Réforme des retraites : un vrai problème de légalité

La légalité de la réforme des retraites
La légalité de la réforme des retraites - Hubert 2T / Manifestation de la CGT contre la réforme des retraites et la vie chère à Paris (Automne 2022) / Pixabay

Si les différents acteurs de la vie politique et syndicale ont défilé dans les médias et dans la rue, pour expliquer pourquoi — de leur point de vue — la réforme des retraites telle que présentée par la Première ministre était injuste, rares sont ceux qui ont soulevé sa possible inconstitutionnalité. Conséquence : les aménagements prévus pour rendre moins amère la réforme risquent de disparaître. Explications.

Loi de financement de la sécurité sociale : un encadrement constitutionnel strict

Comme son nom l’indique, une loi de financement de la sécurité sociale a vocation à régler les comptes de la sécurité sociale pour l’année à venir. C’est l’article 34 de la Constitution qui encadre sa rédaction. Les lois de financement de la sécurité comportent quatre parties. Quant aux lois rectificatives — cas qui nous intéresse ici — elles en comportent deux : recettes (et équilibre général) et dépenses. C’est tout. De ce fait, les conditions de rédaction sont très strictes et très surveillées par le Conseil Constitutionnel.

Ces derniers font la chasse à ce qu’on appelle les « cavaliers sociaux ». Sous cette désignation, on retrouve les éléments qui n’ont pas d’effet ou alors un effet trop indirect avec les recettes ou les dépenses de la Sécurité sociale. Voici la liste des principaux cavaliers sociaux.

  • Dispositions qui n’ont pas d’effet permanent ou ont un effet trop indirect sur les dépenses des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement ;
  • Dispositions qui n’ont pas d’effet permanent ou ont un effet trop indirect sur les recettes des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement ;
  • Dispositions qui n’améliorent pas l’information et le contrôle du Parlement sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale ;
  • Dispositions qui modifient les règles relatives à la gestion des risques par les régimes obligatoires de base ou les règles d’organisation ou de gestion interne de ces régimes et des organismes concourant à leur financement, mais qui n’ont pas pour objet ou pour effet de modifier les conditions générales de l’équilibre financier de la sécurité sociale ;
  • Dispositions qui concernent des organismes ou des régimes ne relevant pas du champ d’application des lois de financement de la sécurité sociale ;
  • Dispositions qui concernent les juridictions.

 Analyse du texte

Le texte a été mis en ligne ce lundi 23 janvier 2023.

L’article premier supprime la plupart des régimes spéciaux. A priori, on peut considérer que c’est une disposition qui a un effet permanent sur les recettes et dépenses. Notons que sont préservés les régimes spéciaux des marins, de l’Opéra de Paris et de la Comédie française. Interrogé par Charles de Courson sur la raison de cette préservation très spécifique de l’Opéra de Paris, le ministre n’a pas répondu. Contrairement à la première réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron sous la XVe législature, les régimes autonomes ne sont pas concernés.

L’article 2 instaure un index des seniors en entreprise. Cet article est un cavalier social. Il a un effet très indirect sur les recettes de la sécurité sociale. En premier, les entreprises devront publier un index et c’est seulement si elles ne respectent pas la publication qu’elles seront sanctionnées. Comme pour l’article 6, il renvoie un certain nombre d’éléments à la négociation. Or, le Conseil Constitutionnel a déjà qualifié ce type de mécanisme dans un projet de financement de la sécurité sociale, de cavalier social.  

L’article 3 modifie l’organisation du recouvrement des cotisations sociales. Là encore, a priori, cela a un effet permanent sur les recettes et les dépenses.

On passe ensuite à la partie dépenses, beaucoup plus fournie. L’article 7 procède au relèvement de l’âge de départ à la retraite et à l’accélération du calendrier du relèvement de la durée d’assurance. Il n’est pas cavalier et procède à la modification d’un article, qui avait été introduit lors d’une loi de financement de la sécurité sociale en 2011.

L’article 8 porte sur les départs anticipés avec un relèvement de l’âge de départ à 64 ans. C’est presque un article de coordination avec l’article précédent. Là encore, a priori, il n’y a pas de cavalier social.

L’article 9 s’intéresse à la prévention et réparation de l’usure professionnelle. En théorie, on peut se dire que cela concerne bien la sécurité sociale. Mais, l’article renvoie partiellement à des négociations de branches professionnelles pour aboutir à une liste de métiers ou d’activités particulièrement exposés à des facteurs de pénibilité. Or, le Conseil Constitutionnel a déjà retoqué comme cavaliers sociaux des éléments qui renvoyaient à la négociation.

L’article 10 concerne la revalorisation des petites pensions l’amélioration au recours de l’allocation de solidarité aux personnes âgées. C’est l’article qui prévoit que pour une carrière complète, une personne à la retraite bénéficie d’une pension égale à 85 % du montant du SMIC. Ce point n’est pas sans soulever des inquiétudes, non pas en raison de son caractère éventuellement cavalier, mais, sur sa mise en pratique.

