Un député de La France Insoumise encourage-t-il le travail gratuit ?

Le blocus challenge de Louis Boyard
Le blocus challenge de Louis Boyard

Pendant que le Sénat examine, avec plus de sérénité, la réforme des retraites, la gauche de l’Assemblée nationale prépare activement la grève du mardi 7 mars 2023. 

Un concours de blocus 

Les lycéens et étudiants sont incités à se joindre à la contestation et pour les motiver, le député LFI Louis Boyard a eu une idée : organiser un blocus challenge.

En premier lieu, rappelons que l’Assemblée nationale a une double nature : c’est un lieu de travail pour les députés, les collaborateurs et les fonctionnaires, mais, c’est aussi un lieu public que les citoyens peuvent visiter. 

Les écoliers font souvent des visites de cette maison, l’intendance essayant de le faire en dehors des moments où les députés sont en séance publique, pour que les agents puissent « expliquer » l’hémicycle. Quant aux adultes, ils peuvent solliciter leur député — ou celui de la circonscription voisine — pour venir à l’Assemblée nationale ou assister aux séances dans les tribunes du public. 

On renvoie le lecteur vers cet article, qui lui permettra d’en savoir plus sur ce sujet. 

C’est un lieu très ouvert, avec deux réserves. La première est que pour des questions de sécurité, les visites doivent être organisées en amont, afin que des vérifications soient effectuées. La seconde est que les créneaux de groupe sont distribués en fonction de la disponibilité. Chaque député dispose d’un certain nombre de créneaux et il arrive que les députés se les échangent. 

Cette visite ne doit donner lieu à aucune contrepartie. 

Un précédent

Sous la XVe législature, la député Pascale Fontenel-Personne avait organisé des visites payantes de la maison, en lien avec son entreprise. Plaidant la bonne foi, elle avait écopé d’un rappel à l’ordre du bureau de l’Assemblée nationale, sur la base de l’article 79 du Règlement de l’Assemblée nationale. 

L’article en question énonce qu’« il est interdit à tout député […] d’exciper ou de laisser user de sa qualité dans des entreprises financières, industrielles ou commerciales ou dans l’exercice des professions libérales ou autres et, d’une façon générale, d’user de son titre pour d’autres motifs que pour l’exercice de son mandat. ».

Question : en organisant un concours, qui contribuera surtout à sa propre visibilité sur les réseaux sociaux, le député Louis Boyard encourt-il des sanctions ? 

En premier, peut-on dire que le député utilise son titre (de député) pour un autre motif que l’exercice de son mandat ? Dans la mesure où il organise un concours, avec en prix, une visite de l’Assemblée nationale, on peut estimer que oui. S’il n’avait pas été député, il n’aurait pas pu mettre en jeu cette récompense. Il pourrait organiser le même concours, en mettant en jeu, un repas dans un restaurant, un livre dédicacé, un prix en argent, bref, un lot sans lien avec l’Assemblée nationale.

Un paradoxe et une possible sanction

Peut-on dire que ce concours est dans la catégorie « autres motifs que pour l’exercice de son mandat » ? Le député — par principe — représente la Nation et rien n’interdit à ce qu’il encourage des manifestations ou des mouvements de contestations contre le Gouvernement. Néanmoins, en organisant un concours, pour faire monter un hashtag — et donc œuvrer à sa propre visibilité — il sort de son rôle de député, pour endosser celui « d’influenceur ». On voit souvent — par exemple sur Twitter ou Instagram — des internautes organiser des petits concours pour faire grimper leur nombre d’abonnés, ce qui n’est pas un souci en soi. Mais, ces internautes ne sont pas députés et ne proposent pas de faire gagner quelque chose qui est gratuit. 

On ne résiste pas au fait de souligner un paradoxe. En demandant à des lycéens et étudiants de poster gratuitement leurs photographies de blocage d’établissements scolaires, le député de La France Insoumise fait la promotion du travail gratuit, au détriment des photo-reporters professionnels. Qui eux, paient leurs matériels, leurs logiciels, leurs assurances, leurs cotisations et quand ils ont de la chance, arrivent à vendre leurs photos. D'autant que si les blocus d'établissements scolaires sont un "succès", on peut penser qu'il y aura de belles photos de photographes professionnels. 

Que peut faire le bureau de l’Assemblée nationale ? Il est possible qu’il se saisisse de ce sujet. En effet, s’il ne réagit pas — en infligeant la même sanction qu’à Pascale Fontenel-Personne, cela revient à cautionner la démarche et rien n’interdira aux autres députés de faire de même. On observera avec attention la réaction de la maison. 

Si le député est libre, la Constitution n’a jamais posé comme principe qu’il devait faire n’importe quoi.