Probité au Gouvernement - Synthèse

Probité - Gouvernement 2017 - 2020

 


Vous pouvez télécharger la note au format PDF. Remerciements à Marjolaine Koch pour sa relecture.


C’est peu dire que la nomination à la place Beauvau de Gérald Darmanin a suscité quelques interrogations. Au-delà de l’affaire concernant l’actuel ministre de l’Intérieur, c’est surtout la place accordée à la probité des responsables publics qui pose question.

À l’heure où il est question que François Bayrou retrouve des responsabilités nationales, faisons un retour sur les nominations gouvernementales depuis le début du quinquennat.

Loi pour la confiance : un symbole

Avant même d’être élu Président de la République, Emmanuel Macron avait passé un marché avec François Bayrou. Ce dernier apporterait son soutien au candidat s’il faisait adopter une série de lois portant notamment sur la question de la probité dans la vie publique. L’alliance fut conclue, le MoDem est devenu un allié de la République En Marche. Élu Président de la République, Emmanuel Macron accorde la place Vendôme à François Bayrou. À lui de faire voter la première loi du quinquennat, celle qui s’appellera finalement loi dans la confiance dans la vie publique. Il prend ses fonctions le 17 mai 2017.

Le 9 juin 2017, le parquet de Paris ouvre une enquête préliminaire pour abus de confiance et recel d’abus de confiance. Sylvie Goulard quitte le Gouvernement à sa demande, forçant presque mécaniquement les autres membres du MoDem, mis en cause dans l’affaire des assistants parlementaires, à quitter le Gouvernement. Le 21 juin 2017, François Bayrou n’est plus ministre. Depuis, François Bayrou a été mis en examen pour complicité de détournement de fonds publics. À ce jour, une douzaine de membres du MoDem sont mis en examen dont Sylvie Goulard, actuelle vice-gouverneure de la Banque de France, Marielle de Sarnez, député et présidente de la commission de la défense à l’Assemblée nationale et Michel Mercier.

L’honneur était sauf : les membres du Gouvernement mis en cause — pas encore mis en examen — dans une affaire étaient sortis du Gouvernement et la loi pour la confiance avait été votée sans trop de difficultés. Autre sacrifié : Richard Ferrand, rattrapé par l’affaire des Mutuelles de Bretagne.

À ce moment-là, le message semblait assez clair : un soupçon peut entraîner une démission « encouragée » du Gouvernement. Pourtant, déjà à l’époque, une différence de régime se dessinait.

Havas, Business France et Muriel Pénicaud

Muriel Pénicaud, déjà membre du Gouvernement dès le 17 mai 2017, est reconduite dans ses fonctions le 21 juin 2017. On aurait pu s’attendre à ce qu’elle subisse le même sort que Richard Ferrand, François Bayrou, Sylvie Goulard et Marielle de Sarnez. Elle échappe au sacrifice gouvernemental et reste ministre du Travail. Pourtant, elle est déjà mise en cause dans l’affaire Business France. À l’époque à la tête de l’agence publique, elle organise un déplacement du futur Président de la République — à l’époque ministre de l’Économie à Las Vegas — mais sans appel d’offre. Elle attribue le marché à l’agence Havas. Convoquée le 22 mai 2018, elle est placée sous le statut de témoin assisté et en décembre de la même année, selon Le Monde « elle a assuré ne plus être “concernée” par ce dossier et fait valoir que les juges n’avaient jamais envisagé sa mise en examen».

Dès 2017, on aurait pu s’interroger : pourquoi les membres du MoDem mis en cause dans une affaire sont « démissionnés », mais pas la ministre du Travail, d’autant que cette affaire avait été évoquée avant l’élection du Président de la République ? Politiquement, Muriel Pénicaud ne pesait rien. Venant de la société civile, elle était largement sacrifiable. À l’inverse, au début du quinquennat, le MoDem était un allié indispensable.

Cette incongruité n’avait pas été soulignée à l’époque, pourtant, c’était le signe qu’il y avait bien deux régimes. D’un côté, des ministres mis en cause que l’on peut sacrifier et ceux que l’on souhaite garder pour des raisons diverses.

