Quand le législateur prend le pas sur le magistrat

Quand les parlementaires jouent les enquêteurs
Quand les parlementaires jouent les enquêteurs
On le sait : le parlementaire a trois missions. Il fait la loi, il contrôle l’action du Gouvernement et vérifie l’exécution des politiques publiques. 
 
Dans notre dernier article, nous avions fait état du grand nombre de demandes – résolutions dans le jargon parlementaire – de création de commissions d’enquêtes parlementaires. Cette multiplication des demandes tient au fait que l’instrument est souvent utilisé, non pas comme un moyen de contrôler l’action du Gouvernement, mais comme un outil de communication à moindre coût pour les groupes parlementaires. Il suffit de déposer une demande de résolution de création de commission d’enquête parlementaire, pour donner l’illusion de l’action. 
 
Mais, ce n’est pas le seul écueil des commissions d’enquêtes parlementaires. Ainsi que l’a souligné sur Twitter notre confrère Pierre Januel, grand connaisseur des institutions parlementaires, certaines commissions d’enquêtes parlementaires empiètent sur le domaine judiciaire. Il relève l’affaire Sarah Halimi, l’affaire Yvan Colonna et maintenant, l’affaire Samuel Paty, au carré.
 
En effet, dans ce dernier cas, on a envie de dire qu’il s’agit de deux affaires. La première est la gestion du fonds Marianne, qui a fait couler beaucoup d’encre. Bien qu’une enquête judiciaire soit ouverte, la commission des finances a décidé de créer une mission d’information et le Sénat lui a conféré les pouvoirs d’une commission d’enquête le 10 mai 2023. Formellement, on ne parle pas de commission d’enquête. Néanmoins, on peut relever que le site du Sénat fait figurer en toutes lettres « commission d’enquête sur le fonds Marianne » sur la page des structures temporaires. La seconde affaire est celle liée à la mort même de Samuel Paty, survenue dans les circonstances que l’on sait. Ce jeudi 25 mai 2023, nos confrères de Public Sénat indiquent que le président de la commission des lois du Sénat, François-Noël Buffet, se montrait favorable à l’idée qu’une entité ad hoc se penche sur ce sujet
 
On ne peut que s’étonner de cet empiètement, qui semble se démocratiser au sein des deux assemblées parlementaires. En premier lieu, on rappellera qu’en théorie, l’ouverture d’une enquête judiciaire fait obstacle à ce qu’une commission d’enquête puisse être créée. Dans les faits, on comprend que ce critère est apprécié de façon très souple. Ainsi, les enquêtes parlementaires concluent leurs travaux, avant même que les enquêtes judiciaires ne sont achevées et que les tribunaux aient rendu leurs décisions. D’ailleurs, la page de l’Assemblée nationale indique « Dans la pratique, l’existence de poursuites n’interdit pas des travaux d’enquête mais restreint le champ d’investigation aux faits n’ayant pas donné lieu à poursuites ». Dès lors, on peut se demander en quoi il est matériellement pertinent de créer une commission d’enquête.
 
L’autre facteur d’étonnement réside dans le piétinement de la séparation des pouvoirs. On sait qu’en France, elle n’est pas aussi stricte qu’aux États-Unis et qu’on parle d’autorité judiciaire et non de pouvoir. La question de l’indépendance de la justice en France est un serpent de mer. Mais, pourquoi les parlementaires, qui sont les premiers à se plaindre qu’on les dépossède de leurs prérogatives, notamment en ce qui concerne l’organisation des débats parlementaires, font la même chose envers la justice ? Cela est d’autant plus curieux quand cela provient de personnes qui faisaient partie de la justice, avant de devenir parlementaires.
 
Enfin, aussi cynique que cela puisse paraître, la conclusion des travaux des commissions d’enquête parlementaire est souvent la même : un manque cruel de moyens. Il y a une certaine hypocrisie à s’émouvoir sur les plateaux de télévision ou dans les commissions tandis qu’on vote d’années en années, la réduction des crédits et des budgets dans tous les secteurs. Les prisons, les hôpitaux psychiatriques, les services de police et de justice manquent cruellement de moyens humains, techniques et matériels. Les salaires sont ridicules, le matériel est vétuste, quant à la psychiatrie, elle a toujours été le parent pauvre de la santé. Les rapports parlementaires soulignant ces états de fait s’amoncellent d’année en année dans les chambres, sans que personne s'en émeuve. Notons également que la majorité des rapports parlementaires ne préconisent pas de nouvelles lois ou une nouvelle réglementation mais, tout simplement une augmentation des moyens. Ces recommandations ne se concrétisent jamais.
 
À défaut de retrouver un semblant de courage lors de l’examen des textes budgétaires, les parlementaires peuvent s’offrir à peu de frais une dose d’empathie devant le public.