Rejet en commission du texte sur les aides à la presse : reculer pour mieux sauter

La proposition de Taillé-Polian a été rejeté - Copyright AFP / Arthur N. Orchard et Hans Lucas
La proposition de Taillé-Polian a été rejeté - Copyright AFP / Arthur N. Orchard et Hans Lucas

En prévision de la niche parlementaire du groupe écologiste du jeudi 4 avril 2024, la commission des affaires cultures examinait mardi 26 mars 2024, la proposition de loi visant à protéger la liberté éditoriale des médias sollicitant des aides de l’État. Émanant de la député Sophie Taillé-Polian, mais cosignée par de nombreux députés, elle a été rejetée. 

Le texte comportait deux articles très simples. Le premier conditionne l’obtention d’aides à la presse à un droit d’agrément sur la nomination du directeur de rédaction, par les journalistes. Le second conditionne la mise à disposition d’un canal TNT à la même chose. 

Au regard des signatures, on aurait pu penser que le texte allait franchir le cap de la commission sans encombre. Moins de cinquante amendements avaient été déposés. Pourquoi le texte a-t-il été rejeté ? En introduction au texte, Christophe Marion donne la raison : plusieurs réflexions sont en cours. Par ailleurs, tout le monde sait qu’un très gros projet de loi sur la presse verra le jour après les États Généraux de l’Information. Sur le principe, le groupe Renaissance n’est pas opposé à ce qu’il y ait une conditionnalité des aides à la presse. C’est la temporalité qui pose un problème. 

La France Insoumise était favorable au texte sur le principe, tout comme les socialistes, les communistes, le groupe LIOT et les écologistes. Pour les Républicains, la difficulté résidait dans la conciliation de deux principes : la liberté d’entreprendre et la liberté de la presse. En voulant créer un droit d’agrément, cela revient à créer un précédent : donner aux salariés le droit de choisir leur dirigeant, au risque d’aggraver l’entre-soi. 

Le groupe MoDem a émis des réserves et indiqué son abstention, par la voix du député Esquenet-Goxes. Horizons était sur une ligne similaire.   

Du côté du Rassemblement National, on s’oppose au texte, au nom du respect du pluralisme politique et qui semble s’opposer à toute remise en question du système actuel. Julie Lechanteux a qualifié le texte de « stupide ». Frédérique Meunier, avec la subtilité d’un éléphant dans un magasin de porcelaine, n’a pas hésité à dire « Il s’agit d’une énième initiative de la gauche au Parlement. L’obsession Bolloré semble vous tenir particulièrement à cœur. Le sujet semble tenir au cœur des insoumis qui sacrifieraient leur droit de tirage annuel dont disposent les groupes pour proposer que cette commission soit à l’ordre du jour de l’Assemblée. ». Pour reprendre les mots utilisés, le droit d’agrément reviendrait à acheter purement et simplement les journalistes d’une rédaction. 

Pourquoi un tel empressement à légiférer ? Sophie Taille-Polian le dit « il n’y a pas de garantie de dire qu’il y aura un projet de loi juste après les états généraux de l’information ». Il est vrai que le sujet de la réforme de la presse est dans les tuyaux depuis le premier mandat d’Emmanuel Macron. 

Après des échanges un peu âpres, le texte a été rejeté. Passera-t-il le cap de la séance publique ? Cela n’est pas garanti. Pour la niche écologiste du 4 avril 2024, il y a huit textes. Sauf à ce que ce texte passe en premier, il n’est pas garanti qu’il soit examiné en totalité. Si ce n’est pas le cas, il faudra attendre qu’il soit repêché. 

Dans l’hypothèse la plus favorable, à savoir qu’il est examiné en totalité, il est probable qu’il ne soit pas adopté. Peut-on dire que c’est un échec pour la proposition de loi de Sophie Taillé-Polian ? Non et pour cause. Elle n’est pas la seule à plaider pour une réforme du système. Par ailleurs, entre la commission d’enquête sur la TNT, les états généraux de l’information, la volonté de la ministre de la Culture de faire une BBC à la française, la mission flash sur les ingérences étrangères, le sujet reste très présent à l’Assemblée nationale. Même si le Gouvernement souhaite renvoyer le texte aux calendes grecques, il y a fort à parier que ce sont les députés eux-mêmes qui feront pression pour qu’un texte soit inscrit à l’ordre du jour. Quitte à passer au-dessus de sa tête.

Si un projet de loi sur la presse voit effectivement le jour — et d’après nos informations, c’est assez probable que cela se profile en 2025 — les députés de gauche pourront revenir à la charge avec la conditionnalité des aides à la presse.