Qui sont les acheteurs d’Éric Zemmour ?
Les comptes de campagne de l’élection présidentielle de 2022 sont disponibles pour les journalistes qui en ont fait la demande. Ils ont été envoyés par lot de candidat. Ainsi, le jeudi 11 mai 2023, les douze comptes été accessibles en intégralité, permettant de comparer, notamment sur leurs recettes.
Les différentes sources de financement des candidats à l'élection présidentielle
Comment faire quand on est un nouveau candidat, sans fédération, sans parti ? Passer par les goodies et ça fonctionne comme en attestent les comptes.
La vente de goodies : quand les candidats deviennent des boutiquiers
Valérie Pécresse est celle qui a récolté le plus de dons, notamment en raison de l'absence de remboursement de ses frais de campagne, avec 4 218 347,68 €.
C’est Éric Zemmour qui a vendu le plus de goodies avec une recette de 476 617,47 €. Ces sommes (dons et ventes de goodies) apparaissaient déjà dans la synthèse des comptes. Ce qui manquait étaient les informations relatives aux acheteurs. Dès lors, plusieurs questions se posent.
Absence de traçabilité des ventes des candidats à l'élection présidentielle
La plupart des recettes des candidats sont parfaitement tracées, y compris les dons en espèce. Dans les comptes de campagnes, on a l’intégralité des mouvements. Évidemment, les identités des donateurs ne sont pas accessibles, y compris aux journalistes, pour des raisons évidentes, de même que le concours en nature de personnes physiques. Le seul élément dont la CNCCFP ne dispose pas est l’identité des acheteurs de goodies.
Les dons de personnes physiques sont surveillés, afin que les montants ne soient pas supérieurs aux montants autorisés et qu’ils ne proviennent pas de l’étranger. Comme le rappelle la CNCCFP, « seules les personnes physiques de nationalité française ou résidant en France peuvent désormais verser un don à un candidat ». Un Français résidant à Londres ou à Madrid peut soutenir financièrement un candidat, de même qu’un Américain résidant légalement sur le sol français.
Pour les apports personnels, qu’il s’agisse d’économies personnelles ou de prêts bancaires, l’origine des fonds est également surveillée. Les apports des partis sont indexés. En clair, tout est surveillé sauf les achats de goodies.
La question a été posée à la CNCCFP : peut-elle demander l’identité des acheteurs ? « S’agissant de l’identité des acheteurs, celle-ci n’est pas obligatoirement fournie. ». Par ailleurs, dans le cas d’Éric Zemmour, la boutique qui a servi à générer ces gains, n’a pas été gérée par le candidat lui-même « S’agissant de la boutique en ligne, accessible via le site internet de la formation politique Reconquête !, elle a été créée par le parti et demeure accessible après l’élection. Il s’agit en tout état de cause d’une dépense interne à la formation politique et la facture n’a donc pas été fournie dans le cadre du compte de campagne du candidat ».
Ainsi, rien ne certifie que les goodies aient été achetés dans leur intégralité par des Français ou des personnes résidant légalement sur le sol français, ni même qu’il s’agisse de particuliers. L’argument est valable pour tous les candidats qui ont eu recours à la vente de goodies : ce canal n’est tout simplement pas vérifié, du moins, pas avec la même sévérité que les autres ressources.
Une loi muette
Et pour cause : la loi ne le permet pas. La vente d’objets promotionnels pour financer une campagne électorale n’est pas une nouveauté en France. Tout le monde se souvient des t-shirts d’Édouard Balladur. Mais, le législateur n’avait pas anticipé la facilité avec laquelle, n’importe qui pouvait ouvrir une boutique en ligne.
Pendant très longtemps, les sites d’e-commerce demandaient de très grosses compétences techniques et les outils étaient complexes : Prestashop, Magento, Drupal et WordPress étaient les seules options, chacune entraînant sa dose de Valium pour ne pas jeter l’ordinateur par la fenêtre.
Shopify et Wix ont changé le marché et la pandémie de COVID-19 a forcé beaucoup de commerçants physiques à passer au numérique. En un mot comme en cent, sans aller jusqu’à dire que la problématique du financement d’une campagne électorale par des goodies ne se posait pas par le passé, on admettra que les prérequis étaient conséquents et que l’hypothèse d’une campagne entièrement financée par la vente d’objets promotionnels était réellement un cas d’école farfelu.
Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Si l’idée qu’un candidat puisse se financer complètement avec des t-shirts, des tasses et des briquets peut faire sourire, cela n’est pas sans conséquence, notamment en ce qui concerne les ingérences étrangères. Aussi absurde que cela puisse paraître aujourd’hui, rien n’interdit à un candidat, non seulement d’avoir des acheteurs à l’étranger, ni d’avoir des fournisseurs de goodies à l’étranger.
Dans le cas spécifique d’Éric Zemmour, une partie des ventes a été faite en physique. Mais, en poussant l’idée jusqu’à l’absurde, actuellement, rien ne semble interdire les achats massifs par l’étranger de tasses à café, floquées aux couleurs d’un candidat.
Dans la mesure où la loi ne plafonne pas les ventes ni n’impose les mêmes règles que pour les dons, la probabilité qu’en 2027, un candidat se finance à 50 % ou à 75 % sur la vente de goodies, sans aucune traçabilité, est réelle.
Interrogée sur cette hypothèse, la CNCCFP indique : « Aucune disposition n’interdit un financement exclusif d’un compte de campagne par des opérations commerciales. Dans cette hypothèse, le candidat serait néanmoins privé du remboursement de l’État et les acheteurs, contrairement aux donateurs, ne se verraient pas délivrer des reçus ouvrant droit à un avantage fiscal ».
Manifestement, dans le cas d’Éric Zemmour, l’absence d’avantage fiscal n’a pas été un problème puisqu’il n’a reçu que 37 215 € de dons.
Il reste quatre ans avant la prochaine élection présidentielle. À charge pour le législateur d’utiliser intelligemment ce temps pour étudier ce problème.