PJL Immigration : le flou artistique
C’est la dernière étape parlementaire qui se profile pour le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration.
Résumé des épisodes précédents : saisi en premier, le Sénat avait accouché d’un texte très à droite, supprimant au passage l’Aide Médicale d’État pour la transformer en Aide Médicale d’Urgence. Devant ce texte, les membres de la majorité présidentielle avaient indiqué refuser de le voter en l’état et l’avaient ajusté en commission des lois.
Le texte aurait normalement dû être débattu en séance publique pendant deux bonnes semaines. Des séances avaient même été programmées pour le week-end du 16 et 17 décembre 2023. 2621 amendements avaient été enregistrés. Mais, des motions de rejet préalable avaient été déposées. Conformément au Règlement de l’Assemblée nationale, lorsqu’il y a plusieurs motions de rejet préalable du texte, on procède par tirage au sort. C’est celle du groupe écologiste qui a donc été examinée.
À la surprise générale, elle a été adoptée. Dès lors, le Parlement a navigué dans un flou. Que faire du texte ? Le retirer ? Le faire examiner en commission mixte paritaire (CMP) ? Proposer la version du Sénat ? Partir cueillir des champignons ? C’est l’option CMP qui a été choisie, mais il a fallu attendre vendredi pour que la composition ferme et définitive soit publiée. Sans surprise, la CMP penchait clairement à droite et à l’extrême-droite.
En effet, une CMP doit respecter les couleurs politiques du Parlement. Or, c’est bien la droite et l’extrême-droite qui dominent, ni la majorité présidentielle ni la gauche.
La CMP devait commencer à travailler hier, mais les atermoiements des Républicains ont retardé les travaux. Initialement convoquée pour 15 h, la CMP ne s’est réellement mise au travail qu’à 21 h. Elle a suspendu ses travaux vers minuit et a repris ce matin.
Peu de temps avant les Questions au Gouvernement (QAG), on a appris que la CMP allait sur sa fin et c’est pendant les QAG que le verdict est tombé : CMP conclusive. Cela signifie que les députés et les sénateurs sont parvenus à un accord sur le texte final.
Justement : que comporte le texte final ? On ne le sait pas. À l’heure où ces lignes sont écrites — approximativement 17 h — le texte final n’est pas en ligne. En théorie, les députés doivent le voter aujourd’hui, à 21 h 30 d’après nos informations. Sur un texte qu’ils ne connaissent pas, vu qu’ils n’étaient pas en CMP. Cette dernière ne comporte que sept députés et sept sénateurs. Rappelons également que la CMP n’est pas publique : on ne peut donc pas s’installer devant son écran et prendre des notes pour avoir une idée de ce que contient le texte.
Quand bien même le texte serait disponible dans les prochaines minutes, les députés auront moins de cinq heures pour le voter. Quant aux citoyens, ils ne sont pas convoqués. Pour le moment, à notre connaissance, ce point n’a jamais été soulevé devant le Conseil Constitutionnel. Pourtant, comment voter sur un texte qu’on n’a matériellement pas eu le temps d’examiner en détail ? Et ce n'est pas la première fois que cela arrive.
Évidemment, des versions fuitées chez nos confrères circulent déjà. Mais, comme toujours, auprès de rédactions soigneusement sélectionnées et choisies. Tout le monde n’a pas les honneurs des fuites parlementaires.
Le Rassemblement National a indiqué que le groupe voterait le texte, signe que la version sortie de la CMP lui convient parfaitement. On sait que les groupes de gauche ne le voteront pas. Ayant tout obtenu, le groupe des Républicains le votera. Ses membres n’hésitent pas à parler de « texte des Républicains ».
La question est : combien de défections dans la majorité présidentielle ? Et surtout : de quel type ?
En effet, certains députés ont fait savoir qu’ils ne voteraient pas le texte. Mais, on ne doit pas comprendre cela comme « je vote contre ». Il est probable que les députés de la majorité présidentielle se contentent de s’abstenir. Le texte sera vraisemblablement adopté ce soir, malgré la motion de rejet qui serait présentée. Toujours d’après nos informations, plusieurs motions de rejet préalable auraient été déposées à l’encontre du texte issu de la CMP.
Il est curieux de voir qu’un Président de la République — qui n’a pas hésité à s’immiscer dans le texte — qui a été élu pour faire barrage à l’extrême-droite, se retrouve en situation de dépendance envers cette dernière. Encore récemment, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin disait « si on ne vote pas ce texte, on se retrouve avec Marine Le Pen à l’Élysée ». Ainsi, pour « empêcher » un vote qui aura lieu dans trois ans et demi, on donne un blanc-seing à son parti.
La vie parlementaire est pleine de surprises. La prochaine étape sera donc ce mardi 19 décembre 2023, à 21 h 30, en séance publique à l’Assemblée nationale.
Mise à jour du 19 décembre 2023 à 17 h 33 : le texte de la CMP est en ligne.
On nous apprend aussi que LCP fera la diffusion ce soir.
Mise à jour du 19 décembre 2023 à 23 h 40 : le texte a été adopté par les deux chambres. Le détail du scrutin de l'Assemblée national est disponible ici. Vingt députés Renaissance ont voté contre le texte et 17 se sont abstenus. Cinq députés Modem ont voté contre le texte et 15 se sont abstenus. Deux députés Horizons ont voté contre. Huit députés LIOT ont voté contre, cinq se sont abstenus.
Le scrutin public du Sénat est disponible ici. Le texte va être transmis au Conseil Constitutionnel.