Quand le Gouvernement invente les cotisations ne donnant droit à rien

Payer pour avoir accès à ses cotisations : la loi de finances pour 2023
Payer pour avoir accès à ses cotisations : la loi de finances pour 2023

La loi de finances pour 2023 est enfin parue au Journal officiel et cette dernière comporte une mauvaise surprise pour l’ensemble des actifs : ils devront payer pour accéder à leur compte personnel de formation, compte alimenté de façon obligatoire par leur cotisation. 

Amendement Grandjean et 49 alinéa 3

La totalité ou presque du projet de loi de finances pour 2023 a été adoptée à l’Assemblée nationale par l’utilisation de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution. Cela permet au Gouvernement d’avoir la main sur le texte et d’y insérer librement ce qu’il souhaite. 
 
En décembre, le Gouvernement propose un amendement 705, avec un exposé des motifs qui ne laisse aucun doute : « Le présent amendement propose d’instaurer une participation du titulaire, quel que soit le montant de droits disponible sur son compte lorsque ce dernier les mobilise en vue de financer une action de formation, une validation des acquis de l’expérience (VAE) ou un bilan de compétences ». En clair, lorsqu’un actif souhaitera utiliser les droits acquis sur son compte personnel de formation (CPF), il devra s’acquitter d’une part du prix de la formation, quand bien même le compte serait suffisamment alimenté. 
 
Exceptions prévues à l’amendement : les demandeurs d’emploi et les salariés qui souhaiteraient une formation dans le cadre d’un projet coconstruit avec l’employeur. Ces derniers n’auront pas à payer en plus. Tous les autres devront piocher dans leurs économies personnelles. 

Le CPF : une obligation pour tous les actifs 

Il n’y a pas que les salariés du secteur privé qui cotisent pour le CPF. C’est le cas des salariés du secteur public, mais également des travailleurs indépendants (entrepreneur individuel, microentreprise). Les fonds ne sont pas à la disposition de l’actif : il ne peut pas les convertir en argent sur son compte en banque. Mais, il disposait d’une certaine liberté quant à son utilisation. 
 
Quant aux salariés, l’avantage du système résidait dans la liberté de choix. En effet, ils pouvaient parfaitement suivre une formation — par exemple en ligne — pour changer d’entreprise ou de région. Ainsi, le financement du permis de conduire a été facilité par le CPF. 
 
La refonte du système datait de 2018 avec la loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel. Avec cet amendement, matérialisé dans l’article 212 de la loi de finances pour 2023, les actifs auront moins de liberté, mais autant d’obligation. 

Moins de choix et plus de contraintes

Quelle mouche a piqué le Gouvernement pour faire un tel cadeau empoisonné aux actifs ? L’amendement indique « les pouvoirs publics ont engagé des réflexions sur des modalités de bon fonctionnement de ce dispositif afin que les formations s’inscrivent dans un projet professionnel solide et participe à la montée en compétences ou en qualification des actifs ». Mais, c’est peut-être du côté du Sénat qu’il faut regarder, avec une note d’information de juin 2022. « Le recours au CPF apparaît de moins en moins porté sur les formations répondant aux besoins de compétences des entreprises ».
 
Principal reproche : les actifs optent pour des formations qui correspondent à leurs besoins en priorité, et non, aux besoins des entreprises dans lesquelles ils sont, ce qui est logique vu que le dispositif s’intitule « compte personnel de formation ». 
 
Le dispositif coûte trop cher, donc, on fait payer deux fois les actifs pour qu’ils aient la liberté de choisir leur avenir professionnel. 

Déshabiller le CPF pour habiller l’apprentissage 

Et si la réforme du CPF avait pour objectif de remédier à deux problèmes à la fois ? Toujours dans la note d’information du Sénat, on apprend que c’est le même organisme — France Compétences — qui gère l’apprentissage et le CPF. 
 
Or, l’apprentissage est largement plébiscité et encouragé par le Gouvernement. Les entreprises qui accueillent des apprentis sont aidées par différents dispositifs très généreux, au point que la Cour des comptes a tiré la sonnette d’alarme en juin 2022. Cette dernière avait également émis quatre recommandations sur le CPF :
Instaurer un reste à charge pour les bénéficiaires, qui pourrait être modulé selon le niveau de qualification des formations choisies, voire supprimé quand les salariés recourent au préalable au CEP ;
L’arrêt du financement des formations les moins qualifiantes (permis de conduire, formations à la création d’entreprise, bilans de compétences, tests de niveau linguistique et informatique…) et qui représentent les cas les plus nombreux de fraude ;
L’intensification de la lutte contre la fraude ;
Une révision du versement à l’État en faveur de la formation des demandeurs d’emploi dont le montant est en fait affecté au financement du PIC dont les crédits annuels ne sont que partiellement consommés ; la Cour recommande que la part issue de France compétences soit mieux proportionnée à l’utilisation effective des fonds en faveur de la formation des demandeurs d’emploi.
 
À défaut de revoir le système subventionné de l’apprentissage, le Gouvernement a fait le choix de pénaliser les actifs. 

Absence de lutte contre les fraudes

En particulier pendant les confinements, les arnaques au CPF se sont multipliées, notamment sur les réseaux sociaux. Il suffisait d’ouvrir son flux Instagram pour être assailli de vidéos proposant des « formations 100 % gratuites ». Or, comme pour les arnaques mettant en cause des influenceurs, la réponse reste la même : un renforcement des organismes de contrôle, qui passe par une augmentation des moyens humains, matériels et techniques. 
 
Le choix du Gouvernement, par cet amendement, a donc été de déplacer la responsabilité sur les actifs. Quant aux partenaires sociaux, ils n’ont pas été consultés. Il est probable que ce reste à charge soit pénalisant pour les actifs, qui n’auront pas les moyens de s’en acquitter et devront renoncer à des formations. 
 
On peut également s’interroger sur les formations que la Cour des comptes estime les moins qualifiantes. Dans beaucoup de territoires, y compris en région parisienne, la non-détention du permis de conduire est un facteur bloquant, freine la mobilité des actifs et génère une hyperconcentration de certaines zones urbaines. 
 
La loi de finances pour 2023 a été promulguée au Journal officiel, mais il faudra attendre les différents décrets du Conseil d’État pour que l’article 212 s’applique pleinement. Nul doute que ce dispositif crispera les différents partenaires sociaux à la veille des concertations sur la réforme des retraites, alors que le Gouvernement a fait passer des mesures très pénalisantes pour les demandeurs d’emploi.