Squat : 38,6 % de refus de concours de la force publique, sur ordre du ministère de l’Intérieur
Publié lundi 23 septembre 2024, dans une relative indifférence, le rapport de la Cour des comptes sur les dépenses de contentieux et de protection fonctionnelle du ministère de l’Intérieur et des outremers, devrait faire bondir une bonne partie de la classe politique.
Sous ce titre assez austère se cache une analyse des dépenses du ministère de l’Intérieur et des outremers. En résumé : les dépenses sont systématiquement sous-évaluées, volontairement par le ministère. « Cette sous-programmation des crédits ne paraît pas résulter d’une mauvaise prévision, mais plutôt relever, tout au moins avant 2018, d’un choix délibéré ». Le rapport s’intéresse à la période allant de 2015 à 2023.
Sur la question des squats, dont il a beaucoup été question durant la XVIe législature, il apparaît que ce n’est pas la loi qui est défaillante : les préfets ont eu pour directive de refuser le concours de la force publique. Lorsqu’un propriétaire ou un bailleur constate que son bien est squatté, qu’il entame une procédure judiciaire, qu’il obtient les documents nécessaires pour demander à ce que la police vienne pour faire sortir les squatteurs, les préfets refusent cette aide. Alors même que les bailleurs ont l’interdiction formelle de faire sortir eux-mêmes les squatteurs, cette action étant un délit. Seul l’État a le monopole de violence légitime.
À combien s’élèvent ces refus ? 38.6 % en 2023. Pourquoi ?
« Selon une enquête “flash” réalisée par la DLPAJ [NDLR : Direction des libertés publiques et des affaires juridiques] en 2023, les refus de concours de la force publique reposant sur un motif social lié au logement représentaient 91,5 % de leur nombre total, le solde étant constitué des seuls motifs liés à des troubles à l’ordre public ou à la survenance de circonstances postérieures à la décision judiciaire d’expulsion susceptible d’attenter à la dignité humaine des occupants visés par l’arrêt précité du 30 juin 2010 du Conseil d’État. Selon la DLPAJ, seuls 8,5 % des refus de concours de la force publique étaient ainsi conformes à la jurisprudence du Conseil d’État de 2010 ». Pour dire les choses plus simplement, les préfets, sur ordre du ministère, sont allés au-delà des critères juridiques.
Dès lors, les bailleurs sont en droit de demander une indemnisation de l’État, ce qu’ils ne se privent pas de faire, ce qui grève les comptes du ministère de l’Intérieur. Les indemnisations liées à ce type de contentieux représentent 43,3 M d’euros en 2023, soit 33 % des crédits du programme « affaires juridiques et contentieuses ». C’est le premier poste de dépenses de contentieux du ministère de l’Intérieur.
La Cour des comptes invite le ministère de l’Intérieur à formuler des instructions précises, se basant sur des critères légaux et non paralégaux, d’autant qu’elle relève la différence de traitement entre les bailleurs privés et les bailleurs publics « Contrairement aux bailleurs publics, le recours à une indemnisation n’est pas forcément la solution pour les bailleurs privés qui souhaitent récupérer leur logement, parfois pour régler leurs propres dettes ». En somme, les petits propriétaires, déjà fragilisés par une situation de squat, sont ceux qui paient le plus cher, le refus du concours de la force publique.
La conclusion de cette section est sans appel « Si les règles de droit étaient mieux respectées, l’enveloppe budgétaire consacrée aux refus de concours de la force publique pourrait diminuer, dans un contexte où l’exécution budgétaire apparaît de plus en plus difficile au regard de la disponibilité à la fois insuffisante, incertaine et tardive des crédits nécessaires. Au regard des positions divergentes des ministères de l’Intérieur et du Logement, une clarification apparaît indispensable ».
Sur la question des étrangers, la Cour des comptes est tout aussi sévère. C’est le deuxième poste de dépense. Une part du contentieux — et donc de l’argent versé — vient des lacunes des préfectures « le juge administratif a été saisi par des ressortissants étrangers de 7 680 référés dits “mesures utiles” en 2021, en raison de difficultés à obtenir un rendez-vous. En 2022, ils s’élevaient encore à 7 417. Les dépenses liées à ces contentieux d’urgence, dont le montant n’est pas chiffré par le ministère de l’Intérieur, mais pourrait être notable, sont pour partie évitables ».
Pire encore : alors que tous les avocats spécialisés en droit des étrangers ont clamé que la prise de rendez-vous en préfecture sur Internet était une absurdité, elle entraîne aussi des dépenses « la généralisation de l’obligation d’obtenir un rendez-vous par Internet avant de se rendre en préfecture a entraîné une véritable inflation de requêtes adressées aux tribunaux administratifs par des personnes de nationalité étrangère ne parvenant pas à s’inscrire ».
L’argent que l’État doit verser parce qu’il ne respecte pas ses propres règles pèse plus lourd dans le budget que la protection fonctionnelle des policiers, des gendarmes et de leurs familles. Le rapport conclut avec une note positive : tout ce qui touche à l’assurance automobile du ministère de l’Intérieur est bien piloté.
Dans ce rapport au vitriol, la Cour des comptes montre qu’il y a eu une volonté politique de minorer les dépenses et invite le ministère à « remettre à niveau dans le projet de loi de finances pour 2025 les crédits du programme budgétaire 216 relatifs aux dépenses contentieuses du ministère de l’Intérieur, au titre notamment des refus de concours de la force publique et des contentieux liés à la situation de personnes de nationalité étrangère ».
La commission des finances a rejeté le projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l’année 2023 et va entamer l’examen du projet de loi de finances pour 2025. Reste à savoir si Gérald Darmanin, locataire de la place Beauvau sera interrogé par les membres de la commission, pour s’expliquer sur ces « dérapages » qui coûtent très cher.