L’interrogation Flessel

Nommée dès le 17 mai 2017, Laura Flessel hérite du portefeuille des sports et sera confirmée le 21 juin 2017. Elle sera gentiment sortie du Gouvernement le 4 septembre 2018. Officiellement, ce départ se fait pour raisons personnelles, mais d’après le Canard Enchaîné et Mediapart, le fisc aurait saisi la Commission des infractions fiscales de Bercy en vue d’une possible plainte pénale pour fraude.

Toujours selon Mediapart, « les découvertes du fisc ont eu lieu dans le cadre des vérifications réalisées, sous l’autorité de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), sur la situation fiscale des membres entrant au gouvernement ». Ce qui soulève une interrogation : pourquoi a-t-il fallu plus d’un an pour que de potentielles irrégularités soient soulevées ? À ce jour, l’ancienne championne ne ferait pas l’objet de poursuite ni de mise en examen et son entourage maintient que son départ est le fait de raisons personnelles.

Une autre personne aurait pu être sur le départ à ce moment-là, mais a été maintenue : Françoise Nyssen.

Françoise Nyssen et Actes Sud

Avant de devenir ministre de la Culture, Françoise Nyssen était à la tête d’Actes Sud, une maison d’édition, et c’est dans le cadre de ses anciennes fonctions que le Canard Enchaîné s’est intéressé à son cas. En juin 2018, l’hebdomadaire satirique publie des révélations sur des travaux qui auraient été déclarés avec six ans de retard.

En juillet 2018, la ministre se voit retirer ses prérogatives en matière de régulation économique du secteur du livre. Soit un an après sa prise de fonction, alors que son conjoint a pris la tête de la maison d’édition et que l’entreprise a reçu une subvention du Centre National du Livre.

Le dernier acte se déroulera en août 2018 avec l’ouverture d’une enquête préliminaire concernant des travaux d’agrandissement. Elle n’est pas mise en examen et Benjamin Griveaux, en tant que porte-parole du Gouvernement, déclarera « le président de la République s’est engagé sur l’exemplarité ». L’été a pourtant été meurtrier pour le Président de la République qui a dû affronter la tempête Benalla et l’affaire Kohler.

Ce n’est que le 16 octobre 2018 que Françoise Nyssen est remerciée du Gouvernement.

Les homards de la discorde

À la faveur du départ de Nicolas Hulot, François de Rugy quitte le perchoir de l’Assemblée nationale pour le ministère de la transition écologique et solidaire le 4 septembre 2018. En juillet 2019, Mediapart publie une série d’articles sur le train de vie de l’ancien président de l’Assemblée nationale. En cause, des dîners privés onéreux et des dépenses peu compatibles avec l’idée de frugalité.

Après plusieurs jours de tourmentes, il quitte le ministère. Aucune enquête n’a été ouverte, il n’a fait l’objet d’aucune mise en examen, pas même pour l’utilisation de son IRFM. En effet, il a reconnu avoir utilisé cette indemnité de frais de mandat pour régler sa cotisation à son parti, ce qui était strictement illégal à l’époque et l’est également aujourd’hui.

À ce jour, il est le seul, de tous les membres du Gouvernement depuis l’élection d’Emmanuel Macron, à avoir dû quitter ses fonctions ministérielles pour une polémique relevant de la morale et n’ayant entraîné aucune suite judiciaire.

Amnésie collective au Gouvernement

Après l’exfiltration de François de Rugy, les membres du Gouvernement n’ont pas eu l’occasion de souffler et dès la rentrée, c’est la Garde des Sceaux qui a occupé le devant de la scène. En cause ? Des oublis dans sa déclaration de patrimoine. Alors que l’on approche du premier anniversaire du mouvement des Gilets Jaunes, l’oubli de trois appartements dans la déclaration de patrimoine de celle qui est en charge de la Justice fait désordre.

Elle ne quittera pas pour autant le Gouvernement à ce moment-là et pour cause : si les oublis dans la déclaration d’intérêt ou de patrimoine avaient dû entraîner des démissions, il aurait fallu procéder à un remaniement presque complet. Marianne a comptabilisé douze membres du Gouvernement qui ont eu des trous de mémoire, pour des montants plus ou moins importants.