L’article 11 concerne la prise en compte de certains stages de formation pour la validation des trimestres, pour le décompte de la retraite. Cette disposition a bien sa place dans un texte sur la sécurité sociale.

L’article 12 crée une assurance vieillesse pour les aidants et concerne bien les dépenses et recettes de la sécurité sociale.

L’article 13 vise à améliorer la transition entre l’activité professionnelle et la retraite et sont spécifiquement visées, les personnes qui cumulent une activité professionnelle et leur pension. C’est notamment le cas des médecins. On a bien un effet direct sur les recettes et dépenses de la sécurité sociale.

Par rapport à la version initiale, le texte est enrichi de six nouveaux articles — sans compter les tableaux — avec des objectifs et des dotations.

Sans préjuger du travail du Conseil Constitutionnel, on a au moins deux cavaliers sociaux dans le texte.

Les marges de manœuvre très réduites des parlementaires

Toute la difficulté pour les parlementaires va être d’essayer d’adoucir une réforme, qui est perçue comme injuste par un certain nombre de Français. En raison du véhicule choisi, ils ne peuvent pas s’écarter de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Ainsi, tous les amendements qui pourraient porter sur l’index des seniors sont inutiles, dans la mesure où l’article est un cavalier social. Les seuls amendements qui pourraient être pertinents seraient des amendements de suppression, au risque que cela soit compris comme étant une régression sociale.

Le risque est identique pour la question de la pénibilité. Dans la rédaction actuelle, les cadres sont renvoyés à des accords de branches. Cela pourrait fonctionner dans un autre cadre qu’un projet de loi rectificatif du financement de la sécurité sociale. Rappelons qu’il est possible de procéder à une réforme du système de retraites autrement qu’en passant par un projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Le recours à l’article 47-1 de la Constitution n’est pas sans poser d’autres contraintes constitutionnelles.

Insincérité des débats

L’article 47-1 de la Constitution énonce que le délai d’examen pour les projets de loi de financement de la sécurité sociale qui ne peut pas dépasser les cinquante jours et cela vaut également pour les projets de loi rectificatifs. Or, Laurent Fabius, président du Conseil Constitutionnel, aurait laissé entendre que les débats ne seraient pas sincères si le texte était transmis au Sénat sans vote préalable à l’Assemblée nationale. Pour éviter cela, il faut donc impérativement que le texte soit voté, ce qui laisse entendre que le Gouvernement devra utiliser l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, pour forcer la main des députés. Mais, on ne peut pas forcer les sénateurs.

Le risque constitutionnel est d’autant plus grand qu’il n’y a pas de jurisprudence. Des réformes des retraites, plus ou moins grandes, avaient déjà été faites par la voie d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale, notamment celle de 2008. Mais, cela n’était jamais arrivé par un projet de loi rectificatif. Les sages de la rue Montpensier peuvent être tentés de créer une jurisprudence, surtout dans un contexte où le Gouvernement n’a pas fait preuve de timidité sur l’utilisation de l’article 49 alinéa 3. Notons qu’on peut aussi faire une réforme des retraites sans passer un projet de loi de financement de la sécurité, sans utiliser l’article 49 alinéa 3 et même sans recourir à une procédure accélérée.

De la même manière, il est curieux que les députés aient eu à auditionner le ministre Dussopt le lundi 23 janvier 2023, alors que le dossier législatif n’a été mis en ligne sur le site de l’Assemblée nationale qu’à 18 h. Ajoutons à cela que le texte ne semble pas prendre en compte les réserves du Haut Conseil des Finances publiques. « Compte tenu du caractère incomplet des informations qui lui ont été transmises par le Gouvernement, le Haut Conseil n’est pas en mesure d’évaluer l’incidence de moyen terme de la réforme des retraites sur les finances publiques » […] ne lui permet pas de vérifier la cohérence des prévisions de finances publiques des textes financiers avec la loi de programmation. » […] « contraire aux engagements européens de la France, prive les finances publiques d’une boussole indispensable à leur bonne gestion et à la préservation de la soutenabilité de la dette publique. ».

On peine à comprendre la pertinence du véhicule législatif choisi, d’autant que les deux mesures qui sont présentées comme des améliorations sociales — l’index des seniors et la pénibilité — ne paraissent pas avoir leur place dans ce type de texte. Quant aux parlementaires, ils ont la plume contrainte. L’argument du ministre Dussopt en audition devant la commission des affaires sociales ce lundi 23 janvier 2023 a été de dire que le véhicule choisi était justifié parce qu’il concernait principalement des dépenses et recettes de sécurité sociale. Cela semble un peu léger.

Rien ne dit que si la réforme des retraites avait été présentée dans un texte dédié, le Gouvernement n’aurait pas été contraint de recourir à l’article 49 alinéa 3, mais les députés et les sénateurs auraient eu la possibilité matérielle d’améliorer le texte, notamment en ce qui concerne la pénibilité ou l’index des seniors, ou d’ajouter des mesures supplémentaires. Si le texte adopté est partiellement censuré par le Conseil Constitutionnel et voit le jour en l’état, le débat public risque d’être durablement crispé.