cause personnelle ou l’article 100 sur la bonne tenue des débats.
Le premier est utilisé quand un député se sent insulté par un collègue. Le second est plus général.
Pour se signaler, les députés lèvent la main et tiennent généralement un exemplaire du règlement de l’Assemblée nationale afin de montrer à la personne qui préside qu’ils souhaitent faire un rappel au règlement. Cela permet de faire la distinction, à l’œil depuis le perchoir, entre un député qui veut prendre la parole pour discuter du texte en cours et celui qui veut exprimer un mécontentement.
En effet, le rappel au règlement est dit de droit : sauf à ce qu’il ne s’agisse pas réellement d’un rappel au règlement, le président de séance interrompt la discussion en cours et doit donner la parole au député. S’il ne s’agit pas d’un véritable rappel au règlement, le président de séance peut couper le micro.
La XVIe législature : un nombre de rappels au règlement conséquent
Malheureusement, les débats de la XIVe (2012-2017) législature n’ont pas été mis en open-data. Néanmoins, on peut analyser les comptes rendus de séance de la XVe (2017-2022), XVIe (2022-2024) et XVIIe (2024 - ?) législatures.
C’est la XVIe législature qui détient un record de rappels au règlement. En effet, il y en a eu 1120. La XVe en compte 1526. Pourquoi dire que la XVIe détient le record ? Parce qu’elle n’a que deux ans d’existence alors que la XVe a duré cinq ans.
On voit aussi le changement de « doctrine » dans les rappels au règlement entre la XVe législature et la XVIe. La XVe législature signe la double victoire politique et électorale d’Emmanuel Macron et l’arrivée de députés LREM totalement néophytes et non formés à la joute parlementaire. Ils ne savent pas riposter en séance publique.
La XVe législature : l’opposition en tête des rappels au règlement
Qui détient le record du nombre de rappels au règlement sous la XVe législature ? Sébastien Jumel, du groupe GDR (communiste) avec 74 rappels au règlement sur cinq ans.
Il est suivi par Ugo Bernalicis (LFI), qui en comptabilise 68 et d’Emmanuelle Ménard (non inscrite) avec 53. Il faut dérouler la liste — par ordre décroissant — jusqu’à la 37ᵉ place pour trouver quelqu’un de la majorité.
Il s’agit de Gilles Le Gendre, président du groupe LREM qui a procédé à onze rappels au règlement durant la XVe législature.
La XVIe législature : le camp présidentiel se rebiffe
En 2022, la majorité présidentielle perd des plumes aux élections législatives. L’Assemblée nationale passe en majorité relative et Sylvain Maillard prend la tête du groupe. On sent qu’il y a eu un changement de politique interne, visant à rendre les coups portés en séance.
C’est donc Sylvain Maillard qui comptabilise le plus de rappels au règlement avec 43 sur deux ans. Il est suivi de près par Arthur Delaporte (PS) qui en totalise 41 et Antoine Léaument (LFI) avec 37. Notons que Sébastien Jumel était bien parti pour garder sa place de premier. En deux ans, il avait déjà 36 rappels au règlement à son actif et Ugo Bernalicis, 30. Emmanuelle Ménard n’a pas été réélue.
La XVIIe législature : bien partie pour être aussi agitée
Le décompte de la XVIIe législature a été bien plus rapide à effectuer. Pour le moment, il n’y a eu « que » 120 rappels au règlement. La première place est occupée par deux personnes : Jérôme Guedj (PS) et Pierre Cazeneuve (EPR).
Sébastien Jumel n’a pas été réélu. Ugo Bernalicis n’en a fait qu’un seul.
Les statistiques de présence, jamais très loin dans l’esprit des députés
D'ici à quelques semaines, les députés vont voir fleurir dans la presse quotidienne régionale, les classements des députés actifs ou non. Ces classements se font sur la base de métriques, qui sont parcellaires puisque tout n’est pas quantifiable et que le travail en circonscription n’y est jamais représenté.
Pour améliorer les statistiques, la « bonne » méthode consiste à se faire entendre en hémicycle : il suffit d’une phrase de trois mots pour qu’elle soit dans le compte rendu de séance. Les rappels au règlement sont aussi une façon d’être dans le compte rendu.
Ainsi, Laurent Wauquiez a déjà cinq rappels au règlement à son actif. Pourtant, on ne peut pas dire qu’on l’ait beaucoup vu aux séances publiques lors des examens des textes budgétaires, au point qu’il a récolté le surnom de « Monsieur 6 % ». Les 6 % sont son taux de participation aux scrutins publics de l’Assemblée nationale. En ayant fait des rappels au règlement, il va pouvoir habilement remonter ses statistiques, qui ne sont pas flamboyantes.
Boîte noire
Les comptes rendus au format XML de l’Assemblée nationale ont été analysés avec un script Python. Le nettoyage a ensuite été fait à la main. Pour les comptes rendus de la XVIIe législature, le décompte s’arrête au mercredi 13 novembre 2024, à la 46ᵉ séance.
Le taux de participation de Laurent Wauquiez est précisément de 6,59 %. D’après les données open-data de l’Assemblée nationale, il a participé à trente scrutins sur 455.