Dans ce contexte de grande mansuétude, aussi bien de la part de la HATVP, qui aurait tout à fait pu transmettre les cas à la justice que de la part du Président de la République et du Premier ministre, comment s’étonner de la légèreté dont a fait preuve Jean-Paul Delevoye ?

Delevoye, une retraite anticipée

Jean-Paul Delevoye entre au Gouvernement le 3 septembre 2019, en tant que haut-commissaire aux retraites. En charge du dossier explosif de la réforme des retraites, il était déjà haut-commissaire à la réforme des retraites dès le 14 septembre 2017. À ce titre, il avait déjà déposé une déclaration d’intérêts auprès de la HATVP.

Il a fallu pourtant attendre le 15 novembre 2019 pour qu’une nouvelle déclaration soit déposée, mais avec certains oublis. Ayant des intérêts dans diverses organisations, il a oublié de les spécifier, plaidant d’abord la bonne foi puis mettant en cause son épouse qui s’occuperait habituellement des tâches administratives. En tout, presque une quinzaine de mandats ont été omis ainsi que des rémunérations.

Devant la bronca, le haut-commissaire remet sa démission et le 17 décembre 2019, il est remplacé par Laurent Pietraszewski. Le 18 décembre 2019, la HATVP — qui n’avait pas du tout relevé les omissions — effectue un signalement au titre de l’article 40 du Code pénal. Le 30 juin 2020, Jean-Paul Delevoye est perquisitionné. Une enquête est confiée à l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) pour des soupçons d’abus de confiance, abus de biens sociaux et recels de ces délits.

Bilan : une ligne de conduite peu claire

En comptant Jean-Paul Delevoye, depuis mai 2017, 60 titulaires de portefeuilles ministériels se sont succédé. Sur ces 60, 36 n’ont fait l’objet d’aucune affaire. Sur les 24 membres de l’exécutif qui ont eu des démêlés concernant des affaires de probité, un seul a été sorti du Gouvernement, sans qu’aucune enquête judiciaire ne soit ouverte : François de Rugy.

Nicolas Hulot, qui avait sous-estimé son patrimoine, a claqué la porte de lui-même, à la surprise générale.

François Bayrou et Marielle de Sarnez ont quitté leurs fonctions ministérielles, parce que Sylvie Goulard est partie la première, obligeant également Richard Ferrand à s’en aller.

Françoise Nyssen a été remerciée parce qu’elle était politiquement mauvaise, mais sans qu’il y ait de lien avec l’affaire d’Actes Sud.

Muriel Pénicaud a été intégrée au Gouvernement malgré l’affaire Business France et n’a été limogée qu’en raison d’un remaniement profond.

Nicole Belloubet, Élisabeth Borne, Agnès Buzyn, Florence Parly, Nathalie Loiseau, Geneviève Darrieussecq, Julien Denormandie, Franck Riester, Marc Fesneau, Adrien Taquet, Emmanuelle Wargon, Christelle Dubos ont également eu des difficultés à remplir convenablement leurs déclarations d’intérêts ou de patrimoine.

Enfin, Olivier Dussopt est mis en cause dans une enquête préliminaire pour « corruption » et « prise illégale d’intérêts », ouverte par le parquet national financier (PNF), suite à des révélations de Mediapart. Il est ministre délégué auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, chargé des Comptes publics.

Si la ligne directrice du Président de la République consiste à garder les ministres mis en cause jusqu’à leur mise en examen, on ne peut que s’étonner du départ de François de Rugy. Il est finalement la seule « erreur » dans cette équation.

Il est évident que les personnes mises en cause ou mises en examen dans ces différentes affaires restent présumées innocentes jusqu’à ce que leur culpabilité ait été prouvée. Mais il est difficilement audible qu’un Chef de l’État qui a voulu que sa première grande loi porte sur la probité, décide de s’affranchir de certaines précautions.

Commentaires

Merci pour cette excellente synthèse.
Aussi, Il y a peut être une typo dans la dernière phrase de la première section: "Pourtant, déjà à l’époque, une différence de régime se dessiner"

Bonjour, 

merci, en effet, je viens de m'en rendre compte, c'est corrigé. 

Analyse impeccable et implacable !
Merci !

Merci :)

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